En décembre 2019, Emmanuel Macron et Alassane Ouattara ont proclamé la fin du franc CFA, monnaie héritée de la colonisation, et la naissance de l’eco en Afrique de l’Ouest. Or pour l’économiste Ndongo Samba Sylla, cette réforme a été faite de telle manière que la France conserve in fine sa mainmise sur la monnaie ouest-africaine.
C’est l’un des héritages de la colonisation française les plus emblématiques : le franc CFA cristallise de nombreuses critiques sur le continent, tant sur la forme que sur le fond. Le 21 décembre 2019 à Abidjan, au côté de son homologue ivoirien Alassane Ouattara, Emmanuel Macron - qui martelait depuis son élection deux ans plus tôt vouloir initier un « nouveau partenariat » avec l’Afrique - a annoncé une réforme de cette monnaie utilisée dans huit pays d’Afrique de l’Ouest. « Rompons les amarres », a-t-il déclaré ce jour-là, tout en assurant que la France « n’a rien à cacher ».
Fallait-il le croire sur parole ? Dès le départ, la méfiance a été de mise sur le continent, et plusieurs experts ont dénoncé les faux-semblants de cette réforme. L’économiste Ndongo Samba Sylla, chargé de recherche à la Fondation Rosa Luxemburg et co-auteur d’un ouvrage consacré à cette « arme invisible de la Françafrique »1, estime qu’elle n’a fondamentalement pas changé la donne. Pour lui, dans les faits, « rien ne bouge ».
Michael Pauron : Plus de deux ans après l’annonce du président français, Emmanuel Macron, et de son homologue ivoirien, Alassane Ouattara, d’une réforme du franc CFAd’Afrique de l’Ouest, qu’est-ce qui a changé ?
Ndongo Samba Sylla : Le 21 décembre 2019, Macron et Ouattara avaient annoncé trois changements : la fermeture du compte d’opérations auprès du Trésor français, un nouveau nom de monnaie et la suppression des sièges réservés aux représentants français au sein de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Dès le départ, nous savions qu’il s’agissait d’une réforme administrative et non pas d’une réforme monétaire. Il ne fallait pas s’attendre à grand-chose.
Concernant le premier point, rappelons que chaque banque centrale de la zone franc (la BCEAO, la Banque des États d’Afrique centrale et la Banque Centrale des Comores) a un compte ouvert auprès du Trésor français. Chacune de ces banques centrales est tenue de déposer 50 % des réserves de change de ses pays membres, en échange d’une « garantie de convertibilité », c’est-à-dire la promesse du Trésor français de prêter des euros chaque fois que les banques centrales manquent de devises pour faire des paiements à l’étranger.
En réalité, cette garantie n’est pratiquement jamais activée. Dès que ces réserves baissent trop, le Trésor français, qui siège dans chacune de ces banques centrales, leur demande de serrer la ceinture. Cela conduit à des politiques d’austérité, notamment une politique monétaire plus restrictive (moins de refinancements pour les banques et des taux d’intérêt plus élevés). Si cela ne suffit pas, les pays sont incités à s’endetter en monnaie étrangère auprès du Fonds monétaire international (FMI) et/ou sur les marchés internationaux. Dans les faits, le Trésor français ne prête donc presque jamais aux banques centrales de la zone franc, c’est-à-dire qu’il leur a rarement autorisé la possibilité d’un découvert au niveau de leur compte d’opérations. Cela n’a plus été le cas au moins depuis le début des années 1990 ! La fermeture du compte d’opérations de la BCEAO était légitime et elle a bien été actée dans les nouveaux textes.
Michael Pauron : Concrètement, comment a été mis en œuvre ce premier point de la « réforme » ?
Ndongo Samba Sylla : Deux documents organisent la relation entre le Trésor français et la BCEAO : un accord de coopération entre le gouvernement français et les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et une « Convention de comptes d’opérations ». Cette dernière a été remplacée par une « Convention de garantie », signée entre le ministère des Finances français et le gouverneur de la BCEAO.
Cependant, le processus de fermeture de ce compte pose problème. Car selon l’article 53 de la Constitution française, les accords internationaux qui ont une répercussion financière
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