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Le mythe de l’éradication de la pauvreté grâce à la croissance mondiale du PIB

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  • Le mythe de l’éradication de la pauvreté grâce à la croissance mondiale du PIB

    En 2021, le PIB a retrouvé ses niveaux pré-pandémie. Selon les prévisions du FMI, la croissance mondiale devrait ralentir de 3,4 % en 2022 à 2,7 % en 2023, avant de remonter à 3 % en 2024… de quoi alimenter les discours mensongers sur l’éradication de la pauvreté grâce à la croissance du PIB...





    Cette rhétorique fallacieuse, largement véhiculée dans certains milieux politico-économiques et relayée par les médias dominants, est toutefois dénoncée depuis de nombreuses années par de nombreux chercheurs, mais aussi plus récemment par Philip Alston, Rapporteur spécial sur les droits de l’Homme et l’extrême pauvreté pour l’ONU de 2014 à 2020.

    Dans son dernier rapport en tant que Rapporteur spécial intitulé « L’état alarmant de l’éradication de la pauvreté », Alston ne mâche pas ses mots et tire la sonnette d’alarme. Dans une critique virulente, il remet en cause les propos triomphalistes sur l’imminence de l’éradication de l’extrême pauvreté, une affirmation que, selon lui, aucun fait ne corrobore :
    « La communauté internationale évalue à tort les progrès réalisés dans l’éradication de la pauvreté […]. Cela pousse certains à affirmer avec emphase que l’éradication de l’extrême pauvreté est imminente et à sous-estimer l’état d’appauvrissement alarmant dans lequel survivent encore des milliards de personnes. Si des progrès considérables ont été enregistrés dans le cadre des objectifs de développement durable, cela n’a pas été le cas dans des domaines clefs tels que l’éradication de la pauvreté. »

    En cause, le seuil de pauvreté défini par la Banque Mondiale. Un indicateur jugé inadapté, mais qui étaye les discours triomphalistes des entités nationales et internationales. Basée sur un revenu de subsistance misérable de 2,15 $ par jour en 2022, cette mesure fait fi d’un niveau de vie qui satisfait à des normes minimales. De plus, elle exclut de nombreuses catégories de personnes, minimisant de facto le nombre réel d’individus en situation d’extrême pauvreté.

    En réalité, des milliards d’individus demeurent exposés à la famine et à des conditions de vie épouvantables sans possibilité de faire valoir leurs droits humains fondamentaux. Dans le même temps, la « communauté internationale », en évaluant de façon erronée les progrès réalisés dans l’éradication de la pauvreté, peine à établir une marche à suivre efficace pour améliorer la situation.

    Éradication supposée de l'extrême pauvreté : les discours triomphalistes médiatico-politiques


    À l'évidence, la qualité de vie de milliards de personnes s’est améliorée depuis la révolution industrielle. Pour autant, contrairement à des idées largement diffusées dans l’espace politico-médiatique, malgré la croissance économique et le développement du libéralisme économique, l’extrême pauvreté n’est pas en voie d’éradication.

    Ces discours d’autosatisfaction reposent généralement sur le suivi d’un indicateur défini par la Banque Mondiale : le seuil mondial de pauvreté, fixé en 2022 à 2,15 $ de revenu par jour.

    Source : Courrier International, 13 mars 2023 ; Atlantico, 27 mars 2023

    Suivant cette mesure, nous sommes passés de 2 milliards de personnes en situation d’extrême pauvreté en 1990 (près de 40 % de la population mondiale de l'époque) à 650 millions en 2019, soit moins de 9 % de l'humanité.



    Cette méthode de calcul présente ainsi une division par trois du nombre de pauvres dans le monde en 30 ans, et permet d'alimenter les discours triomphalistes sur les bienfaits de la croissance et du libéralisme économique pour éradiquer la pauvreté. Or, le seuil de pauvreté de la Banque mondiale reste controversé et critiqué par de nombreux chercheurs, car peu adapté à ce qu’il prétend mesurer.

    Il reste néanmoins largement utilisé dans les institutions, les médias et la sphère politique, malgré le fait qu'il donne une image erronée des progrès effectifs dans la lutte contre la pauvreté. En effet, le simple fait de passer d'un seuil de 2,15 $ par jour à 6,85 $ par jour (1: Seuil de pauvreté de la Banque mondiale pour les pays à revenus intermédiaires supérieurs.1), fait basculer presque 50 % de l’humanité dans l'extrême pauvreté (2022). Et avec un seuil de 10 $ par jour, c’est près de 60 % de la population mondiale qui doit être considéré comme très pauvre.

    Le seuil de pauvreté sociétale (SPL) de la Banque mondiale – une mesure plus étendue de la pauvreté qui tient compte de la capacité à satisfaire ses besoins essentiels en fonction du lieu de résidence – affiche quant à lui une baisse modeste du nombre d’individus touchés par la pauvreté, qui reste malgré tout supérieur à 2 milliards d'individus depuis 1990 (25 % de population mondiale).



    Le seuil de pauvreté de la Banque Mondiale : un indicateur inadapté


    Le seuil international de pauvreté défini par la Banque Mondiale est une moyenne de seuils nationaux de pauvreté adoptés par certains des pays les plus pauvres du monde, principalement en Afrique subsaharienne. Selon la Banque mondiale, ce seuil permet d’assurer les besoins les plus essentiels des individus dans chaque pays.

    C’est une valeur absolue et constante de 2,15 $, exprimée en dollars internationaux au taux de parité de pouvoir d’achat (PPA) de 2017. Ce dollar international « 2017 » permet de tenir compte de l’inflation et de théoriquement transposer le revenu et la consommation de chaque pays dans des termes comparables au niveau mondial. Ainsi, quels que soient le pays et l’année, un dollar international « 2017 » permettrait d’avoir le même pouvoir d’achat en marchandise ou service qu’un dollar étasunien en 2017.

    Originellement évalué à 1 $/jour en PPA de 1985, le seuil de pauvreté en dollar international a évolué au gré de l'inflation et des méthodologies, pour arriver à 2,15 $/jour en PPA de 2017, lors de la publication des derniers chiffre de la Banque mondiale en septembre 2022. Ce seuil signifie que toute personne disposant de moins de 2,15 $ par jour est considérée aujourd'hui comme vivant dans l’extrême pauvreté. Ce niveau est largement inférieur aux seuils nationaux définis par la plupart des pays :
    • en Thaïlande, le taux de pauvreté est de 0 % selon le seuil international, mais de 9,9 % selon le seuil national ;
    • en Afrique du Sud, il est de 18,9 % selon le seuil international, contre 55 % selon le seuil national ;
    • au Mexique, il est de 1,7 % selon le seuil international, contre 41,9 % selon le seuil national ;
    • en Argentine, il est de 1,3 % selon le seuil international, contre 35,5 % selon le seuil national ;
    • en Jordanie, il est de 0,1 % selon le seuil international, contre 15,7 % selon le seuil national.


    Pour le Rapporteur spécial Philip Alston, ce seuil de pauvreté international ne conduit pas à une estimation fiable du nombre de pauvres, car il ne prend pas en compte l’évaluation du coût réel des besoins de première nécessité dans les différents pays.

    Ainsi, combustibles ou vêtements ne sont pas considérés bien que primordiaux dans les pays froids. Le logement est lui aussi exclu, ce qui fausse l’appréciation de la pauvreté au sein des pays plus riches. De plus, avec 2,15 $/jour, il est extrêmement difficile, voire impossible, de couvrir ne serait-ce que les coûts associés à la nourriture et au logement dans certaines régions du monde. Aux États-Unis par exemple, le montant minimum nécessaire pour se nourrir chaque jour avait été évalué à 5,04 $ en 2011, par un organisme public du pays.

    D’autre part, alors que selon la Banque mondiale, moins de 10 % de l'humanité est sensé vivre dans l'extrême pauvreté, un récent rapport de l’IAE estime que plus d’un quart de la population mondiale n’a pas accès à des conditions salubres pour cuisiner. Ces milliards d'individus dépendent du charbon, du bois de chauffage, des déchets agricoles et des déjections animales comme combustible pour préparer les repas. En conséquence, les personnes touchées, majoritairement des femmes et des enfants, respirent une fumée nocive, troisième cause de décès prématuré dans le monde (3,7 millions de décès chaque année).

    En adoptant un cadre élargi, comme le suggère Robert C. Allen, professeur à l’université d’Oxford, le nombre d'individus en situation de grande pauvreté surpasse de 50 % les estimations de la Banque mondiale. Sans compter, comme l’affirme Philip Alston, que le seuil de pauvreté international exclut des pans entiers de la population. Des groupes particulièrement touchés par la pauvreté sont sous-représentés, voire oubliés : les sans-abri, les éleveurs, les travailleurs migrants, les réfugiés, les déplacés, les personnes touchées par un conflit armé, etc.

    Enfin, les différences entre les femmes et les hommes sont souvent masquées par une estimation de la consommation par habitant qui repose sur l’hypothèse que les ressources sont également partagées au sein du ménage. Or, des travaux de recherche, notamment en Chine et en Afrique, ont mis en évidence des différences marquées entre les sexes dans l’allocation des ressources et la consommation.

    Pour l'ancien Rapporteur spécial, le seul point positif de ce seuil est d’avoir contribué à sensibiliser l’opinion publique et favorisé la prise de conscience collective, mais il demeure inadapté à ce qu’il prétend mesurer.

    Derrière la baisse de l’extrême pauvreté en trompe l’œil, le cas de la Chine


    La majeure partie des progrès mis en avant par la Banque mondiale sur l’éradication de l’extrême pauvreté dans le monde repose en réalité sur l’évolution des chiffres de la Chine.

    Alors qu’entre 1990 et 2015, le nombre de personnes d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté de presque 140 millions, en Chine ce nombre serait passé de 750 millions (1990) à 10 millions (2015) puis à seulement 2 millions (2019) – rappelons qu’en 2018, un rapport de l’ONU évaluait à 1 million le nombre de Ouïghours dans des camps de travail ou de rééducation. La Chine représente donc près des trois quarts des individus sortis de la pauvreté dans le monde sur la période.

    Selon l’indicateur de la Banque mondiale, avant la mise en œuvre des réformes capitalistes au cours des années 1980, le taux de pauvreté extrême en Chine était de presque 90 % – un niveau 50 % supérieur à celui de l’Inde et 4 à 10 fois plus important qu’au Brésil ou au Mexique. Près de quarante années plus tard, en 2019, l’extrême pauvreté aurait quasiment disparu en Chine selon la méthodologie de la Banque mondiale.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2



    Une étude de 2023 nous éclaire sur le cas de la Chine et relève l’inadaptation de l’indicateur de la Banque mondiale pour appréhender la pauvreté dans le cadre des pays socialistes. Ce faisant, elle rend caduque à la fois la méthodologie et la pertinence de cette mesure, disqualifiant de fait les comparaisons avec des États capitalistes comme l’Inde, le Brésil ou le Mexique.

    Selon les auteurs, les pays socialistes, pour fournir aux populations un accès aux biens essentiels, établissent une forme de contrôle des prix et investissent dans des systèmes d'approvisionnement public. Cela a pour effet de réduire le coût monétaire de la satisfaction des besoins de base. Dans les pays capitalistes où les niveaux de marchandisation et de privatisation sont élevés, les mêmes biens accaparent une part bien plus importante des revenus de la population. Par conséquent, un dollar de revenu en PPA est susceptible d'avoir un pouvoir d'achat plus élevé dans les États socialistes que dans les États capitalistes.

    Les auteurs montrent alors une autre prévalence de la pauvreté en utilisant la définition élargie de Robert C. Allen – l’impossibilité de disposer à la fois d’une alimentation équilibrée de 2 100 calories par jour et d’avoir accès à des vêtements, à du chauffage et à 3 m2 de logement.

    En utilisant ce nouvel indicateur, on estime qu'avant les réformes libérales des années 1990, la Chine présentait un niveau de pauvreté équivalent à celui du Mexique et vingt fois plus faible qu’au Brésil, deux pays à l'économie libérale dont le PIB par habitant est presque dix fois plus élevé. Par rapport à l’Inde ou à l’Indonésie – des pays aux niveaux de PIB par habitant comparables à celui de la Chine – le taux de pauvreté extrême y apparaît plus de quarante fois plus faible… en opposition avec les résultats de la Banque mondiale.

    Le début des années 1990 –avec l’ouverture au capitalisme et la mise en place du libéralisme économique – est notamment marqué par une forte augmentation du prix des denrées alimentaires, plongeant des centaines de millions de Chinois dans l’extrême pauvreté. La décrue s’amorce en 1995, mais les niveaux des années 1980 n’ont jamais été retrouvés, bien que le PIB par habitant ait été multiplié par plus de 10 depuis, et qu'il soit comparable à celui du Mexique.

    Pour les auteurs, l’adoption du libéralisme et du totem de la croissance n’est pas source de réduction de la pauvreté, bien au contraire.



    Les politiques d’éradication de l’extrême pauvreté sont inadaptées


    L’éradication de la pauvreté en 2030 est le premier des objectifs de développement durable de l’ONU. Le rapport sur « L’état alarmant de l’éradication de la pauvreté » du Rapporteur spécial Alston rappelle que cet objectif, tant qu’il est adossé au seuil international de pauvreté de la Banque mondiale, reste largement inadapté.

    La croissance et le libéralisme économiques sont les moyens brandis par des institutions comme le FMI, l’ONU ou la Banque Mondiale pour sortir l’humanité de la pauvreté. Or, depuis maintenant quatre décennies, la population de la planète a presque doublé et le volume du PIB mondial a été multiplié par près de quatre. Dans le même temps, l'extrême pauvreté mesurée par la satisfaction de besoins essentiels n’a pas reculé, et presque la moitié de l’humanité vit avec moins de 6,85 $ par jour.

    Rien de surprenant, car entre 1980 et 2016, les 1 % les plus riches ont capté presque 30 % de la croissance du revenu hors inflation. De telle sorte qu’aujourd’hui, la moitié la moins riche de la population de la planète possède moins de 1 % de toutes les richesses mondiales alors que les 1 % les plus riches en détiennent près de la moitié.

    Le rapport indique ainsi qu’au rythme où vont les choses, il faudra au minium 100 ans pour qu’il n’y ait plus personne en dessous des 2,15 $ par jour, et plus de 200 ans pour qu'il n'y ait plus personne en dessous de 6,85 $ par jour ! Cependant, au vu de la répartition actuelle, cela supposerait que le PIB mondial soit multiplié par 15 pour atteindre le premier objectif, et par 173 pour atteindre le second (hors inflation)… Comme le souligne très justement Philip Alston :


    « L’argument selon lequel les politiques favorables au marché profitent automatiquement aux pauvres est contredit par les faits […]. L’extrême pauvreté est et doit être comprise comme une violation des droits de l’Homme. De nombreux gouvernements refusant catégoriquement d’adopter des politiques budgétaires justes, de mettre fin à la fraude fiscale et de faire cesser la corruption, les protestations contre l’insuffisance des ressources ne convainquent personne.

    La pauvreté est un choix politique, qui persistera tant que son élimination ne sera pas repensée comme une question de justice sociale. La communauté internationale sera sur la bonne voie pour éliminer l’extrême pauvreté lorsque l’objectif de réaliser le droit à un niveau de vie suffisant remplacera le niveau de subsistance misérable défini par la Banque mondiale. »]
    Alston parle de la pauvreté comme d’un « choix politique » en écho aux travaux du scientifique américain Robert Sapolsky, professeur à Stanford spécialisé en primatologie et neurosciences. Pour lui, le violent sentiment de subordination lié à « l’invention humaine de la pauvreté » n’a aucun équivalent dans le règne animal…

    Parmi les préconisations du Rapporteur spécial se trouve une meilleure et plus juste redistribution, ainsi que la réduction des inégalités pour éradiquer réellement la pauvreté. La Banque mondiale elle-même a d’ailleurs démontré que la réduction de l’Indice de Gini: Indicateur synthétique permettant de rendre compte du niveau d'inégalité pour une variable et sur une population donnée.indice de Gini de 1 % par an diminue plus fortement la pauvreté qu’une augmentation de la croissance du PIB de 1 point de pourcentage.

    N’en déplaise à notre actuel Président, la théorie du « ruissellement » reste très largement virtuelle...
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    • #3
      C'est plutot le systeme féodal qui se rétablit en Occident et partout dans le monde.

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