Telle qu'elle est promue par le « capitalisme vert », la voiture électrique représente probablement un écran de fumée qui dissimule les véritables enjeux écologiques. Après La bougeotte, nouveau mal du siècle ? (écosociété, 2021) et Airvore ou le mythe des transports propres (écosociété, 2022), Laurent Castaignède fait paraître chez le même éditeur La ruée vers la voiture électrique – Entre miracle et désastre, nouvel essai dans lequel il pronostique un certain échec avec l'éclatement prochain d'un scandale comparable au dieselgate. Il réfléchit également à une électrification véritablement raisonnée, insérée dans une conception globale de la mobilité, en rupture avec la démesure de nos usages et de notre organisation sociale.
Laurent Ottavi (Élucid) : La voiture électrique est parée de toutes les promesses. Vous montrez dans votre ouvrage que ce n'est pas la première fois dans l’Histoire, loin de là. À quels moments cela s'est-il déjà produit, quelles attentes en avait-on et pour quelles raisons l'essor de la voiture électrique a-t-il échoué à chaque fois ?
Laurent Castaignède : Les promesses ont un peu varié dans le temps. C’était au début celle d’une mobilité individuelle facilitée, d’une moindre pollution olfactive au regard de celle des déjections des chevaux et mulets qui arpentaient en nombre les capitales européennes, particulièrement Paris qui en comptait près de 100 000. L’automobile à essence s’est pourtant rapidement imposée, avec des gaz d’échappement nocifs que la voiture électrique s’est, par la suite, promis d’éviter. Puis, plus récemment, on lui déroule un tapis vert climatique, plus souvent contestable qu’il n’y paraît.
En termes de moments clés et sans décrire les nombreux rebondissements et enterrements successifs (que le livre détaille dans son premier chapitre), je citerai bien entendu d’abord la fin du XIXe siècle, en Europe de l’Ouest et au nord-est des États-Unis. La voiture électrique, candidate sérieuse, car silencieuse et facile à utiliser, s’est largement fait supplanter par la vociférante et trépidante voiture à essence de pétrole, qui était plus puissante (donc plus rapide) et qui disposait d’une plus large autonomie : les bidons de cinq litres, qui étaient largement distribués dans des épiceries et les pharmacies, lui permettaient facilement de s’extraire des grandes villes (pourvu que les routes existent).
La voiture électrique a plus tard fait une apparition notable en France sous l’Occupation, l’essence y étant alors réservée aux Armées (ou à l’occupant). Mais là encore, elle ne rivalisait pas en termes de performance et d’autonomie avec la voiture à essence, qui avait fait beaucoup de progrès en quelques décennies. Et lorsque la guerre fut terminée, elle disparut instantanément, d’autant plus qu’il était mal vu de rouler avec un véhicule qui avait disposé de dérogations pour avoir mobilisé du cuivre et du plomb que les munitions réclamaient…
Dans les années 1950 et 1960, la récurrence de phénomènes de smog aux États-Unis, particulièrement à New York et dans les grandes villes de Californie, redonna de l’intérêt au développement de voitures électriques. De même, ensuite au moment des chocs pétroliers. Mais dans les deux cas, malgré de fortes subventions publiques aux États-Unis comme en Europe, seuls des prototypes émergèrent ; parfois des petites séries furent commercialisées, mais sans succès. Leur performance et leur autonomie, pourtant en progrès, étaient toujours largement en deçà des prestations offertes par les modèles à essence qui eux-mêmes s’amélioraient constamment.
Élucid : Le décollage a néanmoins eu lieu sur la période récente, avec l'appui de nombreux financements publics. Le tour de la voiture électrique serait-il enfin venu ?
Laurent Castaignède : Ce décollage ne concerne véritablement que certains grands territoires. Pour simplifier, il ne s’agit guère plus que de l’Occident et de la moitié de la Chine, ce qui est déjà beaucoup.
Et si son tour est véritablement arrivé, il faut immédiatement se demander de quelle voiture électrique il s’agit, car l’éventail des possibilités est vaste, depuis la modeste citadine électrique d’une tonne au surpuissant pick-up américain de 3 tonnes, en passant par le confortable SUV européen de 2 tonnes ! La direction que souhaite prendre le marché n’a absolument pas les mêmes conséquences, sans parler du fait que ce tournant puisse d’autant plus facilement échouer que les véhicules seront massivement surdimensionnés.
La lutte contre le réchauffement climatique s'est ajoutée aux autres objectifs traditionnellement associés au projet de généralisation de la voiture électrique. Or, vous considérez que la voiture électrique, telle qu'elle est actuellement déployée, ne permettra pas d'y parvenir. Pour quelles raisons ?
La direction que prend actuellement la voiture électrique me paraît inadaptée aux objectifs qu’elle vise. En multipliant les modèles exagérément gros, et en adoubant leur prolifération (par des publicités dithyrambiques, des aides financières multiples et des homologations complaisantes), on est en train d’organiser un formidable gaspillage de ressources précieuses que sont les matériaux sensibles (métaux critiques, graphite) et les nouveaux moyens de production d’électricité renouvelable, dont les flux annuels ne sont pas croissants à l’envi.
Les batteries gagneraient à être de taille plus réduite (dans des automobiles davantage adaptées aux besoins qu’aux envies suscitées), et à être pour partie affectées à d’autres véhicules sur lesquels ces surplus seraient bien plus efficaces, tels l’ensemble des deux-roues à essence ou des bus diesel par exemple.
Enfin, du point de vue du changement climatique et des émissions de gaz à effet de serre, la voiture électrique bénéficie de discours simplistes de décarbonation, depuis son homologation officielle à zéro gCO2/km, qui laisse croire qu’elle est neutre pour le climat, jusqu’aux amalgames laissant entendre qu’elle bénéficie de l’électricité moyenne de la région où elle circule, alors qu’elle s’approvisionne en électricité supplémentaire, souvent beaucoup plus carbonée si l’on ne prend pas soin de lui affecter de nouveaux moyens de production dédiés…
Quelles sont les autres nuisances de la voiture électrique actuellement valorisée ou des usages qu'elle inciterait à avoir ?
La voiture électrique est actuellement présentée comme une remplaçante, comme si chacune d’elles allait se substituer à une voiture thermique équivalente. Au niveau mondial, au vu de la croissance tendancielle du parc, on pourrait plutôt craindre qu’elles ne s’additionnent en termes d’effectifs.
En Occident, cette présupposée substitution permet de ne pas se poser de question sur notre hypermobilité, comme si la baguette magique de la fée électricité se suffisait à elle-même pour résoudre nos nuisances en termes de pollution urbaine et d’émissions de gaz à effet de serre. On oublie toute l’artificialisation des territoires et du vivant que l’activité automobile et les réseaux routiers entraînent. En ce sens, on pourrait indiquer que la première pollution de la voiture électrique est un écran de fumée sur une nécessaire démobilité motorisée du quotidien.
La voiture électrique a par ailleurs d’autres conséquences aujourd’hui relativement passées sous silence. Je pense que l’on n’a pas pris la mesure du caractère dangereux de véhicules dont la capacité d’accélération (que les conducteurs pressés utiliseront), est grosso modo du double de celle des modèles à essence équivalents (il suffit de regarder les durées affichées pour passer de 0 à 100 km/h). Danger qui sera multiplié par une surcharge pondérale de 20 à 30 % qui infligera d’autant plus de dégâts aux tiers…
Et en termes d’usages, pourquoi se refuser à utiliser une voiture électrique pour de nombreux petits trajets urbains que l’on pourrait faire à pied ou en vélo, à partir du moment où on est convaincu qu’elle ne pollue pas ? Sans parler des lycéens qui roulent désormais en petite voiture électrique (sans permis) plutôt qu’en vélo, en scooter, ou en bus ?
Vous évoquez le risque d'un prochain electricgate. Pouvez-vous rappeler ce qu'était le dieselgate dans un premier temps, puis expliquer en quoi la répétition d'un scénario similaire avec la voiture électrique vous paraît probable ? En quoi cet electricgate peut-il avoir un effet positif ?
Le dieselgate est un scandale qui a révélé en septembre 2015 une tricherie avérée d’homologation de voitures diesel par le groupe Volkswagen aux États-Unis (et au Canada), et qui a concerné la commercialisation de près de 600 000 véhicules exagérément polluants en oxydes d’azote. Les mêmes moteurs ont en fait concerné 11 millions de voitures à travers le monde, ce qui donne une idée de l’ampleur du phénomène, même si, compte tenu des écarts de réglementations, le groupe a été bien moins condamné en Europe. L’ordre de grandeur des amendes cumulées est tout de même de 30 milliards de dollars… Le scandale a aussi fait tache d’huile en révélant, dans une moindre mesure, des pratiques douteuses d’autres constructeurs (1: Pour plus de détails sur le dieselgate et les tricheries des constructeurs en la matière, lire l’annexe 3 de Airvore ou le mythe des transports propres, Ecosociété, 2022.1).
Si l’on voulait mettre en parallèle l’histoire du dieselgate avec le risque d’electricgate, on pourrait comparer le titre de « voiture verte de l’année » (green car of the year) obtenu aux États-Unis par le groupe Volkswagen en 2009 et 2010 avec celui de « voiture européenne de l’année », décerné en 2019 et 2022 à deux SUV électriques de plus de deux tonnes et de plusieurs centaines de chevaux. L’homologation « sans émission » de la voiture électrique sonne parallèlement comme une innocuité, là où Volkswagen indiquait dans ses publicités « diesel propre » (clean diesel).
Laurent Ottavi (Élucid) : La voiture électrique est parée de toutes les promesses. Vous montrez dans votre ouvrage que ce n'est pas la première fois dans l’Histoire, loin de là. À quels moments cela s'est-il déjà produit, quelles attentes en avait-on et pour quelles raisons l'essor de la voiture électrique a-t-il échoué à chaque fois ?
Laurent Castaignède : Les promesses ont un peu varié dans le temps. C’était au début celle d’une mobilité individuelle facilitée, d’une moindre pollution olfactive au regard de celle des déjections des chevaux et mulets qui arpentaient en nombre les capitales européennes, particulièrement Paris qui en comptait près de 100 000. L’automobile à essence s’est pourtant rapidement imposée, avec des gaz d’échappement nocifs que la voiture électrique s’est, par la suite, promis d’éviter. Puis, plus récemment, on lui déroule un tapis vert climatique, plus souvent contestable qu’il n’y paraît.
En termes de moments clés et sans décrire les nombreux rebondissements et enterrements successifs (que le livre détaille dans son premier chapitre), je citerai bien entendu d’abord la fin du XIXe siècle, en Europe de l’Ouest et au nord-est des États-Unis. La voiture électrique, candidate sérieuse, car silencieuse et facile à utiliser, s’est largement fait supplanter par la vociférante et trépidante voiture à essence de pétrole, qui était plus puissante (donc plus rapide) et qui disposait d’une plus large autonomie : les bidons de cinq litres, qui étaient largement distribués dans des épiceries et les pharmacies, lui permettaient facilement de s’extraire des grandes villes (pourvu que les routes existent).
La voiture électrique a plus tard fait une apparition notable en France sous l’Occupation, l’essence y étant alors réservée aux Armées (ou à l’occupant). Mais là encore, elle ne rivalisait pas en termes de performance et d’autonomie avec la voiture à essence, qui avait fait beaucoup de progrès en quelques décennies. Et lorsque la guerre fut terminée, elle disparut instantanément, d’autant plus qu’il était mal vu de rouler avec un véhicule qui avait disposé de dérogations pour avoir mobilisé du cuivre et du plomb que les munitions réclamaient…
Dans les années 1950 et 1960, la récurrence de phénomènes de smog aux États-Unis, particulièrement à New York et dans les grandes villes de Californie, redonna de l’intérêt au développement de voitures électriques. De même, ensuite au moment des chocs pétroliers. Mais dans les deux cas, malgré de fortes subventions publiques aux États-Unis comme en Europe, seuls des prototypes émergèrent ; parfois des petites séries furent commercialisées, mais sans succès. Leur performance et leur autonomie, pourtant en progrès, étaient toujours largement en deçà des prestations offertes par les modèles à essence qui eux-mêmes s’amélioraient constamment.
Élucid : Le décollage a néanmoins eu lieu sur la période récente, avec l'appui de nombreux financements publics. Le tour de la voiture électrique serait-il enfin venu ?
Laurent Castaignède : Ce décollage ne concerne véritablement que certains grands territoires. Pour simplifier, il ne s’agit guère plus que de l’Occident et de la moitié de la Chine, ce qui est déjà beaucoup.
Et si son tour est véritablement arrivé, il faut immédiatement se demander de quelle voiture électrique il s’agit, car l’éventail des possibilités est vaste, depuis la modeste citadine électrique d’une tonne au surpuissant pick-up américain de 3 tonnes, en passant par le confortable SUV européen de 2 tonnes ! La direction que souhaite prendre le marché n’a absolument pas les mêmes conséquences, sans parler du fait que ce tournant puisse d’autant plus facilement échouer que les véhicules seront massivement surdimensionnés.
« En multipliant les modèles exagérément gros, et en adoubant leur prolifération, on est en train d’organiser un formidable gaspillage de ressources précieuses. »
La lutte contre le réchauffement climatique s'est ajoutée aux autres objectifs traditionnellement associés au projet de généralisation de la voiture électrique. Or, vous considérez que la voiture électrique, telle qu'elle est actuellement déployée, ne permettra pas d'y parvenir. Pour quelles raisons ?
La direction que prend actuellement la voiture électrique me paraît inadaptée aux objectifs qu’elle vise. En multipliant les modèles exagérément gros, et en adoubant leur prolifération (par des publicités dithyrambiques, des aides financières multiples et des homologations complaisantes), on est en train d’organiser un formidable gaspillage de ressources précieuses que sont les matériaux sensibles (métaux critiques, graphite) et les nouveaux moyens de production d’électricité renouvelable, dont les flux annuels ne sont pas croissants à l’envi.
Les batteries gagneraient à être de taille plus réduite (dans des automobiles davantage adaptées aux besoins qu’aux envies suscitées), et à être pour partie affectées à d’autres véhicules sur lesquels ces surplus seraient bien plus efficaces, tels l’ensemble des deux-roues à essence ou des bus diesel par exemple.
Enfin, du point de vue du changement climatique et des émissions de gaz à effet de serre, la voiture électrique bénéficie de discours simplistes de décarbonation, depuis son homologation officielle à zéro gCO2/km, qui laisse croire qu’elle est neutre pour le climat, jusqu’aux amalgames laissant entendre qu’elle bénéficie de l’électricité moyenne de la région où elle circule, alors qu’elle s’approvisionne en électricité supplémentaire, souvent beaucoup plus carbonée si l’on ne prend pas soin de lui affecter de nouveaux moyens de production dédiés…
« La première pollution de la voiture électrique est un écran de fumée sur une nécessaire démobilité motorisée du quotidien. »
La voiture électrique est actuellement présentée comme une remplaçante, comme si chacune d’elles allait se substituer à une voiture thermique équivalente. Au niveau mondial, au vu de la croissance tendancielle du parc, on pourrait plutôt craindre qu’elles ne s’additionnent en termes d’effectifs.
En Occident, cette présupposée substitution permet de ne pas se poser de question sur notre hypermobilité, comme si la baguette magique de la fée électricité se suffisait à elle-même pour résoudre nos nuisances en termes de pollution urbaine et d’émissions de gaz à effet de serre. On oublie toute l’artificialisation des territoires et du vivant que l’activité automobile et les réseaux routiers entraînent. En ce sens, on pourrait indiquer que la première pollution de la voiture électrique est un écran de fumée sur une nécessaire démobilité motorisée du quotidien.
La voiture électrique a par ailleurs d’autres conséquences aujourd’hui relativement passées sous silence. Je pense que l’on n’a pas pris la mesure du caractère dangereux de véhicules dont la capacité d’accélération (que les conducteurs pressés utiliseront), est grosso modo du double de celle des modèles à essence équivalents (il suffit de regarder les durées affichées pour passer de 0 à 100 km/h). Danger qui sera multiplié par une surcharge pondérale de 20 à 30 % qui infligera d’autant plus de dégâts aux tiers…
Et en termes d’usages, pourquoi se refuser à utiliser une voiture électrique pour de nombreux petits trajets urbains que l’on pourrait faire à pied ou en vélo, à partir du moment où on est convaincu qu’elle ne pollue pas ? Sans parler des lycéens qui roulent désormais en petite voiture électrique (sans permis) plutôt qu’en vélo, en scooter, ou en bus ?
Vous évoquez le risque d'un prochain electricgate. Pouvez-vous rappeler ce qu'était le dieselgate dans un premier temps, puis expliquer en quoi la répétition d'un scénario similaire avec la voiture électrique vous paraît probable ? En quoi cet electricgate peut-il avoir un effet positif ?
Le dieselgate est un scandale qui a révélé en septembre 2015 une tricherie avérée d’homologation de voitures diesel par le groupe Volkswagen aux États-Unis (et au Canada), et qui a concerné la commercialisation de près de 600 000 véhicules exagérément polluants en oxydes d’azote. Les mêmes moteurs ont en fait concerné 11 millions de voitures à travers le monde, ce qui donne une idée de l’ampleur du phénomène, même si, compte tenu des écarts de réglementations, le groupe a été bien moins condamné en Europe. L’ordre de grandeur des amendes cumulées est tout de même de 30 milliards de dollars… Le scandale a aussi fait tache d’huile en révélant, dans une moindre mesure, des pratiques douteuses d’autres constructeurs (1: Pour plus de détails sur le dieselgate et les tricheries des constructeurs en la matière, lire l’annexe 3 de Airvore ou le mythe des transports propres, Ecosociété, 2022.1).
Si l’on voulait mettre en parallèle l’histoire du dieselgate avec le risque d’electricgate, on pourrait comparer le titre de « voiture verte de l’année » (green car of the year) obtenu aux États-Unis par le groupe Volkswagen en 2009 et 2010 avec celui de « voiture européenne de l’année », décerné en 2019 et 2022 à deux SUV électriques de plus de deux tonnes et de plusieurs centaines de chevaux. L’homologation « sans émission » de la voiture électrique sonne parallèlement comme une innocuité, là où Volkswagen indiquait dans ses publicités « diesel propre » (clean diesel).
« C’est le messianisme technologique qui prévaut, et l’histoire des transports montre qu’il n’est très souvent qu’un leurre. »
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