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Matthieu Pigasse : «La création monétaire a bénéficié aux banques et aux plus riches»

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  • Matthieu Pigasse : «La création monétaire a bénéficié aux banques et aux plus riches»

    ENTRETIEN - Le banquier d’affaires, ancien directeur général délégué de Lazard Frères, publie La Lumière du chaos (L’Observatoire), un livre dans lequel il s’inquiète de l’explosion des inégalités, pointe les impasses de la mondialisation et plaide pour une reprise en main du politique sur l’économie.

    LE FIGARO. - Au fond, votre livre n’est-il pas une critique de la «mondialisation heureuse» ?

    Matthieu PIGASSE. - Il marque la fin d’une illusion, celle d’une société apaisée et d’une mondialisation heureuse. Nous avons été trop longtemps naïfs, ce qui nous a rendus aveugles à la montée en puissance d’autres régions et aux dangers de délocaliser des productions stratégiques, comme les médicaments, et d’en perdre ainsi le contrôle. Enfin, on n’a pas mesuré le danger d’ouvrir complètement notre économie et d’autoriser des investissements ou des prises de participation dans des secteurs ou des entreprises stratégiques alors que la réciprocité n’existait pas, comme avec la Chine et l’Inde. Le contrôle d’entreprises européennes par des entreprises chinoises était autorisé alors que l’inverse était impossible. J’avais souligné dès 2012, dans mon livre Révolutions, le risque de ce que j’avais alors qualifié de « troisième guerre mondiale économique et stratégique ».

    L’aventure européenne est une idée magnifique et nécessaire. Dans le monde actuel, être ensemble est la seule façon de peser et de défendre nos valeurs humanistes. Mais elle a été construite à l’envers à partir d’une vision technocratique qui oublie les peuples. Une monnaie unique a ainsi été mise en place sans poser d’abord les bases d’une démocratie, d’une participation politique européenne. Il faut un projet commun, et donc construire une Europe politique et sociale, en partant d’un noyau plus restreint que l’UE actuelle. La naïveté avec laquelle la mondialisation a été mise en œuvre en est une illustration, dont le meilleur exemple est l’application de la politique de la concurrence selon une obsession bureaucratique de la protection du consommateur qui a été en réalité négative pour les citoyens européens. Le rapprochement d’entreprises européennes a été interdit au motif qu’elles seraient trop fortes : on a ainsi encouragé la fragmentation de l’industrie européenne tout en laissant entrer des entreprises étrangères de manière excessive.


    Les Gafam constituent une nouvelle puissance inédite. Comment faire pour que le politique reprenne la main ?

    Ces entreprises qui sont de nature à concurrencer directement les États constituent un danger largement sous-estimé. Non seulement elles essaient de reproduire les attributs de souveraineté des États - comme Meta, qui a voulu lancer sa propre monnaie, un des premiers attributs historiques de l’État -, mais elles convoitent aussi des espaces de souveraineté qui leur seraient propres, indépendamment de tout État, dans les eaux internationales par exemple, rappelant la Compagnie des Indes orientales anglaise, qui voulait directement concurrencer l’empire britannique. Face à ces velléités, il faut remettre ces entreprises sous le contrôle étatique, grâce à la régulation et au démantèlement, et reproduire ce que les États-Unis ont fait à partir de la fin XIXe siècle avec les lois antitrust de 1890 et 1914, qui permettaient de scinder une grande entreprise constituée en quasi-monopole en trois ou quatre autres plus petites.


    C’est bien de la création monétaire qui a financé en réalité le « quoi qu’il en coûte ». C’est la démonstration qu’il est possible de distribuer un revenu minimum et de créer de la monnaie sans dommage pour l’économie.
    Matthieu Pigasse
    L’intelligence artificielle est aussi un nouveau vecteur de chaos. On invoque souvent la destruction créatrice de Schumpeter, mais pour le moment, on mesure surtout la destruction…

    Cette révolution n’en est qu’à son début, et il est encore difficile d’en mesurer les conséquences. La combinaison de la robotisation, de la numérisation et de l’intelligence artificielle va conduire à détruire des millions d’emplois dans les sociétés occidentales. On constate aujourd’hui une polarisation des emplois, entre ceux très qualifiés peu nombreux qui vont en effet naître de la révolution provoquée par l’IA (codage, programmation, etc.) , et, à l’autre extrême, ceux précaires très peu payés, de service - ce qu’on appelle l’ubérisation de l’emploi. Cette polarisation oblige à repenser les fondements de notre société car les destructions d’emplois qui vont s’ajouter aux inégalités risquent de provoquer une tragédie sociale : il n’y a ainsi aucune alternative à la distribution d’un revenu minimum par exemple, qui est la seule façon de permettre aux gens de vivre dignement. Cette proposition est une idée très ancienne, dont on trouve l’origine chez Thomas More, philosophe anglais du XVIe siècle.

    Vous dénoncez dans votre livre la société de consommation, le revenu universel n’en est-il pas l’aboutissement ultime ?

    Toutes les expériences internationales qui ont été faites montrent que la distribution d’un revenu minimum universel pour tous, même ceux qui travaillent, n’a pas d’impact sur le taux d’emploi. Grâce au revenu minimum, les gens ne travaillent pas moins, mais ils l’utilisent pour mieux s’éduquer, se soigner et avoir plus de loisirs. Penser qu’ils vont moins travailler est une vision moralisante erronée : d’une part, beaucoup voudront gagner plus que ce revenu, et surtout, il y a dans le travail une autre dimension que celle pécuniaire. Il y a à la fois le fait de donner du sens à ce que nous sommes mais aussi la relation aux autres.


    L’urgence n’est-elle pas plutôt d’investir pour réindustrialiser et renforcer le service public dans les zones en difficulté plutôt que de mettre en place un revenu universel ?

    Bien sûr, mais ce n’est pas incompatible ! Il est nécessaire de distribuer un revenu universel mais aussi, en effet, de mettre en place des programmes d’investissement pour les écoles, les hôpitaux et la transition énergétique, financés grâce à un surplus de création monétaire. L’État n’est pas un agent économique comme un autre : il a, ou devrait avoir, à sa disposition une banque au fonctionnement spécifique, la banque centrale, qui n’est elle-même pas une banque comme une autre, qui peut créer, dans certaines conditions, plus de monnaie.

    C’est ce qui a été fait sans le dire pendant la crise du Covid, véritable changement de paradigme, avec le « quoi qu’il en coûte ». Celui-ci a d’abord été financé par le déficit budgétaire de l’État et l’émission de dette publique, mais cette dette publique a ensuite été achetée en très grande partie par la Banque centrale européenne. C’est donc bien de la création monétaire qui a financé en réalité le « quoi qu’il en coûte ». Le bilan de la Banque centrale européenne, qui reflète la quantité de monnaie qu’elle crée et injecte dans l’économie, est ainsi passé de 4500 milliards en 2019 à 7500 milliards en 2022 : 3000 milliards d’euros de monnaie ont été créés durant cette période, sans inflation. C’est la démonstration qu’il est possible de distribuer un revenu minimum et de créer de la monnaie sans dommage pour l’économie.

    Mais nous constatons déjà les dégâts de l’inflation…

    L’inflation telle qu’on la connaît aujourd’hui n’est en rien liée à la politique monétaire de la BCE. C’est une inflation importée qui résulte de deux chocs exogènes : la dislocation des chaînes logistiques à la suite du choc du Covid, et donc l’augmentation des prix de transport d’une part ; la guerre en Ukraine, qui s’est traduite par une explosion des coûts de l’énergie et des produits agricoles d’autre part. La politique de création monétaire qui a commencé dès 2010, avec le « quantitative easing », a ainsi vu le bilan de la BCE passer de 1000 milliards à 4500 milliards en dix ans sans aucun impact sur l’inflation.

    Les modalités de distribution de cet argent sont cruciales. Pendant la décennie 2010, la création monétaire a été mal distribuée dans l’économie et n’a pas bénéficié aux plus modestes ni à l’investissement, mais aux banques et aux plus riches, en nourrissant la spéculation sur deux types d’actifs : les actions et l’immobilier. Il ne faut pas distribuer cette nouvelle monnaie au moyen des banques, mais par des programmes d’investissements avec des objectifs précis.

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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