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Dans le delta du Mékong, l’eau de mer progresse et le riz disparaît

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  • Dans le delta du Mékong, l’eau de mer progresse et le riz disparaît


    Dans cette région du sud du Vietnam, qui était connue comme l’un des greniers à riz de la planète, la salinité de l’eau pousse de plus en plus d’agriculteurs à se tourner vers d’autres cultures. Un reporter de ce journal néerlandais s’est rendu sur place.

    Les anciennes rizières de Dinh Cong Chien ressemblent à une jungle. Là où des tiges vertes se dressaient autrefois au-dessus de l’eau luisante de l’immense delta du Mékong pousse aujourd’hui un épais verger de reinettes étoilées, mangues et pommes jaques. Dans une barque en bois, le fermier de 63 ans sillonne le réseau de petits canaux pour contrôler sa récolte. “Tout le village est passé aux fruits. Nous n’avons pas eu le choix quand, en 2016, l’eau a commencé à devenir jaunâtre.”

    Il lui avait alors suffi de poser une goutte sur sa langue pour confirmer ses craintes : l’eau était salée. “Le durian est le premier arbre à avoir dépéri. Ensuite, peu à peu, les plants de riz ont jauni, et ils ont aussi fini par mourir.” Dinh Cong Chien estime actuellement la teneur en sel à 0,5 % (soit le seuil de l’eau saumâtre). Il indique du doigt un gros tuyau qui sort d’une digue boueuse. “À 4 %, je reçois une notification sur mon téléphone, et je dois me dépêcher de fermer cette écluse. Sinon, mes arbres fruitiers aussi mourront.”

    Sur la planète entière, les agriculteurs doivent s’adapter au dérèglement climatique. Mais nulle part ailleurs ses effets ne semblent aussi rapides et profonds que dans le delta du Mékong. Cette région agraire du sud du Vietnam, de la superficie des Pays-Bas, joue un rôle central dans l’approvisionnement alimentaire de toute l’Asie. Le pays, troisième exportateur de riz mondial, en fournit des millions de tonnes à des pays comme les Philippines ou la Chine.

    Le delta du Mékong. COURRIER INTERNATIONAL D’APRÈS “TUOI TRE NEWS”

    Mais son delta est littéralement en train de sombrer : le sol s’y abaisse de 4 centimètres par an. Depuis une dizaine d’années, les sécheresses, les inondations et la salinisation mettent son équilibre en péril. Une évolution qui est due en partie à l’activité humaine. Plusieurs centres de recherche et organisations humanitaires du monde entier en recherchent les causes précises et proposent différentes solutions.

    Moitié riz, moitié crevettes


    “La météo est bizarre”, souffle Duon Truong Giang, 34 ans, devant sa maison, près de la mer. “Vous savez qu’ici les tornades ont déjà abîmé 44 maisons ? D’ailleurs, depuis que la foudre est tombée, ma télévision ne s’allume plus.” Mais les changements se font avant tout voir dans ses champs. “Maintenant, je cultive la moitié de l’année du riz, l’autre moitié des crevettes.” Les grosses crevettes bleues se plaisent dans cette eau salée et, de plus, elles ont un rendement “quatre fois meilleur que le riz”. Ici, dans le district de Gia Hoa 2, les rizières inondées laissent la place à la crevetticulture. Çà et là, des filets de pêche pendent à une cahute.

    Vu du ciel, le delta du Mékong n’est pas sans rappeler la Ha Lan – la Hollande. De larges cours d’eau s’écoulent lentement à travers des plaines qui s’étendent à perte de vue ; des bosquets et des villages se dressent dans un assemblage magnifique. Seuls les cocotiers remplacent les ormes néerlandais. Le delta a été peu à peu façonné par le puissant fleuve Mékong qui, chaque année, sort de son lit et laisse en se retirant un limon fertile.

    Les plus de 20 millions d’habitants de cette région, dont certains font partie de la minorité ethnique khmère, sont connus pour leurs excellents produits agricoles et leur mode de vie relax (en tout cas au regard de la norme vietnamienne, où les longues journées de travail sont la règle). Ici, la moindre gargote qui borde une route propose à ses clients une dizaine de hamacs et, après la journée de travail, nombreux sont les fermiers qui se délassent devant chez eux, une pipe à eau en bambou à la main. Or cette idyllique campagne est menacée par la sécheresse, les inondations et la salinisation.

    “Trop de facteurs perturbent la région”


    “Les agriculteurs du delta du Mékong sont habitués aux inondations et aux sécheresses périodiques, mais aujourd’hui trop de facteurs perturbent en même temps la région, au point de menacer les moyens de subsistance de la population”, résume Dang Kieu Nhan, directeur de l’Institut de recherche sur le développement du delta du Mékong à l’université de Can Tho. Il égrène les principales causes du problème. À commencer par le dérèglement climatique, qui rend les conditions météorologiques de plus en plus imprévisibles et extrêmes.

    Viennent ensuite la Chine, le Laos et le Cambodge voisins qui, en construisant des dizaines de barrages le long du Mékong pour produire de l’électricité, réduisent les quantités d’eau et de limon qui se déversent sur le delta. Enfin, il y a le secteur du bâtiment, qui extrait du sable à grande échelle, creusant le lit du Mékong (lequel descend par endroits à 90 mètres de profondeur) et abaissant le niveau de l’eau ; l’agriculture et l’industrie, qui captent des eaux de surface, ce qui fait encore baisser le niveau de l’eau ; et la destruction des mangroves, qui laisse la mer avancer sans obstacle dans les terres.

    “La salinisation, elle, tient avant tout au pompage à grande échelle des eaux souterraines par l’agriculture, l’industrie et les ménages. Ainsi, chaque année, le sol s’enfonce considérablement, tandis que le niveau de la mer monte.” L’eau salée, explique Dang Kieu Nhan, pénètre de plus en plus loin dans le delta. Et l’armada d’écluses et de digues n’y peut pas grand-chose, l’eau salée s’infiltrant sous terre. “Cela contraint les agriculteurs à des adaptations de plus en plus importantes.”

    La fin du grenier à riz


    Le chercheur prend l’exemple d’une méthode moderne, l’hydroponie. Des agriculteurs de toute la région viennent visiter la ferme modèle qui se trouve en bordure du chef-lieu de la province, Can Tho. Là, la terre brune et les canaux sinueux du delta ont laissé place à des rangées et des rangées de tables couvertes d’un toit en bâche en plastique transparent. Laitue romaine, radicchio, moutarde et autres y poussent dans des godets en plastique. Leurs réseaux de racines pâles sont nourris avec de l’eau enrichie en nutriments.

    Dans cette ferme qui ressemble davantage à un laboratoire, la jeune manageuse, Le Thi Kieu Danh, témoigne : “Beaucoup de fermiers sont d’abord méfiants. Mais quand je leur explique que cette méthode permet de faire pousser plus de légumes, de meilleure qualité, avec bien moins d’engrais et d’eau, ils sont très intéressés.” D’après ses informations, une installation hydroponique coûte jusqu’à 40 euros par mètre carré (soit 400 000 euros par hectare).

    Pour la plupart des agriculteurs vietnamiens, c’est trop cher, objecte Dang Kieu Nhan. Lorsqu’on l’interroge sur l’état du delta dans vingt ans, il répond : “Je ne crois pas qu’il disparaîtra sous l’eau, comme certains le pensent.” À son avis, les riziculteurs installés le long de la côte se mettront en masse à produire des crevettes, ceux qui se trouvent plus en amont des fruits, et à l’intérieur des terres (où les inondations et sécheresses sont les dangers majeurs), les agriculteurs alterneront culture du riz et élevage de poissons d’eau douce. “La production de riz va diminuer, c’est inévitable.”

    Dang Kieu Nhan en est convaincu, le delta du Mékong reviendra à son état antérieur, avant que le gouvernement vietnamien ne décide de mettre en culture toute la région pour en faire un des greniers à riz de la planète. “Car aujourd’hui, ce modèle s’avère non viable.”

    Noël van Bemmel
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    ça donne froid dans le dos quand un pays n'arrive plus à cultiver sa denrée principale avec le chamboulement climatique
    Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre.
    (Paul Eluard)

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