Les pays du Golfe, dont l’économie repose sur l’exportation d’hydrocarbures, misent sur les pétrodollars pour investir, chez eux, dans les énergies propres. Une position délicate à défendre selon “Bloomberg.com”, alors que la sortie des énergies fossiles sera l’un des sujets évoqués lors de la 28ᵉ Conférence sur le climat, qui commence le 30 novembre à Dubaï.

Les pays du Golfe sont empêtrés dans leurs contradictions sur le climat alors que les Émirats arabes unis organisent la Cop28. DESSIN D’INKEE WANG PARU DANS “BLOOMBERG”, NEW YORKPartager
À Dubaï [Émirats arabes unis], laisser la climatisation tourner en continu n’a rien d’anormal, même lorsqu’on s’absente pour plusieurs semaines. Dans les Émirats, le prix de l’eau est si bas que certains font couler la douche juste pour le plaisir de l’entendre. Le Qatar, quant à lui, possède les plus grandes pistes de jogging climatisées et en plein air du monde.
Les pays membres du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCG), Arabie saoudite, Koweït, Émirats arabes unis, Qatar, Bahreïn et Oman, ont construit leurs villes sur des terres arides, écrasées de chaleur, au beau milieu du plus grand désert de sable du monde. L’été, les températures dépassent 50 °C, et la région affiche alors la plus forte consommation d’énergie par habitant du monde.
Une tendance qui risque de s’accentuer à mesure que la population de ces pays augmente : elle devrait atteindre 84 millions d’habitants en 2100, y compris les travailleurs étrangers, contre 59 millions actuellement.
Un niveau de vie incomparable… Mais à quel prix ?
Dans cette région du monde depuis longtemps dépendante des revenus du secteur pétrolier public, il ne peut y avoir de croissance sans main-d’œuvre étrangère. Mais pour concilier accroissement de la population et objectifs climatiques, les pays du Golfe devraient fournir des efforts significatifs. Gouvernements et entreprises doivent décupler leur production d’énergies renouvelables tout en limitant le recours aux énergies fossiles. Il faudra adapter les cadres de vie à des chaleurs plus fortes et à une population plus dense. Les habitants, eux, devront s’habituer à payer l’énergie plus cher et à consommer moins.
Oman et les Émirats arabes unis se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, Bahreïn, le Koweït et l’Arabie saoudite d’ici à 2060. Le Qatar ne s’est pas fixé d’objectif. Lorsque Dubaï donnera le coup d’envoi de la COP28, le 30 novembre, le fossé béant entre les objectifs affichés par les pays du Golfe et la réalité risque de frapper les esprits.
“Dubaï résume à lui seul l’impasse dans laquelle se trouve le monde, avec une économie fondée sur l’extraction, la combustion [des hydrocarbures] et la production de déchets”, explique Glada Lahn, chargée de recherche au sein du groupe de réflexion britannique Chatham House.
“C’est une réussite en termes de niveau de vie, mais une calamité en termes de durabilité.”
Lorsque Eman Alseyabi, 23 ans, veut décompresser durant les étés caniculaires d’Abou Dhabi, elle se rend au centre commercial. Dans la capitale émiratie, la température extérieure atteint fréquemment 43 °C, mais le site Internet de Snow Abu Dhabi, qui a ouvert ses portes en juin au centre commercial Reem, promet “une température de -2 °C et 50 centimètres de neige”. Parmi ses vingt attractions réparties sur 9 700 m2, on trouve une piste de luge et un toboggan. Doublez cette superficie et vous obtenez Ski Dubaï, une station de sports d’hiver d’intérieur de 22 500 m2 située dans le centre commercial des Émirats. Oman possède lui aussi sa station de ski géante, et l’Arabie saoudite est sur le point de construire la sienne.
Ce sont les énergies fossiles qui rendent possible la passion des pays du Golfe pour le ski en intérieur. La production de pétrole y est parmi les moins coûteuses du monde, et, grâce aux subventions publiques, le prix de l’essence est l’un des plus bas. L’électricité est aussi subventionnée, si bien que les consommateurs payent environ 6 centimes le kilowattheure, contre près de 30 centimes en Europe et 20 centimes aux États-Unis. Selon une étude du FMI, les subventions accordées au secteur de l’énergie en Arabie saoudite représentaient 7 000 dollars par habitant l’année dernière, soit 27 % de la production économique du pays.
Le pétrole et le gaz sont des piliers de l’économie du Golfe : ils représentent 30 % du PIB des Émirats arabes unis et 40 % de celui de l’Arabie saoudite. D’ici à 2027, quatre compagnies de la région – Saudi Aramco, Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc), Kuwait Petroleum et Qatar Energy – prévoient d’augmenter leur capacité de production d’hydrocarbures de 21 % par rapport à 2021. Une mesure qui leur permettrait de dégager, à elles toutes, 981 milliards de dollars [900 millions d’euros] de bénéfices.
S’ils veulent poursuivre leur croissance démographique sans sacrifier la sécurité économique – ou la planète –, ces pays doivent accomplir deux tâches herculéennes : remodeler leur production d’énergie afin d’y intégrer davantage les énergies renouvelables et repenser leur économie pour la rendre moins dépendante des revenus du pétrole.
Faire baisser le coût du dessalement
Chaque État membre de la CCG s’est fixé un objectif en matière d’énergies renouvelables. Les Émirats arabes unis, qui prévoient de produire 30 % de leur électricité à partir d’énergies renouvelables et nucléaires d’ici à 2030, ont mis en service en 2020 la première centrale nucléaire commerciale du monde arabe, et ils comptent investir 54 milliards de dollars dans la recherche et les infrastructures durant les sept prochaines années.
L’Arabie saoudite souhaite produire 50 % de son électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici à 2030, et Oman 30 %. Bahreïn et le Qatar ont pour objectif 20 %, et le Koweït vise 15 %. Si ces engagements sont tenus, la région disposera d’une capacité de production d’énergie solaire supplémentaire de 80 gigawatts d’ici à 2030, soit la capacité de production d’électricité totale du Royaume-Uni.
Les pays du Golfe ont aussi besoin des énergies renouvelables pour faire baisser le coût du dessalement. Les Émirats arabes unis ont l’une des plus grosses consommations d’eau de la planète, 500 litres par jour et par habitant. Plus de 40 % de l’eau utilisée est dessalée, et la région prévoit de doubler ses capacités de dessalement d’ici à 2030.
Mais tandis que les pays du Nord se ruent sur les énergies renouvelables, ceux du CCG sont nettement à la traîne. Moins de 1 % de l’électricité produite à Bahreïn, en Arabie saoudite, au Qatar ou à Oman provient de sources d’énergie renouvelables, et c’est 7 % aux Émirats arabes unis. À titre de comparaison, la Norvège [grande exportatrice de pétrole] tire 70 % de son énergie de sources peu émettrices de gaz à effet de serre.
Les chefs des États du Golfe commencent cependant à imaginer un avenir où ils ne seraient plus dépendants des recettes pétrolières. À l’approche de la COP28, les Émirats ont infléchi leur discours. Sultan Al-Jaber, président de la COP28 et PDG d’Adnoc, demande aux délégations des quelque 200 pays présents de se fixer pour objectif de tripler le recours aux renouvelables d’ici à 2030.
Une chute de la production pétrolière ? Pas vraiment !
Pour autant, les pays du Golfe ont toujours l’intention d’augmenter leur production d’hydrocarbures et misent sur le captage de CO2 pour pouvoir se permettre de le faire [en réduisant leur empreinte carbone]. L’Arabie saoudite investit des milliards de dollars pour porter ses capacités de production journalières de 12 millions de barils aujourd’hui à 13 millions d’ici à 2027 et pour augmenter sa production de gaz de 50 % dans les dix ans à venir. L’année dernière, l’émirati Adnoc a annoncé un investissement de 150 milliards de dollars sur cinq ans dans des projets pétroliers et gaziers.
Paradoxalement, intensifier les exportations de pétrole tout en misant sur les énergies renouvelables aidera ces pays à atteindre leurs objectifs de neutralité carbone. Tout comme la Norvège, ils exploitent une faille dans la comptabilité internationale du CO2 : le pétrole et le gaz qu’ils produisent ne sont pas pris en compte dans leurs émissions de gaz à effet de serre, qui sont imputées aux pays qui brûlent ces hydrocarbures.
Continuer d’exporter du gaz et du pétrole sera catastrophique pour le climat. L’Agence internationale de l’énergie estime que pour parvenir à la neutralité carbone au niveau mondial d’ici à 2050, et espérer limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C [par rapport au niveau préindustriel], aucun nouveau projet d’extraction ne doit être envisagé en dehors de ceux déjà approuvés en 2021.
“Le plus gros effet [sur le climat] des Émirats arabes unis provient de l’industrie pétrolière et gazière, insiste Tom Evans, du groupe de réflexion britannique E3G. Même s’ils veulent développer les énergies renouvelables au niveau national, les projets d’Adnoc demeurent un problème.” Les pays du Golfe comptent être les derniers exportateurs à rester dans la course. “Leur économie tout entière repose encore sur les exportations de pétrole et de gaz”, ajoute Robin Mills, du cabinet de conseil dubaïote Qamar Energy.
Le tourisme et le sport, piliers de la diversification économique
Pour diversifier leur économie, les monarchies du Golfe se lancent dans d’ambitieux projets afin de devenir des acteurs incontournables du transport aérien, du tourisme et du divertissement. Une opération séduction à plusieurs milliards de dollars. Pour accueillir la Coupe du monde de football en 2022, le Qatar a construit d’immenses stades climatisés.
En janvier dernier, Beyoncé a donné un concert privé à l’occasion de l’inauguration d’un énième hôtel de luxe à Dubaï, et la région organise désormais quatre Grands Prix de Formule 1 particulièrement lucratifs. Récemment, la légende du football Lionel Messi a signé un contrat de 25 millions de dollars pour promouvoir le tourisme en Arabie saoudite.
Jessica Morgan, 30 ans, qui a quitté Londres cet été pour travailler dans un journal à Abou Dhabi, apprécie ce pays en pleine croissance :
“J’ai une piscine, un magnifique jardin et beaucoup d’espace. J’habite à côté des attractions les plus incroyables du monde.”
De nombreux expatriés travaillent dans le divertissement ou l’hôtellerie. Breanna Alsouissi, web designer de 35 ans, originaire de Fort Worth, au Texas, a emménagé à Riyad cette année pour suivre son mari qui travaille dans le secteur du golf. La nourriture et le système de santé sont meilleurs ici, et la vie y est moins chère. Les armes à feu ne sont pas un problème. “Je me sens plus en sécurité à Riyad”, assure-t-elle.

C’est dans les pays du Golfe que la production de pétrole est parmi les moins coûteuses du monde.
DESSIN DE DEREK BACON. ROYAUME-UNI. IKON IMAGES
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