Le motoriste français a signé un nouveau partenariat avec le gouvernement marocain pour développer les activités aéronautiques et leur montée en gamme. Cela va aussi lui permettre de tenir le rythme de la remontée des cadences voulu par Airbus.
Safran poursuit l’extension de son empreinte internationale. Après la présence historique de plusieurs de ses marques en Malaisie et à Singapour, après l’implantation de dix-huit sites au Mexique, c’est au tour du Maroc d’être l’objet de toutes les attentions du motoriste. « Le Maroc est un élément stratégique pour le groupe Safran », a reconnu, mercredi 6 décembre, Olivier Andriès, directeur général de Safran, à l’occasion d’un déplacement à Casablanca pour signer « un accord-cadre » de développement des activités aéronautiques avec le royaume chérifien.
Avec Airbus, le motoriste donne le la à 142 entreprises et 20 000 salariés implantés principalement à Casablanca mais aussi à Rabat. De l’autre côté de la Méditerrannée, Safran se veut une locomotive pour « développer autour de lui, au Maroc, un écosystème de PME-PMI à l’exemple de Figeac Aero ». En octobre, l’équipementier pour l’aéronautique, installé dans le Lot, a signé un accord de 30 millions d’euros pour la fourniture de pièces métalliques à Safran.
Pour le patron du motoriste, le Maroc présente l’avantage « d’une proximité géographique avec la France, une efficacité opérationnelle et économique, et les coûts y sont plus faibles » qu’en France, les salaires mensuels moyens des techniciens ne dépassent pas les 460 euros. En pratique, à chacune des implantations du motoriste est dévolue une aire géographique. La Malaisie et Singapour fournissent l’Asie en pièces et en moteurs, le Mexique est chargé de l’Amérique tandis que le Maroc a l’Europe en ligne de mire.
Il n’est pas question d’« usines tournevis ». Maria El Filali, directrice générale du Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (Gimas), refuse « les délocalisations et veut du développement ». Elle rappelle que « l’Etat marocain a conditionné ses aides à la mise en œuvre de programmes d’avenir ». Son mot d’ordre est « intégration », c’est-à-dire la réalisation de A à Z d’éléments d’un avion. L’implantation de Safran Nacelles, la division qui fabrique l’ensemble support et capot des moteurs, dans une usine à la périphérie de Casablanca, répond à cette demande. Mais, paradoxalement, le site de production est né, en 2005, de la volonté d’Airbus de réinternaliser certaines activités, dont la fabrication des nacelles. A l’époque, l’avionneur trouvait que ses fournisseurs gagnaient trop d’argent à son détriment. Refusant de perdre une production, un chiffre d’affaires mais aussi un savoir-faire, Safran a proposé de les fabriquer à moindre coût à Casablanca.
« Jouer dans la cour des grands »
Au Maroc, l’aéronautique est à la pointe de l’émancipation et de la promotion des femmes. Après le Gimas, dirigé par Mme El Filali, c’est une femme, Wassima El Moutaouakil, ingénieure de formation, qui s’est vue confier, chez Safran Nacelles, la direction de l’unité à la pointe de la technologie, celle spécialisée dans les composites. Pour le motoriste, Safran Nacelles à Casablanca est un enjeu d’importance. L’usine est un « site miroir avec celle du Havre [Seine-Maritime] », explique M. Andriès.
Le Maroc est chargé de produire, avec la même qualité et la même ponctualité, 60 % des nacelles des moteurs Leap des A320neo de nouvelle génération quand celle du Havre conserve 40 % de la production, indique le patron de Safran. En clair, la création de l’usine à Casablanca a préservé celle du Havre. En 2024, le motoriste prévoit de sortir de ses chaînes 745 nacelles, dont 450 à Casablanca. Preuve de la montée en gamme du Maroc, à Casablanca, Safran Nacelles ne fabrique pas seulement les enveloppes des moteurs de l’A320neo mais aussi celles des Gulfstream, des avions d’affaires de luxe, vendus plus de 70 millions de dollars l’unité (65 millions d’euros).
Comme le répète Mme El Filali, « l’aéronautique fait partie, avec l’électronique et l’automobile, des trois secteurs définis par le Maroc » pour s’imposer comme un partenaire à part entière du tissu industriel européen. Outre 1 000 ingénieurs par an dont plus de la moitié de femmes, l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA), financée notamment par les industriels du secteur, forme chaque année plus de 1 000 techniciens qui ont un contrat d’embauche avant même de commencer leur stage de formation. Désormais, « on vient au Maroc pour jouer dans la cour des grands », se rengorge la patronne du Gimas. « Nous sommes victimes de notre succès. On vient même de l’étranger pour débaucher nos techniciens », ajoute-t-elle. A elle seule, l’IMA a déjà formé 10 000 des 20 000 salariés du secteur aéronautique au Maroc.
Pour Safran, cette usine va aussi lui permettre de tenir le rythme de la remontée des cadences voulu par Airbus. L’an prochain, le groupe industriel dirigé par Olivier Andriès prévoit de produire 2 000 moteurs, soit 20 % de plus qu’en 2023. « Cela nous permettra de répondre aux besoins d’Airbus et de Boeing », ajoute le directeur général. Les deux avionneurs ont déjà prévu d’augmenter leurs productions. Boeing veut sortir cinquante-sept 737 Max par mois en 2025, tandis qu’Airbus espère soixante-cinq A320neo par an en 2025 puis soixante-quinze par mois dès 2026. Au risque de mettre à mal des fournisseurs déjà éprouvés par le passage de la pandémie de Covid-19. Prudent, le patron de Safran invite les deux avionneurs à « rester réaliste ». A l’en croire, pour 2024, une interrogation s’impose : « A quel rythme, la chaîne de sous-traitants va-t-elle être capable de suivre ? »
Guy Dutheil