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Crise du logement : face à la pénurie de locations, les dossiers falsifiés deviennent monnaie courante

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  • Crise du logement : face à la pénurie de locations, les dossiers falsifiés deviennent monnaie courante

    Dans les zones tendues, trafiquer ses fiches de paie est souvent perçu comme le seul moyen de décrocher un appartement. Un phénomène qui touche désormais des personnes disposant d’un revenu confortable.

    Par Véronique Chocron


    Avec leurs revenus confortables, ils ne rencontrent aucune difficulté à payer leur loyer de 1 400 euros par mois pour un deux-pièces en proche banlieue de Paris. Pourtant, Robinson (tous les prénoms de cet article ont été changés), 27 ans, qui enchaîne un deuxième contrat à durée déterminée (CDD) long dans une grande société, et sa compagne, qui travaille en indépendante, ont falsifié leur dossier pour décrocher leur logement, en octobre. « C’est triste d’en arriver là, mais, si nous avions été honnêtes, nous n’aurions eu aucune chance de trouver – et même comme ça, il a fallu s’accrocher », justifie le jeune homme.

    Lui a demandé à un copain graphiste de falsifier une copie de son contrat de travail pour le transformer en contrat à durée indéterminée (CDI) et de retoucher ses fiches de paie pour que la jointure entre ses deux CDD passe inaperçue. Elle s’est fait passer pour une étudiante et a demandé à ses parents de se porter garants, pour ne pas avoir à faire état de revenus irréguliers. L’agence immobilière Foncia n’y a vu que du feu. Le jour de la visite, « nous avions un petit stress, raconte Robinson. Nous avions inventé une légende pour ma copine, au cas où l’agent immobilier lui poserait des questions sur ses sujets d’études. On s’était dit que si l’on se faisait gauler, au pire on serait blacklistés chez Foncia ». Le couple n’a pas eu de scrupules à « embellir » son profil. « Autour de nous, tout le monde fait ça », disent-ils.

    A en croire les réseaux d’agences immobilières, la falsification des dossiers des candidats à la location est en effet devenue un phénomène massif. « Des faux, il y en a toujours eu, et l’on était en particulier habitués aux dossiers faux de A à Z, présentés par des personnes qui ne travaillent pas. Mais, depuis le mois d’août, on constate une recrudescence des dossiers arrangés : il s’agit du bon employeur, de la bonne fonction, mais le salaire et l’ancienneté sont retouchés », témoigne Paul Pereira, directeur de deux agences Century 21, à Drancy et au Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis. Ici, un quart des dossiers déposés par des candidats à la location sont considérés comme faux.

    « Lorsque les dossiers sont arrangés, ça ne veut pas dire que le candidat sera un mauvais locataire ou un mauvais payeur, mais c’est un comportement qui résulte d’une situation de marché, estime l’agent immobilier. Aujourd’hui, dans les grandes villes, et particulièrement en Ile-de-France, on peut avoir un bon emploi, un bon salaire et ne pas avoir accès à la location. »

    « Une certaine détresse »


    Une analyse partagée par le groupe Guy Hoquet, où l’on estime qu’un dossier sur cinq présente une incohérence. « C’est un bulletin de salaire dont on change la date, car on a eu une prime ce mois-là, ou un salaire revu à la hausse », explique Laura Morisset, responsable du métier gestion et location pour le réseau d’agences Guy Hoquet, qui estime que le nombre de faux documents présentés a augmenté de 30 % entre 2021 et 2023.

    S’il n’y a pas de profil type pour les falsificateurs, « car l’inflation a touché tout le monde », elle note qu’il est « beaucoup plus difficile d’accéder à un logement lorsque l’on ne rentre pas dans les cases, donc quand on n’a pas de CDI – avec des revenus de trois fois le montant du loyer – ou quand on est en période d’essai ». De quoi entraîner « une certaine détresse qui peut amener vers la falsification des dossiers. Ce n’est bien entendu pas normal de frauder, mais certains ont l’impression qu’ils n’ont pas le choix. Le fait est qu’il n’y a pas assez de logements en France », tranche Laura Morisset.

    La tension sur le marché locatif, conséquence de la crise du logement à l’œuvre depuis un an, explique largement la forte hausse des falsifications. Le phénomène de pénurie de logements, qui frappe essentiellement les zones attractives du territoire – les métropoles et le littoral –, provoque en effet une très forte concurrence entre les candidats.

    Les professionnels de l’immobilier observent, depuis plus d’un an, un net ralentissement des ventes de logements, dû à la hausse rapide des taux d’intérêt, qui ont réduit drastiquement le pouvoir d’achat des ménages. Ces derniers ont massivement renoncé à se lancer dans un projet immobilier et n’ont donc pas libéré leur logement en location, empêchant d’autres personnes de devenir locataires à leur tour.

    Trafiquer son dossier n’est pas un gage de succès


    La législation interdisant la mise en location des logements les plus mal isolés et énergivores (« passoires thermiques ») et la vague de transformations d’appartements en meublés touristiques, alimentée par le succès d’Airbnb, participent au grippagedu marché. Si bien que, en septembre, le site immobilier Particulier à Particulier (PAP) a vu ses offres de locations chuter de 15 % au niveau national (− 17 % en Ile-de-France), tandis que la demande progressait de 17 % (et de 20 % en région parisienne). Les agences Guy Hoquet reçoivent encore aujourd’hui plus de cent appels dans l’heure lorsqu’elles affichent une nouvelle annonce en Ile-de-France.

    La tension sur le marché locatif est telle que trafiquer son dossier n’est pas un gage de succès. Héloïse, 32 ans, en CDI, cherche à quitter son 42 mètres carrés dans le 11e arrondissement de Paris, devenu trop cher après la revalorisation de son loyer, passé de 1 190 euros à 1 333 euros par mois entre 2020 et aujourd’hui. « Donc, je cherche plus petit. Comme j’étais en congé sans solde ces derniers mois, j’ai falsifié mes dernières feuilles de salaire », explique-t-elle. Elle a décroché deux visites. Mais, en dépit de son salaire de 2 800 euros net par mois et de parents fonctionnaires qui se portent garants, elle n’a pas été retenue. « C’est humiliant d’avoir le sentiment d’être à nouveau précaire, dit Héloïse, alors que j’ai un bon salaire, que je suis cadre dans une entreprise prestigieuse et que je cherche… un studio. »

    Même difficulté pour Félix, 24 ans, qui vient de terminer ses études, travaille dans l’audiovisuel à Paris et cherche, depuis le mois d’octobre, une chambre en colocation avec un copain pour se donner plus de chances. « J’ai repéré une annonce sur Leboncoin, un appart apparemment super. La propriétaire ne voulait pas de colocation, mais était ouverte aux couples homosexuels. On a donc fait un dossier en disant que l’on était en couple, ce qui n’est pas le cas », raconte Félix, aujourd’hui en sous-location, après avoir loué un Airbnb pendant un mois et demi. Il n’a finalement même pas pu faire la visite. « Il faut parfois s’inventer une vie, se désole-t-il, et je trouve ça déprimant d’avoir cette impression d’insécurité dans une ville où il y a tellement d’appartements vides, dont certains gardés pour les JO. »

    Le stress de ne pas trouver à se loger est tel que certains falsifient des documents pour une broutille. « J’avais un CDD un peu bizarre de onze mois et je l’ai “photoshopé” pour qu’il passe à douze mois, je trouvais que onze mois ça ne donnait pas très envie », explique ainsi Julien, entré sur le marché du travail en septembre avec un diplôme de Sciences Po Grenoble. Parfois, il s’agit pour les candidats à la location de gagner quelques mètres carrés. « La dernière fraude en date, ce mois-ci, concerne un jeune couple, très poli. Lui est fonctionnaire et elle est une employée qui a changé le montant de son salaire de 1 400 à 1 640 euros, ce qui leur permettait de viser un loyer de 70 euros plus cher, rapporte Paul Pereira. On s’en est rendu compte à la remise des clés, lorsqu’on leur a demandé l’original de l’attestation de l’employeur. »

    Contrôles renforcés


    Au fur et à mesure que la triche aux dossiers s’est développée, les agents immobiliers ont renforcé leurs contrôles et exigé de nouvelles garanties. Dans les agences Laforêt d’Etampes et d’Arpajon (Essonne), la gérante, Angélique Mathieu, fait quasi systématiquement signer à ses clients des autorisations d’appeler leur employeur. « Si l’on me donne un numéro de portable et que l’on tombe sur un copain ou une copine de celui qui a déposé un faux dossier, on va sur le site Societe.com et l’on demande, par exemple, la date de création de la société », dit-elle. Plusieurs indices peuvent lui mettre la puce à l’oreille, particulièrement s’il y a des incohérences entre les revenus bruts, nets, et les cotisations sociales.

    Chez Guy Hoquet, on expérimente aujourd’hui dans les agences volontaires la solution Vialink, qui, par le biais d’un outil d’intelligence artificielle, permet de vérifier plus d’une centaine de points de contrôle en croisant les bulletins de salaire, l’avis d’imposition, la pièce d’identité ou encore les données publiques disponibles, comme celles de Societe.com. Pour rétablir la confiance entre locataires et propriétaires, une start-up d’Etat, dénommée DossierFacile, offre également aux propriétaires une vérification de certaines pièces, notamment l’authentification de l’avis d’imposition. A chaque fois, il s’agit aussi bien de lutter contre les faux dossiers vendus clés en main sur Internet par des escrocs pour quelque 180 euros que de pister les retouches artisanales sur Word ou sur Photoshop.

    En théorie, ce délit de faux, comme l’usage de faux, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. En réalité, « je n’ai jamais vu une agence se retourner contre le locataire pour faux », reconnaît Laura Morisset. Lorsque les propriétaires bailleurs souscrivent une garantie des loyers impayés, il revient à l’assureur d’indemniser, puis de recouvrir la somme auprès du locataire défaillant. Là encore, il est « très rare que l’assureur mène une action pour faux, mais cette possibilité de sanction peut être utilisée comme un levier pour recouvrer les sommes », explique Maud Van Vynckt, directrice de Saint Pierre Assurances, un courtier spécialisé en immobilier.

    Parce que les propriétaires se montrent toujours plus inquiets des impayés de loyers, les assureurs couvrant ce risque s’imposent progressivement et, selon Laura Morisset, « norment les profils des locataires », en exigeant des garanties strictes. Celles-ci « paraissent largement disproportionnées » aux yeux de David Rodrigues, responsable juridique à l’association de consommateurs Consommation logement et cadre de vie. « Il y a là une question sociétale à se poser », avance Paul Pereira, le directeur d’agences Century 21 en Seine-Saint-Denis, en soulignant que, chez lui, le taux d’impayés reste inférieur à 3 %.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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