Largement devancée par Pékin dans la course à l’électrique, l’Union européenne ne pourra concrétiser ses objectifs climatiques qu’au prix d’une considérable dépendance à la Chine. Une perspective à laquelle souscrit la Hongrie de Viktor Orban, analyse ce chroniqueur magyar.
L’essor des voitures électriques chinoises restreint la puissance économique de l’Union européenne (UE) et sa marge géopolitique. L’UE reconnaît lentement ne pouvoir atteindre ses objectifs climatiques, parmi lesquels l’augmentation de la part de voitures électriques, qu’au moyen d’une significative dépendance à la Chine, susceptible d’affaiblir l’industrie européenne et d’augmenter les risques sécuritaires. Cependant, la politique industrielle de l’UE reste incertaine. C’est pourquoi, entre autres, l’engagement de la Hongrie envers les sous-traitants et les fabricants chinois est hasardeux.
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Les plus grands fabricants de voitures électriques sont chinois. La Chine est le plus grand marché mondial. Les Chinois dominent les secteurs clés de la chaîne d’approvisionnement, parmi lesquels la production de batteries. La Chine a identifié dès les années 2000 les batteries comme technologie déterminante, et a largement encouragé la fabrication de batteries et de voitures électriques avec des crédits d’État, des investissements ciblés, des déductions fiscales et autres incitations. Parallèlement, les fabricants occidentaux se sont accrochés aux moteurs thermiques. Il a fallu plus de dix ans, la pandémie de coronavirus et la guerre en Ukraine pour que les États-Unis et l’UE repensent leur stratégie et empruntent une voie similaire à la Chine.
Les perspectives des fabricants occidentaux sur les marchés chinois et européen sont mauvaises. Premier danger, notamment pour les fabricants allemands : perdre des parts sur le marché chinois, où ils étaient auparavant importants. Volkswagen n’a jamais vendu aussi peu en Chine depuis 2012, mais les ventes de Nissan et de Hyundai chutent aussi lourdement, tandis que les concurrents chinois se renforcent.
Crainte d’une guerre commerciale
L’autre danger : l’apparition des Chinois sur le marché européen. En 2019, seules 0,5 % des voitures électriques vendues étaient chinoises. En 2023, la part atteignait 8,2 %. Pour l’Europe, c’est problématique non seulement du point de vue du poids de son industrie automobile, mais aussi parce que la transition vers l’électrique figure parmi ses objectifs climatiques. Faute de capacité européenne, cette perspective n’est imaginable qu’avec une prédominance des voitures ou des pièces chinoises.
Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que l’UE ait lancé, au début de septembre 2023, une enquête ciblant les fabricants chinois. Ce faisant, l’Union a admis l’existence du problème, mais également l’incapacité de son industrie automobile à concurrencer les Chinois sans puissante intervention publique. L’éventuelle élévation des droits de douane, envisagée comme solution, ne suscite pas l’unanimité. Les industriels allemands craignent la naissance d’une guerre commerciale et la poursuite de la baisse de leurs ventes chinoises. L’UE peut réduire l’importation de voitures montées en Chine, mais cela ne règle pas le problème le plus épineux. En l’occurrence, la domination de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement.
Trois pistes douloureuses s’offrent à l’UE : développer sa propre industrie automobile, abandonner les objectifs climatiques, ou accepter qu’ils ne soient réalisables qu’avec une importante implication chinoise.
Restrictions nationales et européennes
La première nécessite une stratégie continentale. Il y a de quoi néanmoins se demander si l’UE dispose des capacités politiques pour un programme qui, de l’extraction de matériaux bruts asiatiques et africains aux unités d’assemblages européennes, harmonise toutes les considérations économiques, politiques et écologiques sans s’aliéner ses partenaires. Les positions de la France et de l’Allemagne, les deux géants européens du secteur, ne donnent guère d’espoir.
En mai, la France annonçait son propre plan industriel, incluant entre autres des aides à l’achat de voitures électriques issues de pays respectueux des règles écologiques (la Chine n’en fait bien sûr pas partie). Depuis, la France a annoncé d’autres aides, encourageant de même la production nationale. Le pack français montre que les restrictions nationales et européennes peuvent pénaliser les partenaires de l’UE. La Corée du Sud, concernée à cause de Hyundai, s’est élevée contre le dispositif français.
L’Allemagne, à l’inverse de la France, doit réduire les aides de l’État. La Cour constitutionnelle allemande a amputé de 60 milliards d’euros les dépenses de protection de l’environnement. Le pays ne peut donc ni participer à un programme européen ni soutenir sa propre industrie.
Abandonner ou assouplir les objectifs climatiques ?
Une politique encourageant la fabrication intra-UE s’accompagnerait d’un autre genre de défi : produire européen coûterait sans doute plus cher que la solution alternative chinoise à cause des règles environnementales plus strictes, du personnel mieux payé, et du réseau moins développé de sous-traitants. Cette majoration retomberait forcément sur les consommateurs.
Abandonner ou assouplir les objectifs climatiques donnerait du temps aux fabricants européens et ne serait pas sans précédent. À la fin de mars [2023], pour favoriser l’industrie allemande, l’UE a autorisé la vente après 2035 de certains véhicules thermiques. Pour autant, l’allègement des objectifs climatiques serait un camouflet pour les partis verts (notamment allemand) et l’UE, engagée dans la transition écologique.
Troisième solution : accepter la dépendance chinoise à long terme. Mais difficile d’imaginer que les États-Unis approuvent. Il semble en outre de moins en moins probable que l’Union emprunte cette route sans pression extérieure. Les risques sécuritaires de la dépendance sont devenus un sujet de réflexion aux yeux des États membres.
Le pari chinois de la Hongrie
Ainsi, il paraît encore plus étrange que la Hongrie ait choisi sans hésiter la dépendance chinoise. Le Premier ministre, Viktor Orban, espère avoir pris les devants dans une situation compliquée et correctement prédit l’avenir de l’UE. Mais ce pari n’a pas vraiment été payant. Et, même si le calcul d’Orban fonctionnait, cela n’explique toujours pas pour quelle raison cette stratégie, dont les frais sont palpables mais les bénéfices moins visibles, servirait la Hongrie. En attirant les fabricants chinois de batteries et voitures électriques, Orban s’oppose aux intérêts européens et américains. Cette stratégie n’offrira pas plus que quelques projets de construction à l’économie hongroise, tandis que le pays brade ses ressources naturelles.
Quelles que soient la stratégie industrielle de l’UE ou la destinée de l’industrie automobile européenne, le rôle de l’État comme surveillant du marché semble condamné. Reste désormais à savoir comment l’Union peut intervenir et protéger son industrie automobile face aux concurrents chinois. Pour l’heure, l’Union n’a aucune réponse clé en mains. Dans ce contexte incertain, le choix hongrois des batteries et des voitures chinoises s’apparente à une décision contestable sur les plans économique et environnemental ainsi qu’à un bonneteau politique.
Balázs Thaler
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