« Nous ne pouvons pas sauver une planète en feu avec une lance à incendie remplie de combustibles fossiles », déclarait António Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, en décembre 2023. Pourtant, de nombreuses banques continuent d’alimenter l'incendie en finançant les compagnies gazières et pétrolières. Le patron de JP Morgan a d'ailleurs déclaré que se retirer de tels contrats « serait la voie de l'enfer pour l'Amérique », et demande un « reality check » sur le coût de la sortie des énergies fossiles. Une demande purement rhétorique, puisque le coût des 40 dernières années de procrastination et de la poursuite de la perfusion de l’économie avec des énergies carbonées est d’ores et déjà estimé à 20 points de PIB mondial par an d’ici 25 ans. Avec un consensus scientifique limpide : mettre fin à l’ère des combustibles fossiles est indispensable pour contenir le réchauffement sous +1,5 ou +2 °C.
Les industriels ignorent les faits en développant leurs activités avec le soutien des banques et sous le prétexte d’une demande toujours solide. Ce sont 7 000 milliards de dollars qui ont été financés par les banques mondiales depuis l’Accord de Paris en 2015 pour l'expansion de projets pétrogaziers. Dans le même temps, près de la moitié de l’humanité vit déjà dans des zones sensibles au changement climatique. Cinq millions de personnes meurent chaque année à cause de la pollution due aux combustibles fossiles et 250 000 morts supplémentaires par an sont attendues dans les cinq prochaines années.
Même si les montants sont en baisse en 2023 et malgré leurs engagements, les banques françaises ont contribué à financer plus de 500 milliards d’euros d’investissements entre 2016 et 2023. Certains des projets concernent l’expansion des activités des compagnies pétrolières, en opposition frontale avec leurs engagements sur la neutralité carbone en 2050… et le maintien d’une planète respirable pour les générations futures.
La sortie des énergies fossiles est indispensable pour limiter les effets du réchauffement climatique
« Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de coopération mondiale au sujet d’une des questions les plus complexes auxquelles l’humanité s’est confrontée. Pour la première fois, tous les pays du monde se sont engagés à infléchir la courbe des émissions, à renforcer la résilience et à faire cause commune pour prendre des mesures climatiques communes. »
Son objectif premier est de maintenir l'augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de +1,5/2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Selon le GIEC, le franchissement du seuil de +1,5 °C provoquerait des épisodes extrêmes de chaleur dans la plupart des zones habitées, une augmentation de la fréquence des fortes précipitations, des sécheresses, la fonte des calottes glaciaires, une augmentation du niveau de la mer, la disparition de nombreuses espèces, etc.
Pour avoir une bonne probabilité de limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C, il faut réduire de presque moitié les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 – 43 % de baisse par rapport à 2019 – et atteindre la neutralité carbone en 2050. Cet objectif requiert le quasi-abandon de l’usage des combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz), dont le CO2 issu de leur combustion, premier responsable de l'augmentation de la température, s’accumule dans l’atmosphère.
En 2021, l’Agence internationale de l’énergie le répétait : « pas de nouveaux champs de pétrole et de gaz approuvés pour le développement » et « aucune nouvelle mine de charbon ou extensions de mines au-delà des projets déjà engagés » d’ici à 2050 pour atteindre la neutralité. Or, depuis l’Accord de Paris fin 2015, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter. Signe des temps, la conjonction des derniers records d’émission avec le phénomène El Niño a conduit à faire de 2023 l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec une température moyenne de surface mondiale 1,45 °C au-dessus de la moyenne préindustrielle (1850-1900).

« Notre responsabilité face à l'Histoire est immense » avait déclaré Laurent Fabius à l’issue de la COP21. Pourtant, les émissions de CO2 demeurent sur une trajectoire incompatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. Les pays ne respectent pas leurs engagements à réduire leurs émissions, tant et si bien que sans réductions désormais drastiques de l’usage des combustibles fossiles, le climat est sur la voie d’un réchauffement catastrophique de +3 °C d’ici 2100. Cette sortie des énergies fossiles est notamment entravée par les banques, qui continuent de financer les développements des compagnies gazières, pétrolières et charbonnières.

La dernière COP28 de Dubaï avait acté un flou « transitioning away from fossil fuels » pour les systèmes énergétiques dont la traduction dans un compte rendu de l’ONU ne lève pas vraiment l'ambiguïté. Il y est mentionné que les parties (ndlr les pays) sont invitées à accélérer les efforts « qui favorisent la transition vers l’abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques, de manière juste, ordonnée et équitable, les pays développés continuant à jouer un rôle de chef de file ». Comme pour l’horoscope, chacun y verra ce qu’il voudra bien y voir…
Simon Stiell, secrétaire exécutif d’ONU Climat, y a vu de l’espoir : « Bien que nous n'ayons pas tourné la page de l'ère des combustibles fossiles à Dubaï (COP28, ndlr), ce résultat marque le début de la fin. Maintenant, tous les gouvernements et les entreprises doivent transformer ces engagements en résultats économiques réels, sans tarder ». Un élan d’optimisme partagé par François Gemenne (politologue, spécialiste climat et migration, professeur à HEC) qui avait relevé une prouesse diplomatique de rassembler tous les pays sur une trajectoire post fossile et le signal aux industries et aux marchés.
Les scientifiques, habitués des faits et d’une réalité non travestie, en avaient une interprétation plus pessimiste, étayée par une argumentation impitoyable. Valérie Masson Delmotte, ancienne directrice du groupe 1 du GIEC, climatologue et membre du Haut conseil pour le climat, avait rappelé que les promesses de réduction des émissions de gaz à effet de serre des États d’ici à 2030 n’aboutissaient qu’à une baisse entre -2 et -5 %. Or, ce sont -40 % qu’il faudrait pour limiter le réchauffement à +1,5 °C et -25 % pour rester sous +2 °C. La COP28 a donc en quelque sorte acté le décalage entre promesses politiques et l'objectif fixé par les accords de Paris.
La scientifique avait également relevé que l’abandon des énergies fossiles se référait aux systèmes énergétiques, ce qui laissait encore la possibilité de les utiliser pour faire du plastique avec des conséquences environnementales dramatiques. Sans oublier que l'accord de la COP28 autorise l’utilisation des énergies fossiles avec « abattement », un moyen de prolonger l’usage des énergies fossiles avec la promesse de la capture et du stockage de carbone – à ce jour un pari sur l’avenir avec une solution technique non éprouvée. Tout ce flou qui pourrait encore profiter aux banques… et aux compagnies pétro-gazières.
Pendant ce temps, 7 000 milliards de dollars des banques irriguent le développement des énergies fossiles
L’année 2023 a marqué un cap dans le réchauffement climatique avec le franchissement des +1,5 °C en moyenne annuelle planétaire pour la première fois.

En cause, les combustibles fossiles, dont les extractions continuent voire se développent grâce aux banques internationales, y compris des banques françaises. Des banques qui agissent à rebours de la science climatique et de leurs propres engagements, suite à l’adhésion à la Net-Zero Banking Alliance (NZBA), « un groupe de banques leaders mondiaux qui s’engagent à financer une action climatique ambitieuse pour la transition de l’économie réelle vers zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050 ».
Depuis l’Accord de Paris en 2015, ce sont 7 000 milliards de dollars qu’elles ont consacrés au développement des énergies fossiles. Selon l’édition 2024 du rapport Banking on Climate Chaos, c’est le montant cumulé des financements des soixante plus grandes banques mondiales accordés aux projets de plus de 4 000 entreprises du secteur des énergies fossiles. Un chiffre stratosphérique qui reste cependant conservateur, car il existe des sources de financement pour ces entreprises qui ne sont pas couvertes par le rapport...

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