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Greenwashing des États : la grande fable de la « transition » écologique

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  • Greenwashing des États : la grande fable de la « transition » écologique

    Comme les firmes transnationales, les États recourent à divers moyens pour exagérer la portée de leurs actions et dissimuler leurs nuisances en matière d’écologie. De « Grenelle de l’environnement » en « Convention pour le Climat », de proclamations de la « fin de l’abondance » aux réformes tuées dans l’œuf, et de « sommet de la dernière chance » en « accord historique », ils persistent dans la même direction productiviste, extractiviste et de surconsommation tout en prétendant le contraire.


    Par Laurent Ottavi



    Dans la grande majorité des cas, le terme anglais de « greenwashing », par lequel est désignée toute pratique, volontaire ou non, qui consiste à faire croire à une action écologique ou à l’exagérer, s’applique seulement aux entreprises, même s’il est de plus en plus employé à propos des influenceurs. Il pourrait pourtant aussi servir à qualifier la conduite et la communication des États en général, et de l’État français en l’occurrence, dans la mesure où ceux-ci ne tiennent pas plus leurs engagements verts que les firmes transnationales (et les nombreuses autres entreprises cherchant, comme dans bien d’autres domaines, à tirer leur épingle du jeu dans le modèle imposé par les premières).

    Le « storytelling » des représentants contient tout un champ lexical, partagé dans des proportions variables par leurs opposants, très révélateur de leur absence de volonté politique, et s’accompagne de multiples tactiques pour dissimuler leur inaction ou feindre la puissance de feu de leur « lutte » présente et à venir.

    La tactique du chiffon rouge


    Le greenwashing étatique, et des hommes politiques au sens large, consiste pour une bonne partie à détourner les yeux du caractère systémique des enjeux écologiques. Leur focalisation sur le réchauffement/dérèglement climatique, la très abstraite protection de « l’environnement » ou la très lointaine préservation de la « planète » a en effet tendance à occulter les liens entre les domaines écologiques, économiques, sociaux, politiques ou encore anthropologiques.

    Elle masque aussi l’intrication des différents « dossiers » : l’effondrement de la biodiversité, la rareté des ressources aussi bien en termes de terres, d’eau ou de matériaux, l’artificialisation et l’appauvrissement des sols, la perturbation des cycles de l’eau douce et l’épuisement des nappes phréatiques, la montée du niveau de la mer et son réchauffement, la standardisation des cadres de vie, la déforestation, les exodes de population, etc.

    Cette double réduction du spectre, typique d’une approche d’expert qui découpe la réalité en tranches, a l’avantage de ne pas inviter à se questionner sur le mythe du Progrès, la viabilité du capitalisme mondialisé et même du capitalisme tout court, l’industrialisation, la surabondance d’objets, l’assimilation de la liberté et de l’autonomie à un déracinement et à une « délivrance des nécessités de la vie quotidienne », une certaine conception de « la Science », la mise en nombre du monde, les technologies et la fascination qu’elles exercent, la démesure des grandes villes, des grandes entreprises et des grandes organisations, la déterritorialisation, ou encore un rapport utilitariste, d’exploitation et de marchand à la nature.

    Elle permet de soutenir l’idée que le verdissement de nos modes de vie, de nos biens matériels et de notre « système » est non seulement possible, mais qu’il s’accomplirait déjà de façon progressive, précisément comme des mises à jour sur ordinateur. Tel est le sens des expressions, mises en avant par les gouvernements, de « développement durable », de « croissance verte » ou de « transition », qu’elle soit énergétique, alimentaire ou bien écologique – et même numérique, celle-ci étant tenue pour un équivalent de « transition climatique » au niveau européen.

    La dernière des trois notions laisse entendre que des changements profonds peuvent être injectés de manière homéopathique par le haut, écartant la perspective d’une rupture avec un ordre en train de saturer. À l’image des entreprises qui recourent à la même sémantique, les États fixent ainsi des objectifs très ambitieux à une échéance suffisamment proche pour donner l’idée d’une action forte et assez lointaine pour ne pas laisser présager un choc.

    La « transition » s’imbrique parfaitement avec les deux autres expressions, ainsi que l’illustre l’intitulé de la loi française de 2015 « relative à la transition énergétique pour la croissance verte ». Elle s’y substitue aussi partiellement. La transition a par exemple rogné un peu de l’espace occupé par le « développement durable », qui s’était imposé par l’intermédiaire du rapport Brundtland, « Notre avenir à tous » (paru en français en 1987) à la faveur d’une traduction non littérale.

    Le développement durable (et ses déclinaisons : « ville durable », « bien durable », « tourisme durable »…), induit la poursuite dans la même direction, à la seule condition de « réorienter » les moyens. En ce sens, il met l’accent sur l’investissement dans certaines technologies et infrastructures, et sur des réglementations –telles que la préservation de lieux naturels et la réduction ou l’interdiction, souvent très superficielles dans les faits –, de certaines pratiques (les vols intérieurs typiquement, objet d’une mesure vidée de sa substance) et produits (notamment certains plastiques à usage unique).

    Le développement durable se confond exactement avec l’oxymore de la croissance verte (qui a elle aussi ses déclinaisons : « finance verte », « énergie verte », « industrie verte »…), c’est-à-dire une hausse illimitée de la production assurant l’abondance au plus grand nombre, mais déchargée de ses nuisances, car « soutenable », « propre » et « neutre en carbone ».

    En d’autres termes, le développement et tout ce qui lui est associé (plein emploi, classe moyenne, « pouvoir d’achat »), même verdi, ne sauraient toujours advenir que par la hausse du PIB, confondu aujourd’hui avec le mot « d’économie » et dans lequel une activité illicite au lourd bilan écologique, le trafic de drogues, est maintenant intégrée. La « sobriété » d’Emmanuel Macron, qu’il s’est empressé de dire « mesurée », associée à une politique « d’innovation » et créatrice de « valeur économique » s’inscrit pleinement dans ce cadre.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    Vider l’océan à la petite cuillère


    Les trois notions de transition, de développement durable et de croissance verte relèvent toutes d’une approche réformiste, mais elles résultent aussi et surtout d’une conception gestionnaire, et non pas politique, de l’action publique en agissant sur les conséquences au lieu de chercher à tarir la source. Les « mesures » auxquelles elles donnent lieu peuvent « aller dans le bon sens » et avoir des retombées positives. Elles n’en sont pas moins précaires (combien de temps tiendront-elles face au lobbying et à la nécessité « d’aller chercher la croissance là où elle est » ?) et très insignifiantes par rapport au rouleau compresseur d’une architecture économique (extractivisme, productivisme, consumérisme), politique (centralisation, poids des organisations supranationales), sociale (l’atomisation en monades consommateurs) et culturelle (la publicité, le libéralisme culturel).

    Comme le résumait le chercheur Guillaume Carbou dans un article paru en 2019, l’interdiction du glyphosate, par exemple, ne remettrait pas automatiquement en cause le modèle d’une agriculture productiviste et surexposée à la concurrence internationale, destructeur de la petite paysannerie et des paysages qu’elle façonne.

    La gestion des conséquences revient, au mieux, à amortir les chocs ou à vider un océan à la petite cuillère. Elle donne, au pire, une fausse impression d’une action consciente, bien orientée et proportionnée ou entretient à l’inverse la perception d’un pouvoir politique sans prise sur les grands enjeux. Elle se résume soit à l’écologie « positive » des kits scolaires de développement durable, des « interventions » de membres d’association ou de célébrités pour « sensibiliser » et « faire de la pédagogie » sur le tri collectif ou les « petits gestes à faire pour sauver la planète », soit à une écologie « punitive » (paupérisation, blocage des initiatives individuelles et collectives, bureaucratisation des vies, tandis que les grosses entreprises continuent à concentrer les avantages et sont laissées à leur « auto-régulation ») avec de nouvelles taxes et réglementations vertes isolées du cadre dans lequel elles auraient plus de sens.

    Cette « réforme » ou « adaptation » verte du capitalisme, dont les États prétendent se faire l’instrument ou l’agent, s’accompagne d’un « appel à la responsabilité des acteurs », aussi appelés « parties prenantes » (entreprises, médias, « société civile », citoyens), dont les actes cumulés, ou la « transformation des comportements » pour reprendre le lexique d’Emmanuel Macron, seraient le plus puissant des leviers. Outre un aveu d’impuissance, l’adresse au bon vouloir de tous ne dit rien des conditions de cette responsabilité (auxquelles les incitations ou les restrictions, quand elles ne font pas fausse route, ne changent pas grand-chose) et de la volonté des acteurs en question de l’exercer.

    Les firmes transnationales, devenues extrêmement puissantes, car tenues pour essentielles à la « réussite » économique du pays et capables de s’imposer dans le rapport de force (quand il existe), pratiquent elles-mêmes abondement le « greenwashing » et n’ont aucun intérêt à changer un modèle qui leur assure leur prospérité et même leur existence. Les médias de masse, propriétés de grandes fortunes, sont eux des entreprises de « fabrication de contenus » cherchant à attirer des annonceurs, même s’ils ne se résument pas à cela, et la plupart de leurs journalistes partagent une représentation progressiste et d’irréversibilité du capitalisme.

    De son côté, la « société civile », tel qu’elle est mise en avant, à l’échelle nationale ou internationale, met le peuple à l’écart sous couvert de le représenter et donne l’ascendant à des experts, liés pour partie aux firmes transnationales, réduisant les enjeux à des questions techniques. Elle comprend aussi la plupart des ONG et des États, parce que leurs critiques ne portent pas au-delà d’une demande de « régulation » du capitalisme et répondent, à des degrés variables, aux standards du développement durable, de la transition écologique et de la croissance verte.

    Les citoyens, enfin, sont pris entre la nécessité pour les plus en difficulté de tenir jusqu’à la fin du mois et celle de revoir leurs modes de vie, dont l’essentiel procède d’un modèle de société. Leur capacité à accéder à des informations et des analyses fiables est parasitée par de nombreux biais, y compris la communication des gouvernements. L’aide d’applications pour les orienter vers des « achats vertueux », quand bien même elles pourraient être parfaitement configurées, ce qui n’a rien d’évident, ne résoudrait pas la question de la surproduction et de la surconsommation.

    Les faux remèdes de l’économie circulaire et du techno-solutionnisme


    Que les représentants la nomment de cette manière ou pas, « l’économie circulaire » est présentée par les États comme un remède miracle. Elle romprait avec le schéma linéaire du extraire-produire-consommer-jeter, alors qu’elle consiste surtout à se focaliser sur l’enjeu du recyclage, ce à quoi invite, à nouveau, les campagnes des grands groupes. Cette « solution » est en effet compatible avec le statu quo (les différentes formes d’obsolescence programmée, les aides publiques aux entreprises à l’origine de la destruction d’écosystème et de pollutions multiples, les volumes de production, etc.) et représente un business industriel.

    Il encouragerait, pourtant, en vertu de l’effet Jevons, une surconsommation de produits et de leurs emballages par la déculpabilisation. Il comporte, de plus, des limites intrinsèques rappelées par Flore Berlingen et Nicolas Casaux. Le recyclage bute sur le manque de connaissances techniques, les pertes de matières inhérentes au processus et l’absence de structures adaptées. Il ne règle pas non plus la question de la production, de l’entretien, de l’approvisionnement (eau, énergies, ressources) et des déchets de ses machines et de ses infrastructures.

    Dans la mesure où il est réduit à une technique à « optimiser » et à améliorer, le recyclage relève en grande partie du techno-solutionnisme, c’est-à-dire l’attente de solutions techniques salvatrices qui arriveraient grâce à la magie de « l’innovation ». Une autre dimension de la promesse étatique du salut par les technologies passe par le développement d’énergies dites « vertes », « renouvelables », « décarbonées » ou nucléaires, vectrices « d’efficacité » donc de moins de consommation et de production (un lien de cause à effet non prouvé par l’expérience).

    Ozzie Zehner reprend plus justement la formule de Guy McPherson d’« énergies alternatives dérivées des combustibles fossiles », car elles en « dépendent à chaque étape de leur cycle de vie […] pour l’extraction des matières premières, la fabrication, l’installation et l’entretien, ainsi que pour le démantèlement et la mise au rebut ». Elles s’ajoutent aux autres technologies existantes au lieu de les remplacer, la construction de centrales à charbon, le gaz et le nucléaire ayant toujours le vent en poupe à l’échelle mondiale.

    De même, une voiture écologique à portée de tous ou des avions « neutres en carbone » fonctionnant à l’hydrogène n’apportent pas de remède aux conséquences de la mobilité motorisée généralisée (construction des infrastructures, des routes, artificialisation des sols…) et de ce qui en est la cause (le marché du travail, les zones commerciales, l’atomisation sociale, etc.)

    Là encore, la mystification coproduite par les grandes firmes et les États est l’occasion de juteux profits. Le cas de la voiture électrique, surdimensionnée et exigeant des matières rares et plus de production d’électricité, fait oublier les industriels présents derrière la multiplication des autres « énergies renouvelables ». Pour ne citer qu’un exemple, parmi les multiples donnés une nouvelle fois par Nicolas Casaux, Engie, Vinci et Areva développent de concert l’éolien en France.

    Le sabre de bois législatif et les grandes messes internationales


    Pour donner du corps à une simple gestion des conséquences du modèle actuel profitable aux grands industriels, les chefs d’État surjouent le volontarisme. Ils tiennent tout un tas de propos de circonstance, alarmants, martiaux, voire catastrophistes, disproportionnés par rapport à leurs « mesures », qui leur permettent aussi de pétrifier les velléités d’action par un effet de sidération. Ils associent cependant ce discours à une diabolisation d’une écologie « radicale », à entendre dans leurs bouches comme un synonyme « d’extrémiste », favorable à la décroissance, susceptible de « ramener à l’âge de pierre ».

    Les lois ou évènements organisés par l’État, type « Grenelle de l’environnement » ou « Convention pour le Climat » sont là aussi présentés comme de grands moments de vérité et de décision. Il en ressort seulement ce qui ne perturbe pas le cours des choses et ce qui peut être accepté par la technostructure. La direction prise par le passé est la bonne, se félicite-t-on, en s’appuyant sur des chiffres travaillés pour soutenir la thèse, avant de fixer des objets rehaussés pour cause « d’aggravation de la situation ». D’ici la nouvelle échéance, l’engagement sera oublié, reporté, annulé, ou à nouveau réévalué en raison des circonstances.

    Le plan d’action (au sens propre puisqu’il est maintenant question de « planification », un terme évoquant avec nostalgie le temps de « l’industrie heureuse ») se révèle dans ses détails et entre ses lignes. Les exceptions, le choix sémantique, les contradictions internes, l’absence de contraintes et autres subterfuges les vident de toute substance, pendant que continuent les aides massives accordées aux grandes entreprises sans exigence de contrepartie écologique, les accords de libre-échange, les quotas de CO2 gratuits ou encore les pratiques de greenwashing des entreprises publiques comme EDF.

    L’État renvoie par ailleurs au niveau européen ou mondial les décisions (les « clauses miroir » de Macron par exemple) qu’ils ne souhaitent pas prendre à l’échelle nationale. Elles n’ont guère plus de chances d’être actées au sein des institutions européistes ou mondialistes qui dépendent du consensus (soit la réduction au plus petit dénominateur commun entre États de toute façon soucieux de poursuivre les modes de vie actuels, comme l’avait résumé la fameuse formule de George Bush père) ou du consentement des États à leur impuissance.

    Les organisations supranationales répètent le même schéma bureaucratique : fixation d’objectifs et d’ordres du jour, désignation de bureaux, organisation de travaux et compromis sur des accords non contraignants. Le but premier visé est celui de la communication, entretenu par les grands médias cherchant à créer de l’évènement en amont (« sommet de la dernière chance ») et en aval (« accord historique »), et trop prompts à lire les résumés de résumés de textes encadrés diplomatiquement (comme ceux du GIEC) pour ne froisser aucune susceptibilité étatique ou à reprendre la communication officielle.

    Le choix des personnes, inconnues du grand public, censées conduire « la lutte », voire l’incarner, dit déjà tout de la réalité des intentions des grandes organisations mondiales. Le journaliste Fabrice Nicolino a restitué les parcours des directeurs de Cop, de Sommets de la terre et du PNUE, tous liés d’une façon ou d‘une autre aux firmes transnationales, aux structures supranationales comme l’OCDE et la Banque mondiale et pour une partie d’entre eux à une structure de propagande chinoise. Le déjà nommé Maurice Strong, de son côté, créait ou dirigeait des sociétés pétrolières en même temps qu’il était au cœur des structures censées agir pour « l’environnement ». De manière structurelle, l’architecture des grandes organisations pousse de toute façon à la confusion public/privé et donne l’avantage aux firmes transnationales, armées d’experts et capables d’une redoutable force de lobbying, par rapport aux autres parties prenantes. Il n’est donc rien à en attendre.

    À l’échelle nationale ou internationale et sur ce sujet de l’écologie comme sur tant d’autres, le politique s’est dégradé par conséquent en « théâtrocratie » en même temps qu’il s’est confondu avec la gestion et que la démocratie s’est réduite aux procédures. Chacun joue son rôle avec toujours plus d’emphases, loin de la vérité des coulisses, les ficelles rhétoriques s’avèrent de plus en plus visibles et les déguisements jurent encore plus avec les acteurs qui les portent (la présidence de la COP28, qui avait lieu à Dubaï, par le patron de la compagnie pétrolière des Émirats arabes unis), jusqu’à ce que le rideau des illusions finisse par tomber.

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

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