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Le géant automobile Stellantis dans la tourmente : la fuite en avant de son patron Carlos Tavares

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  • Le géant automobile Stellantis dans la tourmente : la fuite en avant de son patron Carlos Tavares


    Vivement contesté, le président de Stellantis est parvenu à se maintenir, en sacrifiant toute son équipe de direction et en promettant aux actionnaires de défendre plus que jamais leurs profits. Au risque de couler le groupe automobile.

    Martine Orange


    CarlosCarlos Tavares n’a rien oublié des années passées auprès de son ancien mentor Carlos Ghosn. Même si les deux hommes se sont quittés sur un désaccord – Carlos Ghosn refusant de céder à son bras droit la direction de Renault –, l’actuel président de Stellantis (né de la fusion entre Fiat Chrysler et PSA) a retenu les leçons précédentes : ne reculer devant rien pour conserver le pouvoir.

    Menacé d’être débarqué pour ses mauvais résultats et une stratégie très critiquée, Carlos Tavares est parvenu, au terme d’un conseil d’administration de plus de deux jours, à inverser le cours des événements. Le conseil d’administration n’imaginant pas sanctionner un président qui a, jusqu’à présent, si bien servi les intérêts des actionnaires : comme il le désirait, Carlos Tavares restera patron de Stellantis jusqu’en 2026. Le groupe a annoncé se mettre à la recherche d’une personne pour succéder à ce président irremplaçable. Comme Carlos Ghosn l’avait été pendant plus de quinze ans chez Renault.

    Agrandir l’image : Illustration 1Carlos Tavares, le patron de Stellantis. © Marco Bertorello / AFP

    Mais pour obtenir ce maintien, le patron du groupe automobile a proposé une révolution de palais : le renvoi de toute son équipe de direction. La directrice financière, Natalie Knight, qui avait eu l’audace le mois dernier de prévenir que les résultats du groupe ne seraient pas ceux escomptés ? virée sur-le-champ. Le responsable de toute la région Europe pour le groupe, Uwe Hochgeschurtz ? viré également pour mauvais résultats, alors que les parts de marché du groupe plongent sur le marché européen. Carlos Zarlenga, responsable du groupe pour les États-Unis, où le groupe accumule les déboires ? mis à l’écart aussi et remplacé par Antonio Filosa, directeur de Jeep, une des marques phares du groupe. Le responsable des marques Maserati et Alfa Romeo, deux des marques à très fortes marges du groupe ? sorti et remplacé par Santo Ficili.

    Le groupe a présenté ces « changements organisationnels ciblés » afin de « simplifier et améliorer la performance de son organisation dans un environnement mondial turbulent ». « Dans cette période de transformation darwinienne pour l’industrie automobile, notre devoir et notre responsabilité éthique sont de nous adapter et de nous préparer pour l’avenir, mieux et plus rapidement que nos concurrents, afin d’offrir à nos clients une mobilité propre, sûre et abordable », a expliqué Carlos Tavares.

    Cette révolution managériale ne « va certainement pas suffire pour calmer les investisseurs […] Stellantis devrait plutôt corriger ses erreurs et relever les défis qui l’attendent », a réagi un analyste de la société Bernstein dans une note.

    Le grand bouleversement de la voiture électrique


    Stellantis, comme tous les groupes automobiles dans le monde, se retrouve déstabilisé par les impératifs dictés par la transition écologique. L’irruption des véhicules électriques et à basse émission de CO2 bouscule tout. Et particulièrement l’industrie européenne, qui est au cœur du moteur économique du Vieux Continent. L’annonce de Volkswagen de fermer « une ou deux usines » en Allemagne, dont l’usine historique du groupe à Wolfsburg, en est la dernière illustration.

    Fabriquant depuis plus d’un siècle des véhicules à moteur thermique, les constructeurs européens ont traîné des pieds pour embrasser cette révolution technologique. Toutes leurs habitudes de conception, de fabrication, d’organisation qui leur avaient tant réussi, se retrouvent du jour au lendemain obsolètes. Du moteur aux composants, des chaînes d’approvisionnement aux sous-traitants, tout est à revoir.

    Cette révolution se traduit aussi par l’émergence de nouveaux concurrents, d’abord chinois. Massivement subventionnés par Pékin, les véhicules chinois plus petits, vendus à prix cassés, sont en train d’inonder le monde, créant d’énormes difficultés aux constructeurs européens en pleine transformation. Cette semaine, ceux-ci ont déjà obtenu un geste de soutien de l’Union européenne : désormais, des droits de douane pouvant aller jusqu’à 35 % seront imposés sur toutes les importations des véhicules électriques chinois. Mais les constructeurs européens veulent plus. Ils ont lancé un intense lobbying auprès de la nouvelle Commission pour repousser les échéances et obtenir le maintien de la vente des moteurs thermiques au-delà de 2035.

    La martingale magique


    Carlos Tavares a été l’un des plus critiques de la décision européenne. Avec retard, le groupe s’est finalement lancé dans les véhicules électriques. Mais en ne perdant jamais de vue l’objectif premier qui a présidé à la création de Stellantis : le profit doit primer.

    La pandémie puis la crise énergétique, provoquant des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et une flambée des prix, ont permis au groupe de mettre tout de suite cette stratégie à exécution. Tandis que les gouvernements occidentaux distribuent primes et aides en tout genre pour soutenir la vente de véhicules électriques, le groupe, comme tant d’autres, augmente ses prix de vente de façon spectaculaire, alimentant la boucle inflationniste « prix-profits ».

    En 2022, Carlos Tavares pense avoir trouvé la martingale magique pour le groupe : Stellantis, qui a à peine deux ans d’existence cette année-là, enregistre un bénéfice record de 16,8 milliards d’euros, en hausse de 26 %. Le groupe dispose de plus de 10 milliards d’euros d’autofinancement. Il enregistre une marge opérationnelle à 12 % voire 14 % sur certains de ses nouveaux véhicules électriques. Des niveaux inconnus pour une industrie automobile habituée à des marges de 4 à 5 %. L’année 2023 est encore plus exceptionnelle : les ventes sont en hausse de 6 %, et les bénéfices de plus de 11 % à 18,6 milliards d’euros.

    Comme il se doit, les actionnaires sont récompensés à leur juste valeur. Deux programmes de rachat d’actions – le premier de 1,5 milliard d’euros, le deuxième de 3 milliards d’euros – sont lancés en 2022 et 2023. Les investisseurs applaudissent. Et le cours du groupe s’envole. Cela justifie bien un bonus de 36 millions d’euros pour Carlos Tavares, « parce qu’il le vaut bien », tant il est au service des intérêts des actionnaires.

    Le tournant de 2024


    Persuadé d’avoir trouvé la formule miracle, Carlos Tavares poursuit cette stratégie en 2024. Alors que le constructeur a peu de nouveaux modèles à présenter, il est l’un de ceux qui augmentent le plus leurs prix de vente. Bien au-delà de nombre de ses concurrents. Certains modèles, comme ceux de Jeep, dépassent les 90 000 dollars (82 000 euros).

    Qui peut se payer de telles voitures ? Les ménages aisés ont été les premiers à acheter des voitures électriques, profitant des aides étatiques. Mais la plupart des gouvernements, à la recherche d’économies, ont réduit voire supprimé les primes pour l’acquisition de véhicules électriques. Les classes moyennes et pauvres, subissant la flambée des prix, la hausse des taux d’intérêt et la baisse de leur pouvoir d’achat, se délaissent de ces voitures « inabordables ». La demande s’effondre d’un coup au début de l’année, notamment aux États-Unis, où les achats automobiles se font pratiquement tous à crédit.

    Plus chères, les marques de Stellantis (Fiat, Peugeot, Citroën, Jeep, Chrysler, Opel) sont plus sanctionnées que les autres. La colère s’installe dans les circuits de distribution, notamment chez les concessionnaires américains qui voient leurs stocks grossir à vue d’œil. Mais Carlos Tavares reste sourd à leur problème : sa stratégie est la bonne.

    Tardivement, Stellantis réalise qu’il évolue dans une industrie de volume où la demande compte : au troisième trimestre, le groupe a vendu 305 294 véhicules dans le monde, soit le plus bas volume depuis la fusion entre Fiat Chrysler et PSA. Le constructeur, qui promettait de nouveaux résultats record au début de l’année, reconnaît maintenant que l’année va être difficile. Après avoir dilapidé ses réserves dans des rachats d’actions, il a désormais un cash-flow négatif de près de 10 milliards d’euros. Son cours de bourse a perdu plus de 50 % de sa valeur depuis le début de l’année, soit la plus forte baisse parmi les constructeurs automobiles.
    « Je garde PSA dans le cœur, je quitte Stellantis »

    Les mails s’accumulent depuis le printemps dans les boîtes des équipes de recherche et développement de Stellantis en France. Tous disent la même chose, avec des mots plus ou moins choisis mais toujours avec la même émotion. Après avoir travaillé cinq, dix ou quinze ans, à Vélizy-Villacoublay (Yvelines), La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) ou ailleurs, ces ingénieurs ont décidé de prendre le plan de départ volontaire qui leur est proposé et de quitter le groupe.

    Certains ont des projets ou d’autres propositions. D’autres n’ont rien mais décident de partir, écœurés. Plus rien ne semble avoir de sens. « Je garde PSA dans le cœur, je quitte Stellantis », écrit l’un d’entre eux dans un mail d’adieu, résumant le sentiment général.

    Pendant des années, ils ont travaillé de jour comme de nuit, partagé collectivement des travaux, des essais sur un radar, un moteur, l’équilibre des roues... sur ces mille projets qui font une voiture fiable. Tout est balayé d’un coup. Les équipes de recherche sont déstructurées. Les ingénieurs sont rangés au placard, et surtout priés de partir. Des équipes entières ont quitté le groupe en moins d’une semaine.

    Un nouveau directeur de recherche, venu d’Amazon, a pris le pas sur toute l’organisation ancienne. Sa mission : trouver les prestataires et les fournisseurs externes, organiser les délocalisations afin d’abaisser les coûts. « On est en train de liquider des dizaines d’années de savoir-faire et de compétence », s’inquiète Benoît (prénom d’emprunt) qui a décidé lui aussi de prendre sa retraite. Pour lui, comme pour nombre de ses collègues, le groupe, tout à sa course au profit, est en train de prendre la même pente que Boeing : il abandonne toute culture industrielle.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2

    L’abandon des grands centres industriels historiques


    Formé à l’école de Carlos Ghosn, Carlos Tavares n’a qu’une réponse : la chasse aux coûts. C’est la politique qu’il a mise en place lorsqu’il est arrivé chez Citroën en 2015, qu’il a poursuivie à la tête de PSA et qu’il met en œuvre depuis qu’il dirige Stellantis.

    La fusion entre Fiat Chrysler et PSA le poussait déjà à réaliser au plus vite les synergies entre les deux groupes. Le bouleversement technologique et les difficultés nouvelles du groupe l’incitent à presser encore plus le pas. En appeler au concept de « transformation darwinienne » dit tout de la façon dont Carlos Tavares imagine la suite : dans la violence.

    Il a déjà engagé un vaste plan de restructuration : il projette de supprimer nombre d’emplois, y compris dans la recherche et développement, voire de fermer des usines entières dans ces centres historiques pour délocaliser dans des pays à bas coûts. Le maintien des compétences et des savoir-faire n’est pas sa préoccupation. Après avoir acquis 20 % de la start-up chinoise Leapmotor, spécialisée dans les voitures électriques, le groupe propose de lui ouvrir les portes du marché européen pour vendre des modèles électriques à bas prix.

    L’Italie, la France et les États-Unis, bases historiques du groupe, où il réalise plus de 75 % de ses ventes, sont particulièrement visés. En Italie, Stellantis prévoit ainsi de supprimer plus de 10 000 emplois et de délocaliser une partie de la production vers le Maroc. L’annonce a provoqué la fureur du gouvernement de Georgia Meloni qui demande des comptes à la direction de Stellantis et à la famille Agnelli, principal actionnaire du groupe.

    Agrandir l’image : Illustration 2Évolution des effectifs en France dans le groupe PSA. © CFDT

    En France, un énième plan de départs volontaires a été lancé au printemps dans les centres de recherche et développement, dont l’activité est appelée elle aussi à partir au Maroc, en Tunisie ou en Roumanie. Lors d’une visite à Sochaux (Doubs), début octobre, Carlos Tavares a été des plus flou sur l’avenir de l’usine historique de Peugeot. Sans que cela suscite la moindre réaction du gouvernement français.

    « Tout cela pose beaucoup trop de questions sur la gouvernance à la tête du groupe. Cela confirme que l’approche conflictuelle adoptée à l’égard de toutes les parties prenantes (salariés, concessionnaires, fournisseurs, gouvernements et maintenant investisseurs) n’est pas la bonne », relevait dans une note récente un analyste de la société Oddo BHF.

    L’avertissement n’a pas été entendu par les principaux actionnaires, qui continuent de privilégier le capital et leurs intérêts sur toute autre vision d’avenir. Un jour, peut-être, ils redécouvriront la règle d’or de Henry Ford : si l’industrie automobile veut se développer, les ouvriers qui y travaillent doivent pouvoir acheter les voitures qu’ils fabriquent. Encore faut-il qu’ils les fabriquent encore.
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