GE Vernova a annoncé en septembre un nouveau plan social dans les deux usines de Saint-Nazaire et de Montoir-sur-Bretagne, rachetées à Alstom en 2015. Elles semblent n’avoir aucun avenir au-delà de 2027.
Martine Orange
Dix ans après, le fantôme d’Alstom revient hanter les esprits. Après les incertitudes jamais totalement dissipées sur l’avenir de Belfort, la fin programmée du Centre de recherche d’hydro-électricité à Grenoble (Isère), le rachat des turbines Arabelle, les inquiétudes se portent désormais sur le futur des usines de Montoir-de-Bretagne et de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Des usines présentées jusqu’à maintenant comme ayant un très grand avenir : elles fabriquent les nacelles pour les éoliennes en mer.
GE Vernova – la nouvelle structure créée qui regroupe toutes les activité dans les énergies renouvelables de General Electric et qui doit être prochainement cotée en bourse – vient d’annoncer des restructurations massives dans ses activités européennes.
Un plan social a été présenté en France le 19 septembre. Il prévoit la suppression de 360 emplois dans les deux usines, réunies au sein de l’entité GE Wind France. Au printemps, le groupe qui avait décidé de quasiment doubler ses effectifs dix-huit mois plus tôt, les avait déjà réduits dans ces usines de près de la moitié, en renvoyant tous les intérimaires et les prestataires extérieurs.
Une saignée dont les usines françaises ne se remettront pas, redoutent les salarié·es. « Ils gardent les salariés pour déterminer les contrats existants. Mais la pérennité des sites n’est pas assurée au-delà de 2027. C’est une agonie programmée », prédit Hector*, salarié à Saint-Nazaire. « Ce à quoi nous assistons est une délocalisation partielle anticipée. Tout va repartir aux États-Unis. Et après, Macron nous parle de réindustrialisation », grince Benoît*, cadre à Saint-Nazaire.
Agrandir l’image : Illustration 1Lors de l’inauguration de la première turbine destinée au parc éolien en mer près de Saint-Nazaire dans l’usine General Electric à Montoir-de-Bretagne, le 15 septembre 2020. © Photo Jean-Claude Moschetti / REA
« Dans un contexte de fortes difficultés impactant l’industrie éolienne au niveau global, GE Vernova a proposé un projet aux représentants syndicaux pour transformer l’activité éolienne offshore en une activité rationalisée, plus efficace et plus rentable. GE Vernova s’engage à maintenir un dialogue transparent, dans le respect des procédures d’information-consultation et d’un dialogue social constant avec les représentants des salariés », a répondu la direction du groupe à nos questions.
L’excuse des difficultés de l’éolien en mer
Les difficultés du secteur éolien sont réelles. Alors que les gouvernements parlent sans cesse de la nécessité d’accroître au plus vite les usages de l’électricité pour répondre aux besoins de l’économie numérique, que tous insistent sur l’impératif de produire une énergie décarbonée pour lutter contre les dérèglements climatiques, l’industrie éolienne aurait dû connaître son âge d’or. Pourtant, elle n’a jamais été aussi bousculée.
La hausse des coûts de matières premières, la concurrence chinoise qui inonde les marchés avec des équipements à prix bradés, et enfin le report de nombre de projets ont déstabilisé tout le secteur. Résultat : tous les grands fabricants d’éoliennes européens, du Danois Orsted à la filiale allemande de Siemens, Siemens Gamesa, ont annoncé des plans de restructuration, d’économies et de suppression d’emplois.
En pleine redéfinition stratégique après avoir quitté le conglomérat pour devenir une entité autonome, GE Vernova semble donc s’inscrire dans le même mouvement. Les personnels de Saint-Nazaire et de Montoir nourrissent quelques doutes, cependant, sur les intentions réelles de leur actionnaire. N’est-il pas en train de profiter de la conjoncture difficile pour liquider les dernières traces d’Alstom, alors qu’à la fin de l’année, il ne sera plus tenu par aucun engagement auprès du gouvernement ?
GE Vernova a annulé des commandes qui avaient été prises et ne répond plus aux grands appels d’offres d’éolien en mer.
« Dès le rachat d’Alstom en 2015, nous avons compris que nous gênions. Quand on discutait avec nos collègues américains, ils ne comprenaient pas ce que cette activité faisait en France. Pour eux, cela ne se justifiait pas », se souvient Sabine*, ingénieure à Saint-Nazaire. « GE n’a jamais été très intéressé par l’éolien en mer. C’est un secteur très risqué, demandant du clé en main, dominé par les Européens et où il n’a jamais été leader », explique Thomas*, ancien cadre chez GE. « Depuis que l’administration Biden a décidé de subventionner massivement l’installation des énergies renouvelables, le groupe estime bien plus profitable de se recentrer sur l’éolien terrestre aux États-Unis, où il est un leader incontesté, et où il peut imposer une standardisation à ses clients sans discussion et dégager des marges très confortables. Ce qu’il ne peut pas faire dans l’éolien en mer »,poursuit-il.
Sur les traces de Boeing ?
Même s’il n’est pas explicité ouvertement, ce renoncement semble déjà acté. GE Vernova paraît ne laisser aucune chance à cette activité dans les usines françaises : il a annulé des commandes qui avaient été prises et ne répond plus aux grands appels d’offres d’éolien en mer. Conséquence : le carnet de commandes de celles de Saint-Nazaire et de Montoir, spécialisées uniquement sur les nacelles, est vide. Il ne leur reste que deux chantiers en cours.
Et sur ces derniers, GE Vernova accumule revers sur revers. Au point que certains sont en train de se demander si le groupe n’est pas en train de connaître la même perte de compétences industrielles que Boeing. Un groupe dont il est très proche, avec lequel il a partagé les mêmes managers et les mêmes stratégies court-termistes actionnariales et les mêmes errements dans l’organisation. Interrogé à ce sujet, le groupe ne nous a pas répondu.
Pourtant, en apparence, tout était parti sous les meilleures auspices. En 2019 , le groupe annonce le lancement d’une nouvelle éolienne offshore, qui doit être construite en partie : l’Haliade-X. Elle s’inscrit dans cette course au gigantisme qui sévit dans tout le secteur : haute de plus de 150 mètres, avec un rotor de plus de 220 mètres de diamètre, dotée d’une puissance de 12-13 MW, elle s’affiche dès sa présentation comme l’éolienne la plus puissante au monde.
Développée au galop, cette nouvelle éolienne permet à GE de remporter plusieurs appels d’offres d’éolien en mer. Et elle commence à être installée. Mais en juillet, une pale se détache sur le chantier du parc éolien en mer de Vineyard Wind, au large de la côte nord-est des États-Unis. Un mois après, les résidents continuaient à retrouver des débris dans tous les environs. Le chantier a été arrêté et est désormais placé sous la surveillance des gardes-côtes américains et du Bureau de sécurité et de prévoyance environnementale, alors que GE Vernova invoque des « défauts de fabrication » dans les matériaux composites utilisés pour les pales.
Des incidents comparables se sont produits en mai puis en août à Dogger Bank (Grande-Bretagne), censément le plus grand champ éolien au monde. Là aussi, des pales se sont cassées au moment de la mise en service. GE Genova assure qu’il ne s’agit pas d’un problème de conception ni de fabrication mais d’un souci intervenu lors de la mise en service. Le démarrage de Dogger Bant, prévu début 2025, a été repoussé à la fin de l’année.
« Ce qui s’est passé était prévisible. Le design de la turbine a connu beaucoup de changements et n’a pas été finalisé correctement. On a demandé aux équipes de conception et d’ingénierie de travailler au plus vite sans leur laisser le temps nécessaire. Dès le montage du premier prototype à terre, on a signalé des erreurs de conception et des problèmes de réalisation, problèmes qui ne pouvaient que s’accentuer en mer, où les éoliennes sont soumises à de très forts stress. Mais la direction a refusé de nous écouter. Il fallait faire vite et pas cher », raconte Sabine*.
« Il y a eu des erreurs manifestes dans le développement de ce projet. Beaucoup de personnes l’ont dit, personne n’a voulu les écouter. Car c’est le management par la terreur. On est revenu au temps de l’URSS. On ne peut pas parler, on ne peut pas dire ce qu’il ne va pas, la direction ne veut rien entendre : des objectifs ont été fixés, donc on les tient », poursuit de son côté Hector*.
Des comptes volontairement plombés
L’amertume à Saint-Nazaire et à Montoir est d’autant plus grande que les responsables qui hier ont refusé de les écouter sont ceux qui aujourd’hui conduisent le plan social. « Ce sont les mêmes qui nous ont emmenés dans le mur qui mènent aujourd’hui le plan social. Et en plus ils osent nous reprocher leurs erreurs », s’énerve Sabine*.
Avant même le plan social, GE Wind France a commencé à payer le prix fort : la direction a décidé d’imputer dans les comptes de 2022 toutes les dépréciations et les provisions pour risques sur les chantiers en cours. Résultat : une perte de 752 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 435 millions. Ces pertes sont venues en déduction des autres résultats des filiales de GE en France, qui, selon nos informations, « n’a pas un seul centime d’impôt en France depuis dix ans ». Dans le même temps, sa filiale a encaissé 2,25 millions de crédit impôt recherche pour des produits dont la propriété intellectuelle a été transférée aux Pays-Bas.

Agrandir l’image : Illustration 2Le parc éolien offshore de Saint-Nazaire en 2022. © Photo Jean-Claude Moschetti / REA
Après ces pertes massives, GE Wind France n’a plus de capitaux propres. Mais sa maison-mère n’a pas l’air pressée de les reconstituer. « Par lettre émise le 20 novembre 2023 (renouvelée en février 2024 ), GE Renewable Holding BV [sa maison-mère – ndlr] a confirmé son intention de soutenir la société GE Wind France pour une durée d’au moins douze mois à compter de la date de cette lettre », écrivent les commissaires aux comptes.
Interrogé sur ses intentions de recapitaliser la société et de maintenir une activité en France, le groupe nous a répondu : « GE Vernova a toujours été un acteur industriel majeur en France, présent sur le territoire depuis cent trente ans. Avec ses trois divisions implantées sur le territoire – Wind, Electrification et Power –, la France est un pays important pour GE Vernova. GE Vernova continue d’être l’un des principaux employeurs industriels en France conservant une implantation significative avec 15 sites répartis sur l’ensemble du pays. GE Vernova continuera d’investir en France, en fonction des besoins et de l’évolution du marché. »
Menaces sur l’ensemble de la filière industrielle
« Si on veut développer l’éolien en mer, on a besoin de ces compétences. On ne peut pas laisser GE faire cavalier seul, démanteler toute une filière, sans rien dire. Car derrière Saint-Nazaire et Montoir, il y a des sous-traitants, des équipementiers, des entreprises qui ont investi depuis des années. Il faut que l’État reprenne la main », analyse Matthias Tavel, député La France insoumise (LFI) de Loire-Atlantique. Il rappelle que les premiers appels d’offres d’éolien en mer étaient assujettis à l’obligation de production industrielle en France. Une clause qui semble avoir disparu dans les nouveaux projets.
Cette analyse rejoint celle des industries travaillant dans les énergies renouvelables. « La Chine et les États-Unis l’ont bien compris : ceux qui disposeront des infrastructures de production sont ceux qui auront la force sur les marchés de l’énergie. L’Europe doit comprendre que c’est un levier fondamental pour la croissance. Mais pour cela, il faut arrêter la politique de stop-and-go. L’industrie des renouvelables s’inscrit dans le long terme. Elle a besoin de visibilité et de stabilité », explique Mattias Vandenbulcke, directeur de la stratégie à France Renouvelables.
Selon nos informations, l’ancien gouvernement a été interpellé sur l’avenir de Saint-Nazaire et de Montoir depuis plus de six mois. Les organisations syndicales ont rencontré des membres du cabinet de Roland Lescure, alors ministre de l’industrie, seulement après l’annonce de la dissolution. Depuis, c’est le silence radio. « Dès qu’il s’agit d’Alstom, la Macronie est tétanisée. Pour elle, c’est un dossier radioactif. Elle cherche à s’en éloigner le plus possible », constate un ancien responsable d’Alstom.
Martine Orange
Dix ans après, le fantôme d’Alstom revient hanter les esprits. Après les incertitudes jamais totalement dissipées sur l’avenir de Belfort, la fin programmée du Centre de recherche d’hydro-électricité à Grenoble (Isère), le rachat des turbines Arabelle, les inquiétudes se portent désormais sur le futur des usines de Montoir-de-Bretagne et de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Des usines présentées jusqu’à maintenant comme ayant un très grand avenir : elles fabriquent les nacelles pour les éoliennes en mer.
GE Vernova – la nouvelle structure créée qui regroupe toutes les activité dans les énergies renouvelables de General Electric et qui doit être prochainement cotée en bourse – vient d’annoncer des restructurations massives dans ses activités européennes.
Un plan social a été présenté en France le 19 septembre. Il prévoit la suppression de 360 emplois dans les deux usines, réunies au sein de l’entité GE Wind France. Au printemps, le groupe qui avait décidé de quasiment doubler ses effectifs dix-huit mois plus tôt, les avait déjà réduits dans ces usines de près de la moitié, en renvoyant tous les intérimaires et les prestataires extérieurs.
Une saignée dont les usines françaises ne se remettront pas, redoutent les salarié·es. « Ils gardent les salariés pour déterminer les contrats existants. Mais la pérennité des sites n’est pas assurée au-delà de 2027. C’est une agonie programmée », prédit Hector*, salarié à Saint-Nazaire. « Ce à quoi nous assistons est une délocalisation partielle anticipée. Tout va repartir aux États-Unis. Et après, Macron nous parle de réindustrialisation », grince Benoît*, cadre à Saint-Nazaire.

« Dans un contexte de fortes difficultés impactant l’industrie éolienne au niveau global, GE Vernova a proposé un projet aux représentants syndicaux pour transformer l’activité éolienne offshore en une activité rationalisée, plus efficace et plus rentable. GE Vernova s’engage à maintenir un dialogue transparent, dans le respect des procédures d’information-consultation et d’un dialogue social constant avec les représentants des salariés », a répondu la direction du groupe à nos questions.
L’excuse des difficultés de l’éolien en mer
Les difficultés du secteur éolien sont réelles. Alors que les gouvernements parlent sans cesse de la nécessité d’accroître au plus vite les usages de l’électricité pour répondre aux besoins de l’économie numérique, que tous insistent sur l’impératif de produire une énergie décarbonée pour lutter contre les dérèglements climatiques, l’industrie éolienne aurait dû connaître son âge d’or. Pourtant, elle n’a jamais été aussi bousculée.
La hausse des coûts de matières premières, la concurrence chinoise qui inonde les marchés avec des équipements à prix bradés, et enfin le report de nombre de projets ont déstabilisé tout le secteur. Résultat : tous les grands fabricants d’éoliennes européens, du Danois Orsted à la filiale allemande de Siemens, Siemens Gamesa, ont annoncé des plans de restructuration, d’économies et de suppression d’emplois.
En pleine redéfinition stratégique après avoir quitté le conglomérat pour devenir une entité autonome, GE Vernova semble donc s’inscrire dans le même mouvement. Les personnels de Saint-Nazaire et de Montoir nourrissent quelques doutes, cependant, sur les intentions réelles de leur actionnaire. N’est-il pas en train de profiter de la conjoncture difficile pour liquider les dernières traces d’Alstom, alors qu’à la fin de l’année, il ne sera plus tenu par aucun engagement auprès du gouvernement ?
GE Vernova a annulé des commandes qui avaient été prises et ne répond plus aux grands appels d’offres d’éolien en mer.
« Dès le rachat d’Alstom en 2015, nous avons compris que nous gênions. Quand on discutait avec nos collègues américains, ils ne comprenaient pas ce que cette activité faisait en France. Pour eux, cela ne se justifiait pas », se souvient Sabine*, ingénieure à Saint-Nazaire. « GE n’a jamais été très intéressé par l’éolien en mer. C’est un secteur très risqué, demandant du clé en main, dominé par les Européens et où il n’a jamais été leader », explique Thomas*, ancien cadre chez GE. « Depuis que l’administration Biden a décidé de subventionner massivement l’installation des énergies renouvelables, le groupe estime bien plus profitable de se recentrer sur l’éolien terrestre aux États-Unis, où il est un leader incontesté, et où il peut imposer une standardisation à ses clients sans discussion et dégager des marges très confortables. Ce qu’il ne peut pas faire dans l’éolien en mer »,poursuit-il.
Sur les traces de Boeing ?
Même s’il n’est pas explicité ouvertement, ce renoncement semble déjà acté. GE Vernova paraît ne laisser aucune chance à cette activité dans les usines françaises : il a annulé des commandes qui avaient été prises et ne répond plus aux grands appels d’offres d’éolien en mer. Conséquence : le carnet de commandes de celles de Saint-Nazaire et de Montoir, spécialisées uniquement sur les nacelles, est vide. Il ne leur reste que deux chantiers en cours.
Et sur ces derniers, GE Vernova accumule revers sur revers. Au point que certains sont en train de se demander si le groupe n’est pas en train de connaître la même perte de compétences industrielles que Boeing. Un groupe dont il est très proche, avec lequel il a partagé les mêmes managers et les mêmes stratégies court-termistes actionnariales et les mêmes errements dans l’organisation. Interrogé à ce sujet, le groupe ne nous a pas répondu.
Pourtant, en apparence, tout était parti sous les meilleures auspices. En 2019 , le groupe annonce le lancement d’une nouvelle éolienne offshore, qui doit être construite en partie : l’Haliade-X. Elle s’inscrit dans cette course au gigantisme qui sévit dans tout le secteur : haute de plus de 150 mètres, avec un rotor de plus de 220 mètres de diamètre, dotée d’une puissance de 12-13 MW, elle s’affiche dès sa présentation comme l’éolienne la plus puissante au monde.
Développée au galop, cette nouvelle éolienne permet à GE de remporter plusieurs appels d’offres d’éolien en mer. Et elle commence à être installée. Mais en juillet, une pale se détache sur le chantier du parc éolien en mer de Vineyard Wind, au large de la côte nord-est des États-Unis. Un mois après, les résidents continuaient à retrouver des débris dans tous les environs. Le chantier a été arrêté et est désormais placé sous la surveillance des gardes-côtes américains et du Bureau de sécurité et de prévoyance environnementale, alors que GE Vernova invoque des « défauts de fabrication » dans les matériaux composites utilisés pour les pales.
Des incidents comparables se sont produits en mai puis en août à Dogger Bank (Grande-Bretagne), censément le plus grand champ éolien au monde. Là aussi, des pales se sont cassées au moment de la mise en service. GE Genova assure qu’il ne s’agit pas d’un problème de conception ni de fabrication mais d’un souci intervenu lors de la mise en service. Le démarrage de Dogger Bant, prévu début 2025, a été repoussé à la fin de l’année.
« Ce qui s’est passé était prévisible. Le design de la turbine a connu beaucoup de changements et n’a pas été finalisé correctement. On a demandé aux équipes de conception et d’ingénierie de travailler au plus vite sans leur laisser le temps nécessaire. Dès le montage du premier prototype à terre, on a signalé des erreurs de conception et des problèmes de réalisation, problèmes qui ne pouvaient que s’accentuer en mer, où les éoliennes sont soumises à de très forts stress. Mais la direction a refusé de nous écouter. Il fallait faire vite et pas cher », raconte Sabine*.
« Il y a eu des erreurs manifestes dans le développement de ce projet. Beaucoup de personnes l’ont dit, personne n’a voulu les écouter. Car c’est le management par la terreur. On est revenu au temps de l’URSS. On ne peut pas parler, on ne peut pas dire ce qu’il ne va pas, la direction ne veut rien entendre : des objectifs ont été fixés, donc on les tient », poursuit de son côté Hector*.
Des comptes volontairement plombés
L’amertume à Saint-Nazaire et à Montoir est d’autant plus grande que les responsables qui hier ont refusé de les écouter sont ceux qui aujourd’hui conduisent le plan social. « Ce sont les mêmes qui nous ont emmenés dans le mur qui mènent aujourd’hui le plan social. Et en plus ils osent nous reprocher leurs erreurs », s’énerve Sabine*.
Avant même le plan social, GE Wind France a commencé à payer le prix fort : la direction a décidé d’imputer dans les comptes de 2022 toutes les dépréciations et les provisions pour risques sur les chantiers en cours. Résultat : une perte de 752 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 435 millions. Ces pertes sont venues en déduction des autres résultats des filiales de GE en France, qui, selon nos informations, « n’a pas un seul centime d’impôt en France depuis dix ans ». Dans le même temps, sa filiale a encaissé 2,25 millions de crédit impôt recherche pour des produits dont la propriété intellectuelle a été transférée aux Pays-Bas.

Agrandir l’image : Illustration 2Le parc éolien offshore de Saint-Nazaire en 2022. © Photo Jean-Claude Moschetti / REA
Après ces pertes massives, GE Wind France n’a plus de capitaux propres. Mais sa maison-mère n’a pas l’air pressée de les reconstituer. « Par lettre émise le 20 novembre 2023 (renouvelée en février 2024 ), GE Renewable Holding BV [sa maison-mère – ndlr] a confirmé son intention de soutenir la société GE Wind France pour une durée d’au moins douze mois à compter de la date de cette lettre », écrivent les commissaires aux comptes.
Interrogé sur ses intentions de recapitaliser la société et de maintenir une activité en France, le groupe nous a répondu : « GE Vernova a toujours été un acteur industriel majeur en France, présent sur le territoire depuis cent trente ans. Avec ses trois divisions implantées sur le territoire – Wind, Electrification et Power –, la France est un pays important pour GE Vernova. GE Vernova continue d’être l’un des principaux employeurs industriels en France conservant une implantation significative avec 15 sites répartis sur l’ensemble du pays. GE Vernova continuera d’investir en France, en fonction des besoins et de l’évolution du marché. »
Menaces sur l’ensemble de la filière industrielle
« Si on veut développer l’éolien en mer, on a besoin de ces compétences. On ne peut pas laisser GE faire cavalier seul, démanteler toute une filière, sans rien dire. Car derrière Saint-Nazaire et Montoir, il y a des sous-traitants, des équipementiers, des entreprises qui ont investi depuis des années. Il faut que l’État reprenne la main », analyse Matthias Tavel, député La France insoumise (LFI) de Loire-Atlantique. Il rappelle que les premiers appels d’offres d’éolien en mer étaient assujettis à l’obligation de production industrielle en France. Une clause qui semble avoir disparu dans les nouveaux projets.
Cette analyse rejoint celle des industries travaillant dans les énergies renouvelables. « La Chine et les États-Unis l’ont bien compris : ceux qui disposeront des infrastructures de production sont ceux qui auront la force sur les marchés de l’énergie. L’Europe doit comprendre que c’est un levier fondamental pour la croissance. Mais pour cela, il faut arrêter la politique de stop-and-go. L’industrie des renouvelables s’inscrit dans le long terme. Elle a besoin de visibilité et de stabilité », explique Mattias Vandenbulcke, directeur de la stratégie à France Renouvelables.
Selon nos informations, l’ancien gouvernement a été interpellé sur l’avenir de Saint-Nazaire et de Montoir depuis plus de six mois. Les organisations syndicales ont rencontré des membres du cabinet de Roland Lescure, alors ministre de l’industrie, seulement après l’annonce de la dissolution. Depuis, c’est le silence radio. « Dès qu’il s’agit d’Alstom, la Macronie est tétanisée. Pour elle, c’est un dossier radioactif. Elle cherche à s’en éloigner le plus possible », constate un ancien responsable d’Alstom.