Selon une nouvelle étude, une offre d’emploi sur cinq est fausse ou n’est pas pourvue. « Le marché du travail n’a jamais été aussi désespérant »
Lynn Cook

Selon la plateforme de recrutement Greenhouse, entre 18 % et 22 % des annonces de recrutement publiées en 2024 concernaient des postes qui n'ont en fait jamais été pourvus. - Image réalisée par une intelligence artificielle
On a souvent cette impression quand on lit une offre d’emploi en ligne : le titre sonne bien, le salaire proposé est correct et l’entreprise semble être un lieu où il va faire bon travailler. Mais en même temps, vous vous demandez si cette offre est bien réelle.
De nombreux demandeurs d’emploi vous parleront de ces annonces de recrutement qui restent longtemps en ligne mais ne semblent jamais être pourvues. Ces « jobs fantômes », c’est-à-dire des postes pour lesquels les entreprises font semblant d’embaucher sans avoir l’intention de les pourvoir, pourraient constituer près d’un cinquième des annonces de recrutement sur internet.
C’est ce qui ressort d’une étude des données de Greenhouse, une plateforme de recrutement qui a examiné les offres d’emploi et les initiatives prises dans ce domaine par ses clients au cours de l’année passée. Greenhouse et LinkedIn ont commencé depuis peu à indiquer à côté des offres d’emploi le badge « Vérifiée » afin de mieux informer les candidats confrontés à cette vague d’offres d’emploi fantômes.
Ces annonces sont démoralisantes pour les demandeurs d’emploi, car elles incitent nombre d’entre eux à se détourner d’éventuels employeurs et leur donnent l’impression qu’ils peuvent être victimes d’une démarche déjà difficile à entreprendre et truquée de surcroît.
A l’aide des données qu’elle a recueillies auprès de ses clients qui embauchent dans les secteurs de la technologie, de la finance et de la santé, entre autres, la plateforme Greenhouse a calculé qu’entre 18 % et 22 % des annonces de recrutement publiées en 2024 concernaient des postes qui n’ont en fait jamais été pourvus.
« C’est une sorte de jeu de massacre », estime Jon Stross, président et cofondateur de l’entreprise. « Le marché du travail n’a jamais été aussi désespérant. »
Les raisons qui poussent les entreprises à publier des offres d’emploi qui ne sont pas tout à fait réelles, peuvent être normales, mais aussi machiavéliques. Elles peuvent vouloir donner l’impression qu’elles sont en pleine croissance, même si cela est faux, ou continuer à proposer des offres d’emploi pour ne pas rater des candidats trop talentueux pour les laisser passer.
Ces annonces ne font qu’ajouter à la confusion ressentie par les demandeurs d’emploi face au marché du travail. Selon des données économiques, le marché du travail se porte bien, c’est notamment ce que laissaient transparaître les bons résultats enregistrés au mois de décembre où 256 000 emplois ont été créés. Or, dans le même temps, les cadres affirment que les recrutements se tendent en raison de facteurs aussi divers que l’intelligence artificielle ou le rabotage des budgets.
Greenhouse peut voir ce qu’il se passe réellement en coulisses chez les entreprises qui font partie de sa clientèle car son logiciel sert à créer les descriptions des postes et à les publier sur les sites internet des entreprises et les plateformes de recrutement comme Indeed. Greenhouse voit aussi quand une annonce est publiée et qui, le cas échéant, est embauché. (M. Stross note que la plupart des quelque 7 500 clients de Greenhouse, dont font partie J.D. Power, Major League Baseball et HubSpot, ne publient pas d’offres d’emploi fantômes. Ou du moins, pas trop).
Pourtant, près de 70 % des entreprises utilisant Greenhouse ont publié au moins une « offre d’emploi fantôme » au cours du deuxième trimestre de l’année passée. Et 15 % des entreprises étaient coutumières de ce genre de « délit » et publiaient une offre d’emploi sur deux sans embauche à la clé. Les secteurs où le pourcentage d’offres d’emploi fantômes est le plus élevé sont le BTP, les lettres et sciences humaines, le secteur de l’alimentation et des boissons, ainsi que la filière juridique.
La frustration monte
Serena Dao a commencé sa recherche d’emploi en janvier dernier, quelques mois avant de décrocher en mai son diplômé de la Tepper School of Business de Carnegie Mellon. Scientifique de formation, elle espérait que l’obtention d’un MBA la rapprocherait de postes de management non technique dans le secteur de la santé ou des technologies climatiques.
Sur les plus de 260 lettres de candidature qu’elle a envoyées, elle a reçu 124 lettres de refus et n’a finalement jamais eu de nouvelles de la part de 116 entreprises, dont plusieurs où elle avait déjà passé deux voire trois entretiens et pour lesquelles elle avait pris l’avion afin de rencontrer des cadres ou réalisé des tests chez elle lui ayant demandé plusieurs heures de travail.
Elle s’est demandée si certaines de ces offres d’emploi étaient bien réelles. Et après s'être investie dans les processus de sélection d’autres entreprises, elle a déclaré qu’elle n’appréciait pas d'être « ghostée ».
Elle a même vécu le cas où au bout de cinq entretiens, aucune offre ne lui a été faite.
C’est en partie grâce à son réseau qu’elle a réussi à décrocher un emploi. Mme Dao a postulé en ligne pour un poste au sein de The Engine, un incubateur de start-up basé à Boston et issu du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Après les premières séries d’entretiens et de tests, un associé gérant au sein du cabinet où elle avait effectué un stage s’est rendu à un événement de l’Engine et a parlé d’elle en termes élogieux à l’un des responsables en charge du recrutement.
« Aujourd’hui, on attend des candidats qu’ils soient non pas à 100% mais à 120 % à la hauteur », dit-elle. « Je suis vraiment heureuse et chanceuse d'être là. »
Selon Glen Loveland, coach professionnel de longue date à la Thunderbird School of Global Management de l’Arizona State University, qui a travaillé à la DRH de Disney, se construire un réseau est peut-être plus décisif que jamais pour décrocher un emploi, mais il doit aller au-delà d’un aspect purement transactionnel.
« Les relations authentiques sont le fondement d’une réussite durable. L'époque où l’on se contentait de télécharger des CV sur des sites d’emploi et où l’on espérait que tout irait bien est en train de s’estomper », affirme-t-il.
Comment repérer une fausse annonce
D’après les cabinets de recrutement, les managers et professionnels des ressources humaines, de nombreuses raisons poussent les entreprises à publier des offres d’emploi qu’elles n’ont aucune intention de pourvoir.
Certaines sociétés stoppent les embauches lorsqu’elles perdent un contrat ou que la situation économique les inquiète. De nombreuses offres d’emploi restent ainsi en ligne longtemps après que le poste a été pourvu. Les annonces fantômes peuvent aussi être publiées pour se conformer à la loi fédérale, qui exige que l’existence de postes vacants soit indiquée publiquement, après qu’un candidat extérieur a déjà été présenté par un cabinet de recrutement ou qu’un salarié interne a été repéré pour obtenir une promotion.
Certains cabinets de recrutement publient également des offres d’emploi qui n’existent pas réellement afin de pouvoir proposer leurs services à une entreprise et vanter leurs mérites en montrant un excellent portefeuille de candidats talentueux et susceptibles d'être embauchés.
Pour mieux informer les candidats, Greenhouse a mis en place des badges qui attestent que les clients ont bien apporté la preuve d’une vraie démarche auprès des demandeurs d’emploi, ce qui signifie qu’ils décrivent précisément presque tous les postes et qu’ils adressent des lettres de refus au lieu de « ghoster » les candidats. A la fin de l’année dernière, le réseau social professionnel LinkedIn a commencé à badger les offres d’emploi sur son site comme étant « vérifiées », après avoir obtenu la confirmation que l’offre d’emploi était bien réelle, explique Rohan Rajiv, responsable de l’offre de services professionnels chez LinkedIn. Dès vendredi, en fin de journée, plus de la moitié des offres d’emploi publiées sur LinkedIn étaient badgées comme « vérifiées », selon l’entreprise.
Il n’existe pas de méthode parfaite pour déterminer si l’annonce d’emploi que vous consultez est une offre fantôme, explique Peter Duris, directeur général de Kickresume, un site web qui utilise l’IA pour adapter les CV aux demandes du marché de l’emploi. Mais si l’annonce ne porte pas l’indication claire d’une date ou si elle a été publiée il y a plusieurs mois, soyez prudent. La plupart des postes sont pourvus plus rapidement.
Les annonces qui sont publiées sur des sites de recrutement comme Indeed mais ne figurent pas sur le site web de l’employeur sont également suspectes. M. Duris conseille d’appeler directement l’employeur.
« Parler à un porte-parole au sein de l’entreprise peut vous aider à déterminer si cette dernière est sérieuse dans sa démarche », explique-t-il.
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Emmanuelle Serrano)
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