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Inflation : les plus pauvres paient l’addition et les riches en profitent bien

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  • Inflation : les plus pauvres paient l’addition et les riches en profitent bien

    Tandis que les plus aisés surfent sur la vague de l'inflation, les plus pauvres boivent la tasse… C’est le constat dressé par l’Insee dans sa nouvelle édition du Portrait social de la France, une compilation d’études qui analysent la répartition des niveaux de vie des Français. Si les plus aisés ont encaissé des pertes plus importantes en valeur ces dernières années, ils ont cependant profité d'une plus forte augmentation de leurs revenus. À l’autre bout du spectre, c'est la douche froide : les plus pauvres n'ont pas eu d'augmentations de salaires suffisantes pour couvrir les nombreuses hausses de prix. Analyse.

    Par Alexandra Buste, Xavier Lalbin



    Dans sa dernière édition du Portrait social de la France, l'Insee analyse la répartition des niveaux de vie des Français sur l'année 2023, une année charnière pour nombre de nos concitoyens, puisque malgré la poursuite d'une inflation marquée, les mesures de soutien au pouvoir d'achat de l'année 2022 n'avaient pas été reconduites.

    Cette inflation a conduit à un surcoût moyen pour les ménages de plus de 1 200 € sur l’année, une moyenne qui masque de fortes disparités. En effet, si les plus aisés ont encaissé des pertes plus importantes en valeur (du fait de leur plus haut niveau de consommation), ils ont en parallèle profité d’une plus forte augmentation de leurs revenus. Les 10 % les plus riches ont ainsi vu leurs revenus progresser d’un tiers de plus que l’inflation.

    À l’autre bout du spectre, c’est la douche froide. Les 60 % de la population au plus bas niveau de vie, privés de la reconduction des mesures exceptionnelles de soutien de 2022, n'ont pas obtenu d'augmentations de revenu suffisantes (y compris transferts sociofiscaux) pour couvrir les hausses de prix de l’année 2023.

    Au plus haut depuis 40 ans, l’inflation frappe plus violemment les plus modestes


    « L’ampleur du choc [de l’inflation] est deux fois plus grande pour les 20 % les plus modestes que pour les 20 % les plus aisés ». C’est l’Insee qui l’écrit dans son dernier « Portrait social de la France », une étude qui analyse les discriminations perçues et vécues par divers groupes de population. L’Insee s'intéresse en particulier à l’évolution du niveau de vie des ménages au cours d'une année 2023 marquée par une forte inflation.

    Dans la plupart des pays avancés, dont la France, la période 2022-2023 a vu le retour d'une forte inflation avec des niveaux jamais atteints depuis 40 ans. En 2023, l'augmentation moyenne sur 12 mois de l'indice des prix à la consommation en France s'établit ainsi à 4,9 %, à peine moins que les 5,3 % de 2022 et quatre fois supérieure à la moyenne de la décennie 2009-2019 (1,1 %).



    Et si l’année 2023 se termine avec une inflation annuelle de moins de 4 %, le premier trimestre a vu un pic à plus de 6 %, de quoi durement toucher au portefeuille la majorité des ménages.



    Pour la Banque de France, cette période inflationniste est d’abord le résultat de la hausse des prix de l’énergie. S’ils prennent leur envol dès le deuxième trimestre 2021, avec la réouverture progressive du pays suite à la fin de la crise Covid, l’invasion de l’Ukraine par la Russie vient accentuer les tensions sur les prix à partir de 2022. L’énergie chère et le conflit entre deux gros producteurs de produits agricoles viennent ensuite renchérir les prix des denrées alimentaires, deuxième contributeur à l’inflation en 2022 et son moteur principal en 2023. À la différence de l’inflation aux États-Unis, la Banque de France estime que les perturbations des chaînes mondiales d'approvisionnement lors de la reprise post-pandémie n’ont eu qu’un effet marginal sur les prix en France.

    En revanche, les tensions sur le marché du travail sont, selon eux, un facteur qui a pris de l'importance dans la hausse des prix en 2022 et encore plus en 2023. Au grand soulagement de la Banque, aucune mythique spirale prix-salaires ne s’est cependant manifestée dans le pays durant la période. La Banque de France en a donc conclu que la non-indexation des salaires sur l’inflation, c'est-à-dire la perte de pouvoir d’achat des travailleurs, avait permis de contenir la hausse des prix. D’aucuns reformuleront en : « grâce au sacrifice imposé des revenus du travail, les dommages de la taxe inflationniste sur le capital et ses revenus ont pu être contenus ».



    Pourtant, pendant que les banquiers français imputent à la non-indexation des salaires la préservation de l’économie des ravages de l’inflation, les banquiers centraux belges, pour ne citer qu’eux, n’ont pas la même analyse. À partir des mêmes outils et méthodes, nos voisins notent au contraire que l’augmentation des salaires du fait de leur indexation sur l’inflation (1) n’avait eu qu’une « faible répercussion » sur l’inflation de la période en Belgique. Et d’ajouter que les études similaires menées par une dizaine de banques centrales dans l’Union européenne aboutissent aux mêmes conclusions : le marché du travail n’a que très peu de responsabilité dans l’inflation des dernières années.

    Il semble que les banquiers français soient les rares à invoquer la non-indexation des salaires, et donc l’érosion automatique du pouvoir d’achat des travailleurs, comme un outil permettant de contenir l’inflation. Cette relation de cause à effet sent bon le dogme et l’auto-conviction, et ce alors même que les études récentes, dont celle du Fonds monétaire international peu soupçonnable de laxisme sur la croissance des salaires, montrent l’absence de réalité de la fameuse boucle prix-salaires.

    Bien que le pic de l’inflation soit passé, l'année 2023 a vu des fortes augmentations de prix des biens et des services. Pour l’Insee, à consommation inchangée, cela représente en moyenne plus de 1 200 € par personne de dépenses additionnelles sir l'année, une moyenne qui dissimule de fortes disparités suivant les niveaux de vie. Si le coût supplémentaire pour le dixième des personnes les plus pauvres est estimé à 700 €, c’est près de 2 200 € pour les 10 % les plus riches.

    Ce surcoût pour les plus défavorisés, plus faible en valeur, pèse bien plus sur le niveau de vie que pour les plus aisés : le dixième le plus pauvre dispose d’un niveau de vie moyen de 10 000 € par an, soit sept fois plus faible que celui des plus riches.

    Résultat : rapporté au niveau de vie, l’ampleur du choc inflationniste est deux fois plus grande pour les 20 % les plus modestes que pour les 20 % les plus aisés. Comme le relève la Banque de France, ce sont les prix de l’énergie et de l’alimentation qui ont le plus augmenté entre 2022 et 2023. Les calculs de l’Insee montrent que les deux tiers de la hausse des dépenses des ménages proviennent de l’alimentation (34 %), du logement (19 %) et du transport (13 %), des produits dont la part dans la consommation des foyers les plus pauvres est plus importante que dans celle des plus aisés.



    Pour les plus modestes, la hausse de ces trois postes de dépenses a ainsi amputé leur niveau de vie de 5 % ; c’est moins de 2 % pour les plus riches.



    Et encore, ces hausses de dépenses sont certainement sous-estimées pour les plus modestes, comme le relèvent certains économistes, dont François Geerolf, de l’OFCE. La mauvaise prise en compte des différences de consommation selon les niveaux de vie fausse les mesures de pouvoir d’achat et occultent une partie des difficultés des moins aisés.

    Il en est ainsi par exemple de la sous-estimation, par l’indice des prix de l’Insee, des hausses de certains biens et services, comme dans la santé : les prix sont observés avant remboursement de sécurité sociale et masquent donc l’inflation due aux politiques d'austérité qui baissent les taux de remboursement de la Sécurité sociale. En premier lieu, l’économiste préconise d’utiliser l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) d’Eurostat plutôt que l’indice des prix à la consommation (IPC) de l’Insee, car, « l’utilisation de l’IPC (a fortiori de l’IPC hors tabac) tend à surestimer systématiquement les gains de pouvoir d’achat en France ».

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2


    La non-différenciation des catégories de biens et de services consommés est un autre biais qui gomme les différences de hausse de prix subies par les ménages les plus contraints financièrement : par exemple, dans l’alimentaire, les moins aisés consomment en majorité des marques distributeurs qui sont plus sensibles à la hausse des matières premières que les marques nationales plus présentes chez les plus aisés.

    Entre début 2022 et fin 2023, par exemple, le prix du jambon de marques distributeurs (+40 %) a ainsi augmenté deux fois plus que celui des marques nationales (+20%). De même, le prix des pâtes Carrefour, Leclerc, etc. a augmenté de 30 %, pendant que les Barilla, Panzani et autres marques nationales se renchérissaient de 20 %.



    Sans compter la souplesse financière des ménages les plus aisés. Elle leur permet d’alléger la note en cas d’augmentation des prix en reportant leurs achats sur des produits de moindre gamme, voire de s’abstenir sur certains extras. Des choix qui ne s’offrent pas aux familles dont le budget est contraint ou pour qui la consommation est déjà réduite au minimum.

    Une augmentation des revenus qui ne compense pas l’inflation pour les plus modestes


    En parallèle de la hausse des dépenses, les revenus primaires (revenus salariaux, de remplacement – chômage et retraite, revenus des indépendants et revenus financiers avant transferts sociaux fiscaux) sont restés à la traîne pour une majorité de la population. Pendant que ceux des plus riches – le dernier décile – augmentaient d’un tiers de plus que l’inflation, la hausse des revenus des plus pauvres – le premier décile – couvrait moins d’un tiers de l’augmentation des prix.

    Pour 60 % de la population, les augmentations de revenu avant soutien de l’État n’ont pas couvert les hausses de prix. C’est une perte nette de pouvoir d’achat qui s’accentue à mesure que l’on descend dans l’échelle des revenus. Parmi le reste de la population (les quatre derniers déciles), 75 % n'ont connu au mieux que quelques dixièmes de pour cent de gain de niveau de vie. Ces progressions sont bien plus faibles que celle du dixième le plus riche, qui est le seul à avoir vu ses revenus augmenter de 1 à 2 %, même une fois l’inflation prise en compte.

    Par ailleurs, avec globalement 70 % des revenus des Français constitués de salaires, la moyenne de leur augmentation en 2023 (+580 €) masque ici aussi de fortes disparités. Pendant que les 20 % les plus pauvres – ceux qui émargent à moins de 16 000 € par an – voyaient un gain d’un peu moins de 200 €, les 10 % les plus aisés ajoutaient six fois cette somme à des revenus annuels qui dépassent le 45 000 €.

    Mais au final, ce qui démultiplie les gains de revenus des plus aisés, dans la continuité de ces dernières années et en particulier par rapport aux plus modestes, ce sont les revenus du patrimoine, notamment financier. Comme l’écrivent les économistes Éric Berr, Sylvain Billot et Jonathan Marie : « Les détenteurs du capital sont les grands gagnants de ces dernières années : depuis 2017, les revenus du patrimoine perçus par les ménages ont progressé (corrigé de l’IPCH) de 25 %, et les dividendes versés aux ménages ont même grimpé de 80 % ».

    C’est ainsi qu’en 2023, selon l’Insee, le patrimoine, en particulier financier, a produit 350 € de revenu en moyenne pour les individus. Compte tenu de la répartition très inégale de celui-ci, la distribution est fortement biaisée vers le haut de l’échelle des revenus, avec le dernier décile affichant des gains de plus de 1 200 €, pendant que les neuf dixièmes restants comptabilisaient un gain moyen de seulement 250 €.

    Rien de très surprenant au regard des 800 000 € de patrimoine financier moyen pour les 10 % les plus riches, et des moins de 20 000 € dont dispose la moitié la moins fortunée des Français. Grâce à leur patrimoine placé aux trois quarts dans des titres financiers (actions, assurances-vie, fonds d’investissement, bons du Trésor, etc.), les plus riches ont pu pleinement profiter de la hausse des taux d’intérêt et des marchés d’actions qui a accompagné l’inflation.

    Pour les 90 % restant de la population, l’essentiel de leur patrimoine financier est constitué de comptes de dépôt ou de livrets d’épargne peu dynamiques durant la période. La « taxe inflationniste » a ainsi surtout touché les petits épargnants. Pendant que le patrimoine financier des plus riches augmentait de 9 %, les taux d’intérêt du livret A plafonnaient à 3 % au plus fort de l’épisode inflationniste. Avec jusqu’à quatre points de pourcentage de moins par rapport au taux d’inflation, c’est un coup dur pour le pouvoir d’achat. Dans le même temps, le coût de l’inflation pour le patrimoine financier des plus riches est au contraire absorbé avec une marge confortable.

    Au final, en ajoutant les revenus financiers aux augmentations de salaire, les 20 % du haut de la distribution ont doublé l'augmentation de leurs revenus primaires et ont vu leur situation s’améliorer de plus de 2 000 €. Une fois défalquées les dépenses supplémentaires, c’est un gain net de pouvoir d'achat de plusieurs centaines d'euros, qui est presque doublé pour les 10 % les plus riches.

    Dans le même temps, les 20 % les plus pauvres voyaient leur pouvoir d’achat amputé de plus de 400 € du fait de hausses de salaire insuffisantes et de la faiblesse des revenus du patrimoine. Une perte de pouvoir d’achat qui, par ailleurs, ne comptabilise pas la perte de valeur de leur patrimoine financier érodé par deux ans d’inflation proche des 5 %.

    Depuis début 2022, c’est ainsi environ 10 % de pouvoir d’achat de l’épargne qui ont été cédés à la hausse des prix : une épargne de 1 000 € début 2022 permettait l’achat d’un bien au prix de 1 000 € ; à la fin 2023, avec 10 % d’inflation sur la période, le prix de ce même bien est de 1 100 € et les 1 000 € d’épargne sont insuffisants.



    Ce phénomène accentue la concentration des revenus vers le haut de la distribution des niveaux de vie, et renforce une concentration des patrimoines avec une répartition tout aussi inégalitaire. Et pour fermer le cercle infernal des inégalités économiques, l’héritage vient sanctuariser et amplifier cette concentration des patrimoines, comme l’écrivent les chercheurs Ohlsson et al. (2019), des Universités d'Uppsala, de Stockholm et de la Paris School of Economics : « L'importance économique de la richesse héritée dans la société s'est accrue. En Suède et en France, les flux d'héritage ont doublé au cours des deux dernières décennies, atteignant aujourd'hui presque les mêmes niveaux qu'avant les deux guerres mondiales ».

    La fabrique de la pauvreté


    En 2023, par choix politique, l’essentiel des aides exceptionnelles de 2022 n’est pas reconduit, malgré une inflation toujours forte et la faiblesse de l’augmentation des revenus du travail. Ce choix a pesé sur le niveau de vie des ménages modestes pendant que le dernier jalon de la suppression de la taxe d’habitation a au contraire favorisé les plus aisés.

    L’indemnité inflation, les bonus du chèque énergie, la prime exceptionnelle de rentrée et la revalorisation anticipée de certaines prestations, bourses et minima sociaux, avaient permis de contenir les effets de l’inflation sur le niveau de vie de la majorité de la population, et notamment les plus modestes. À l’inverse, leur suppression en 2023 représente des pertes de revenu proportionnellement d’autant plus élevées que les individus sont bas dans l’échelle des revenus.



    Résultat : environ 20 millions de ménages subissent une perte de revenu disponible par rapport à 2022. Pour les 20 % les plus modestes, c’est plus de 300 € en moins sur l’année, loin d’être compensés par les 50 € d’aide des mesures sociofiscales de 2023. En ajoutant les dépenses supplémentaires dues à l’augmentation des prix, cela représente au total une ponction de presque 10 % sur un niveau de vie déjà faible.

    À l’autre bout du spectre, la finalisation de la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales a bénéficié aux 20 % des ménages les plus aisés. L’augmentation de leur revenu disponible est en moyenne de 460 €, ce qui compense largement les manques à gagner de quelques dizaines d’euros dus à la fin des mesures exceptionnelles de 2022.

    En 2023, les effets conjugués de l’inflation, des mesures sociofiscales et de l’évolution des revenus primaires sont beaucoup plus inégalitaires et viennent frapper plus durement les plus modestes. En 2022, le soutien de l’État avait contenu les pertes de niveau de vie de manière relativement homogène autour de 1 % sur l’ensemble de la distribution des revenus, sauf pour les 10 % les plus riches, qui étaient alors les seuls à voir leur niveau de vie progresser.

    En 2023, le constat est inversé. À partir du sixième décile de revenu, plus le niveau de vie est faible et plus les pertes de revenu sont élevées. En miroir, les gains vont croissant avec les revenus pour les trois derniers déciles de niveau de vie.

    À l’heure où se fait entendre le bruit des bottes, la question du financement de l'effort de guerre se pose. Parmi les dogmes macronistes se trouvent en bonne place l’aversion à l’imposition des plus riches et les chimères du ruissellement. De quoi craindre l’idée d’une taxation indifférenciée qui affaiblirait encore plus les ménages modestes...

    Notes

    (1) L’indexation des salaires en Belgique remonte à l’après-Première Guerre mondiale et suit des mécanismes différents selon les secteurs. Plusieurs décisions prises au cours du temps ont cependant eu pour conséquence d’affaiblir l’efficacité de ce dispositif, historiquement défendu par les syndicats, mais régulièrement critiqué par le patronat. Avec des variations suivant les secteurs sur les seuils de déclenchement et la périodicité de révision, les salaires suivent un indice des prix, calculé hors produits pétroliers, de santé et de tabac.

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