FRANCE - 5 octobre 2008 - par PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-DOMINIQUE GESLIN
Après plus de vingt ans passés à la tête de l’organisation, le secrétaire général de Reporters sans frontières a quitté ses fonctions le 30 septembre. Il revient pour Jeune Afrique sur ses combats pour la liberté d’expression.
Certains chefs d’État africains ne le regretteront pas. Le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) a quitté ses fonctions le 30 septembre. Dès le lendemain, nous l’avons reçu à Jeune Afrique pour dresser « son bilan » de plus de deux décennies passées au service de la liberté de la presse. Une lutte menée avec ténacité, notamment sur le continent africain, où son nom reste associé à la défense de journalistes emprisonnés. Même si, parfois, RSF a pu donner l’impression de se tromper de cause. Alors qu’il vient de retrouver sa totale liberté de parole, celui qui fonda RSF en 1985, aujourd’hui âgé de 55 ans, revient sans retenue sur ses combats, au Maghreb comme au sud du Sahara, et répond sans détour aux critiques qui lui ont si souvent été adressées.
Jeune Afrique : Vous venez de quitter vos fonctions à la tête de Reporters sans frontières (RSF), pourquoi avez-vous pris cette décision ?
Robert Ménard : Je n’avais pas pour vocation d’être secrétaire général de RSF à vie. J’ai créé cette organisation il y a vingt-trois ans, et la plus belle réussite pour moi, c’est que RSF prospère au-delà de ce que j’en ai fait. C’est pourquoi, pendant deux ans, j’ai préparé ce départ. Mais le 30 septembre, lors de mon pot d’adieu, vous imaginez à quel point j’étais ému. RSF, c’est quand même mon bébé. Et c’est une belle histoire.
Qu’allez-vous faire maintenant ?
Il est très difficile de répondre à cette question. Si j’ai préparé RSF à mon retrait, je me suis peu préoccupé de moi-même. Le lendemain de mon départ, quand je me suis levé, je suis allé courir comme tous les matins, puis je me suis dit : « Où tu vas ? » J’ai envie de travailler dans la presse, mais plus comme journaliste. Peut-être pour diriger un média… Je me sens toujours concerné par tout ce qui touche aux droits de l’homme et à la liberté d’expression, ainsi que par le Centre de Doha pour la liberté d’information, que j’ai créé au Qatar. Enfin, je m’intéresse à la politique. Lorsque nous nous sommes mobilisés autour des jeux Olympiques de Pékin, je me suis rendu compte que nous avions su sensibiliser les gens, mais que la traduction du changement dans les faits passait par l’action politique.
On vous verra peut-être sur une liste aux élections européennes de 2009 ?
Pas forcément. Ne serait-ce que parce que je serais bien en peine de vous dire où sont mes amis politiques aujourd’hui. J’ai cessé de juger les gens sur leur étiquette, et cela me complique souvent la vie.
Après plus de vingt ans passés à la tête de RSF, comment avez-vous vu évoluer la presse africaine ?
Elle n’a rien à voir avec ce qu’elle était avant 1990. Il y a aujourd’hui une presse en Afrique. Pour être plus précis, il y a des journalistes. Le problème, c’est que faire une presse dans des pays où aucune des conditions requises n’existe crée des situations invraisemblables. Il n’y a pas les bases économiques, parce qu’il n’y a souvent pas de pouvoir d’achat, sans même parler de l’analphabétisme. Il n’y a pas vraiment de réseaux de distribution non plus. Et il n’y a pas le minimum de transparence nécessaire pour faire un journal. Recueillir l’information en Afrique, pour un journaliste africain, c’est un problème de tous les jours.
Peu de journaux africains ont la possibilité d’être rentables…
Les conditions économiques ne le leur permettent pas dans la mesure où le marché publicitaire est quasi inexistant. Pour rémunérer leur personnel, certains patrons de presse incitent clairement leurs journalistes à « se payer sur la bête ». Je ne veux pas donner de leçons de morale. Si je vivais en Afrique avec quatre enfants à élever, et si j’avais un patron qui me disait : « T’as pas de salaire à la fin du mois, à toi de te faire payer par les gens que tu interviewes », peut-être que je le ferais.
Mais cette situation favorise le développement d’une presse d’une qualité plus que déplorable, dénuée de tout principe déontologique. Pour 50 000 F CFA, je peux faire dire sur vous tout ce que je veux. Avec ce mélange des genres, RSF se retrouve à défendre des gens difficilement défendables. Cela a notamment été le cas au Cameroun quand certains journaux se sont mis à publier des listes de personnalités prétendument homosexuelles. Ce type de comportement donne raison aux chefs d’État qui dénoncent les dérives de la presse et emprisonnent des journalistes. En agissant ainsi, ils les transforment en héros de la liberté. Certains journalistes arrêtés le sont effectivement. Mais je reconnais qu’il est aussi arrivé à RSF d’être obligé de voler au secours d’un certain nombre de personnes, dont quelques-unes sont de belles petites crapules.
RSF a souvent cloué au pilori les chefs d’État qui bafouent la liberté de la presse. Et si on faisait cet exercice à l’envers : dans quel pays avez-vous constaté les plus grands progrès ?
Je mentionnerai d’abord le Mali et le Bénin, deux pays qui ont connu l’alternance… Ainsi que le Maroc, où les choses ont bien changé. Mohammed VI est un monarque moderne, qui a permis une ouverture dans laquelle des journalistes se sont engouffrés. Ils disposent aujourd’hui d’un espace de liberté suffisant pour s’exprimer.
Même si des problèmes demeurent. Il y a toujours des journalistes qui sont poursuivis, qui sont condamnés et emprisonnés, il y a des médias qui sont censurés, il y a des exemplaires de journaux qui ont été brûlés… Mais paradoxalement, c’est un bon signe. Quand on emprisonne des journalistes, c’est évidemment un manquement à la liberté de la presse. Mais c’est aussi la preuve que, dans le pays en question, il y a des journalistes remuants, qui essaient de faire leur boulot. Il fut un temps en Afrique où il n’y avait personne à emprisonner. La presse était contrôlée, il y avait une radio, une télévision, une agence et un journal qui étaient tous aux ordres du président, de sa famille, de son clan, de son ethnie…
RSF ne confond-il pas la liberté de la presse avec la liberté de dire n’importe quoi ?
C’est nous faire un mauvais procès. Je vous répète qu’il y a un certain nombre de titres et de journalistes qu’on n’a aucune envie de défendre. Quand des gens font de l’information de caniveau, écrivent des choses fausses et non vérifiées, on n’a pas envie de les défendre. Mais, en même temps, je vous le redis, mettre en prison des gens n’est pas la bonne solution. En plus, la prison transforme des vauriens en héros. Il y a d’autres façons de sanctionner.
Au Sénégal, il y a quelques jours encore, 24 heures chrono a diffamé le président Wade et son fils Karim. RSF n’a pas défendu 24 heures.
Mais je dis tout de même aux dirigeants politiques que, s’ils veulent être exigeants sur le contenu, il faut donner aux journalistes un cadre juridique adéquat, et cesser de les mettre en prison pour des délits de presse. À partir de là, ils pourront être dix fois plus exigeants.
Vous réclamez la dépénalisation des délits de presse… Est-ce que cela concerne aussi les amendes infligées aux journalistes ?
Pas du tout. Dépénaliser, c’est ne plus juger au pénal mais au civil, c’est supprimer uniquement les peines de prison. Moi, je suis pour qu’on inflige des sanctions terribles aux journalistes qui injurient les gens et qui mentent sciemment. Il faut les punir. C’est comme cela que l’on fera respecter la presse.
RSF est souvent perçu en Afrique comme une ONG de riches qui donne des leçons aux pauvres…
Je n’ai aucun état d’âme sur ce registre-là. Je n’ai jamais pris de gants avec qui que ce soit sur la question des droits de l’homme, et surtout pas avec les Africains. Je n’ai aucune mauvaise conscience par rapport à l’Afrique. Certains de mes confrères africains sont des types bien, d’autres sont des imbéciles, d’autres des crapules… Idem pour les chefs d’État. Pourquoi prendrais-je des gants ? Parce qu’ils sont noirs ? Parce que je suis originaire d’un pays qui a colonisé l’Afrique ? Je parle exactement de la même façon à un Blanc ou à un Noir.
J’ai été reçu des dizaines de fois par des chefs d’État africains. À tous j’ai dit en face ce que j’avais à dire. L’ancien président de RSF, Noël Copin, aujourd’hui décédé, m’avait dit n’avoir qu’une seule règle dans la vie : « Ce que tu écris sur quelqu’un, il faut être capable de lui dire en face. » Je n’ai jamais dérogé à cette règle, en Afrique ou ailleurs.
Après plus de vingt ans passés à la tête de l’organisation, le secrétaire général de Reporters sans frontières a quitté ses fonctions le 30 septembre. Il revient pour Jeune Afrique sur ses combats pour la liberté d’expression.
Certains chefs d’État africains ne le regretteront pas. Le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) a quitté ses fonctions le 30 septembre. Dès le lendemain, nous l’avons reçu à Jeune Afrique pour dresser « son bilan » de plus de deux décennies passées au service de la liberté de la presse. Une lutte menée avec ténacité, notamment sur le continent africain, où son nom reste associé à la défense de journalistes emprisonnés. Même si, parfois, RSF a pu donner l’impression de se tromper de cause. Alors qu’il vient de retrouver sa totale liberté de parole, celui qui fonda RSF en 1985, aujourd’hui âgé de 55 ans, revient sans retenue sur ses combats, au Maghreb comme au sud du Sahara, et répond sans détour aux critiques qui lui ont si souvent été adressées.
Jeune Afrique : Vous venez de quitter vos fonctions à la tête de Reporters sans frontières (RSF), pourquoi avez-vous pris cette décision ?
Robert Ménard : Je n’avais pas pour vocation d’être secrétaire général de RSF à vie. J’ai créé cette organisation il y a vingt-trois ans, et la plus belle réussite pour moi, c’est que RSF prospère au-delà de ce que j’en ai fait. C’est pourquoi, pendant deux ans, j’ai préparé ce départ. Mais le 30 septembre, lors de mon pot d’adieu, vous imaginez à quel point j’étais ému. RSF, c’est quand même mon bébé. Et c’est une belle histoire.
Qu’allez-vous faire maintenant ?
Il est très difficile de répondre à cette question. Si j’ai préparé RSF à mon retrait, je me suis peu préoccupé de moi-même. Le lendemain de mon départ, quand je me suis levé, je suis allé courir comme tous les matins, puis je me suis dit : « Où tu vas ? » J’ai envie de travailler dans la presse, mais plus comme journaliste. Peut-être pour diriger un média… Je me sens toujours concerné par tout ce qui touche aux droits de l’homme et à la liberté d’expression, ainsi que par le Centre de Doha pour la liberté d’information, que j’ai créé au Qatar. Enfin, je m’intéresse à la politique. Lorsque nous nous sommes mobilisés autour des jeux Olympiques de Pékin, je me suis rendu compte que nous avions su sensibiliser les gens, mais que la traduction du changement dans les faits passait par l’action politique.
On vous verra peut-être sur une liste aux élections européennes de 2009 ?
Pas forcément. Ne serait-ce que parce que je serais bien en peine de vous dire où sont mes amis politiques aujourd’hui. J’ai cessé de juger les gens sur leur étiquette, et cela me complique souvent la vie.
Après plus de vingt ans passés à la tête de RSF, comment avez-vous vu évoluer la presse africaine ?
Elle n’a rien à voir avec ce qu’elle était avant 1990. Il y a aujourd’hui une presse en Afrique. Pour être plus précis, il y a des journalistes. Le problème, c’est que faire une presse dans des pays où aucune des conditions requises n’existe crée des situations invraisemblables. Il n’y a pas les bases économiques, parce qu’il n’y a souvent pas de pouvoir d’achat, sans même parler de l’analphabétisme. Il n’y a pas vraiment de réseaux de distribution non plus. Et il n’y a pas le minimum de transparence nécessaire pour faire un journal. Recueillir l’information en Afrique, pour un journaliste africain, c’est un problème de tous les jours.
Peu de journaux africains ont la possibilité d’être rentables…
Les conditions économiques ne le leur permettent pas dans la mesure où le marché publicitaire est quasi inexistant. Pour rémunérer leur personnel, certains patrons de presse incitent clairement leurs journalistes à « se payer sur la bête ». Je ne veux pas donner de leçons de morale. Si je vivais en Afrique avec quatre enfants à élever, et si j’avais un patron qui me disait : « T’as pas de salaire à la fin du mois, à toi de te faire payer par les gens que tu interviewes », peut-être que je le ferais.
Mais cette situation favorise le développement d’une presse d’une qualité plus que déplorable, dénuée de tout principe déontologique. Pour 50 000 F CFA, je peux faire dire sur vous tout ce que je veux. Avec ce mélange des genres, RSF se retrouve à défendre des gens difficilement défendables. Cela a notamment été le cas au Cameroun quand certains journaux se sont mis à publier des listes de personnalités prétendument homosexuelles. Ce type de comportement donne raison aux chefs d’État qui dénoncent les dérives de la presse et emprisonnent des journalistes. En agissant ainsi, ils les transforment en héros de la liberté. Certains journalistes arrêtés le sont effectivement. Mais je reconnais qu’il est aussi arrivé à RSF d’être obligé de voler au secours d’un certain nombre de personnes, dont quelques-unes sont de belles petites crapules.
RSF a souvent cloué au pilori les chefs d’État qui bafouent la liberté de la presse. Et si on faisait cet exercice à l’envers : dans quel pays avez-vous constaté les plus grands progrès ?
Je mentionnerai d’abord le Mali et le Bénin, deux pays qui ont connu l’alternance… Ainsi que le Maroc, où les choses ont bien changé. Mohammed VI est un monarque moderne, qui a permis une ouverture dans laquelle des journalistes se sont engouffrés. Ils disposent aujourd’hui d’un espace de liberté suffisant pour s’exprimer.
Même si des problèmes demeurent. Il y a toujours des journalistes qui sont poursuivis, qui sont condamnés et emprisonnés, il y a des médias qui sont censurés, il y a des exemplaires de journaux qui ont été brûlés… Mais paradoxalement, c’est un bon signe. Quand on emprisonne des journalistes, c’est évidemment un manquement à la liberté de la presse. Mais c’est aussi la preuve que, dans le pays en question, il y a des journalistes remuants, qui essaient de faire leur boulot. Il fut un temps en Afrique où il n’y avait personne à emprisonner. La presse était contrôlée, il y avait une radio, une télévision, une agence et un journal qui étaient tous aux ordres du président, de sa famille, de son clan, de son ethnie…
RSF ne confond-il pas la liberté de la presse avec la liberté de dire n’importe quoi ?
C’est nous faire un mauvais procès. Je vous répète qu’il y a un certain nombre de titres et de journalistes qu’on n’a aucune envie de défendre. Quand des gens font de l’information de caniveau, écrivent des choses fausses et non vérifiées, on n’a pas envie de les défendre. Mais, en même temps, je vous le redis, mettre en prison des gens n’est pas la bonne solution. En plus, la prison transforme des vauriens en héros. Il y a d’autres façons de sanctionner.
Au Sénégal, il y a quelques jours encore, 24 heures chrono a diffamé le président Wade et son fils Karim. RSF n’a pas défendu 24 heures.
Mais je dis tout de même aux dirigeants politiques que, s’ils veulent être exigeants sur le contenu, il faut donner aux journalistes un cadre juridique adéquat, et cesser de les mettre en prison pour des délits de presse. À partir de là, ils pourront être dix fois plus exigeants.
Vous réclamez la dépénalisation des délits de presse… Est-ce que cela concerne aussi les amendes infligées aux journalistes ?
Pas du tout. Dépénaliser, c’est ne plus juger au pénal mais au civil, c’est supprimer uniquement les peines de prison. Moi, je suis pour qu’on inflige des sanctions terribles aux journalistes qui injurient les gens et qui mentent sciemment. Il faut les punir. C’est comme cela que l’on fera respecter la presse.
RSF est souvent perçu en Afrique comme une ONG de riches qui donne des leçons aux pauvres…
Je n’ai aucun état d’âme sur ce registre-là. Je n’ai jamais pris de gants avec qui que ce soit sur la question des droits de l’homme, et surtout pas avec les Africains. Je n’ai aucune mauvaise conscience par rapport à l’Afrique. Certains de mes confrères africains sont des types bien, d’autres sont des imbéciles, d’autres des crapules… Idem pour les chefs d’État. Pourquoi prendrais-je des gants ? Parce qu’ils sont noirs ? Parce que je suis originaire d’un pays qui a colonisé l’Afrique ? Je parle exactement de la même façon à un Blanc ou à un Noir.
J’ai été reçu des dizaines de fois par des chefs d’État africains. À tous j’ai dit en face ce que j’avais à dire. L’ancien président de RSF, Noël Copin, aujourd’hui décédé, m’avait dit n’avoir qu’une seule règle dans la vie : « Ce que tu écris sur quelqu’un, il faut être capable de lui dire en face. » Je n’ai jamais dérogé à cette règle, en Afrique ou ailleurs.
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