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Egypte : "A vendre n'importe quel partie de mon corps"

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  • Egypte : "A vendre n'importe quel partie de mon corps"

    A vendre, n'importe quelle partie de mon corps

    « Je suis égyptien, j’ai 27 ans et j’ai désespérément besoin de 150 000 L.E. Je suis prêt à vendre n’importe quel organe de mon corps contre cet argent. Mon groupe sanguin est O+, je pèse 64 kg, je fais 167 cm et je ne souffre d’aucune maladie », une annonce qui, à quelques différences près, trouve sa place avec beaucoup d’autres sur Internet. Il suffit juste d’aller sur Google et de taper en arabe les mots : « don », « rein », « Egypte ». L’annonce ne fait plus surprise dans un pays où le trafic d’organes voire le tourisme de transplantation est prospère. Selon les responsables égyptiens mais aussi d’après des estimations de l’Organisation mondiale de la santé, l’Egypte occupe plus ou moins la quatrième position dans les greffes illégales, derrière la Chine, l’Inde et les Philippines. Illicite, ceci n’empêche pas le candidat au « don d’organes » de noter son numéro de téléphone dans l’annonce. Mahmoud Ali est l’un d’entre eux. A 24 ans, il se rend subitement compte qu’il n’a « aucun sous ». Soudeur au chômage, il décide alors de tenter de « chercher de l’argent par n’importe quel moyen ». Son annonce sur Internet n’attire cependant pas d’importants acheteurs. « Ils ne sont pas sérieux apparemment », croit-il.

    Pour les ignorantissimes de la toile, les connaisseurs des rouages du business conseillent plutôt d’aller directement sur le terrain. Direction quartier de Sayeda Zeinab, à l’intersection avec Abdine, un café populaire. Selon les ouï-dire, c’est ici qu’il faut chercher le réseau mafieux des courtiers d’organes. Une fois sur place, personne n’ose confirmer l’info. Les gens se méfient dès qu’ils apprennent qu’ils ont affaire à des journalistes. On nous dit d’ailleurs que les impliqués dans ce genre de business cessent d’être visibles, de crainte de se faire arrêter. Voilà une semaine, que le scandale, pourtant ancien, s’est renouvelé, et à l’origine un CD vidéo, filmé par l’association Nour Al-Hayah à Imbaba. Une ONG qui s’occupe des enfants de la rue et entre autres les sensibilise contre le trafic d’organes, une pratique assez commune chez ces « locataires de trottoirs ». (Lire portrait page 5). Le CD, dont le quotidien indépendant Al-Badil avait réussi à obtenir une copie, montre des discussions entre une personne non identifiée, probablement un responsable de l’ONG et des victimes du trafic d’organes.

    On voit un jeune de 18 ans, dit Rami, montrant une grande cicatrice du côté droit de son dos. « Là, c’était mon rein », dit-il. « Un jour, un de mes collègues est venu me dire : J’ai un bon projet pour toi qui te fera gagner beaucoup d’argent, vends un de tes reins. J’ai accepté et il m’a accompagné chez un courtier à Choubra Al-Kheima », explique le jeune homme en remettant son t-shirt. Choubra Al-Kheima est une des banlieues pauvres du Caire, où se mélangent les Egyptiens ordinaires aux trafiquants de drogue et aux extrémistes.

    Les cas se succèdent. C’est le tour à Mohamad. Il a lui aussi vendu un rein, en échange de 10 000 L.E. mais le courtier finit par le piéger en lui donnant la moitié de la somme en fausse monnaie. Des scénarios désormais fréquents.

    Le gouvernement contre-attaque

    Parallèlement à ces témoignages terrifiants, le ministère de la Santé mène en une semaine un assaut contre quatre hôpitaux privés, qui menaient en clandestin des greffes d’organes en faveur de « patients-touristes ». Il s’agit selon le ministère de cinq Saoudiens et un Palestinien. La chasse aux sorcières commence tard dans la nuit, « à l’heure où les hôpitaux du sous-sol débutent les opérations ». En fait, à part la greffe de la cornée, il n’existe en Egypte une loi régissant la transplantation d’organes. Seule, une note du Syndicat des médecins fait office de législation. Celle-ci permet les greffes entre les membres d’une même famille, celles-ci doivent être par ailleurs gratuites, on parle uniquement de « don ». Un don est illégal pourtant pour les étrangers.

    Ce laxisme de la loi a fait nourrir le marché noir, d’autant plus qu’un projet de loi traîne depuis plus d’une dizaine d’années entre le Parlement et le Cabinet des ministres. Mohamad Khalil Qoweita, député du PND au pouvoir, était le premier à proposer ce projet en 1996 et il ne se lasse pas de le présenter chaque an au Parlement. Le débat est toujours vif aujourd’hui, en raison notamment du prélèvement d’organes sur des personnes cliniquement mortes, à condition d’un aveu écrit avant leur mort ou après le consentement de leurs proches. La définition médicale ainsi que religieuse de cette mort fait blocage. « Les médecins des greffes d’organes veulent transformer l’Egypte en un pays de pièces de rechanges humaines pour les richards de la région », s’indigne Qoweita. Mais les plus fervents, à l’instar du chef du Syndicat des médecins, Hamdi Al-Sayed, dénoncent cet enlisement dans les définitions. (Lire interview). Il affirme que des pays comme l’Iran et l’Arabie saoudite autorisent la greffe d’organes depuis longtemps alors que l’Egypte fait du statu quo législatif, laissant éclore un marché noir.

    Une question de culture, dit-on. Pour l’Egyptien, le corps est sacré, c’est l’héritage des pharaons. Après la mort, c’était avec talent que le corps était lavé rituellement, autant de l’intérieur que de l’extérieur.

    On retirait le cerveau, les reins, le cœur et les poumons et on les plongeait dans des essences aromatiques et ensuite on les plaçait dans quatre vases à côté du cercueil en attendant le retour de l’âme.

    Des hôpitaux privés de sens humain

    Dans les détails du projet de la nouvelle loi, beaucoup sont ceux qui condamnent l’intégration des hôpitaux privés vu leur record en matière d’infraction à la loi. Concrètement, ce sont les hôpitaux privés qui facilitent le trafic d’organes. Mohamad Badr l’a découvert lui-même. Souffrant d’insuffisance rénale, il se fait hospitaliser et dans un premier temps, on lui fait comprendre qu’il doit chercher lui-même « un donateur ». Le médecin qui doit l’opérer ne tarde pas à l’aider, en lui désignant un laboratoire d’analyse en particulier. « Là-bas, on m’a introduit à un courtier qui s’occupe du recrutement du donateur », explique Badr. X, le vendeur du rein, Badr ne l’a pas connu mais il a été recruté là où la misère et la pauvreté règnent. Comme cela est de coutume, X signe un bout de papier certifiant qu’il accepte de faire don de son rein, gratuit bien sûr. Endetté à tout le monde y compris au courtier lui-même, il encaisse finalement 5 000 L.E. alors que Badr finit par payer, hospitalisation incluse, environ 70 000 L.E. pour se sauver la vie. En général, il faudrait payer entre 20 000 et 30 000 L.E. le prix d’un rein alors que le prix d’un lobe du foie s’élève à 70 000 et parfois 100 000 L.E.

    Une population en mauvaise santé

    Des prix voués à augmenter puisque la demande est assez importante en Egypte. A part les patients-touristes, il existe un million d’Egyptiens souffrant d’insuffisance rénale grave et 30 000 personnes en besoin immédiat de greffe de foie. Un nombre vouait à tripler dans au moins 5 ans, si l’on sait que 30 % des 80 millions d’Egyptiens souffrent d’hépatite. Des statistiques qui expliquent pourquoi encore les mafieux n’hésitent pas parfois à enlever des enfants et prélever leurs organes. Pourtant et en raison de son caractère clandestin, aucun chiffre n’existe sur le nombre de trafic d’organes.

    L’ultime question reste comment rendre disponible des organes à des patients en attente ? Rien ne garantit non plus que les organes destinés à être transplantés « seraient alloués équitablement aux receveurs appropriés sans considération du statut social ou financier », comme le recommande la déclaration d’Istanbul contre le trafic d’organes et le tourisme de transplantation (ci-dessous). La sonnette d’alarme est tirée de nouveau. Dans son discours à l’inauguration de la session parlementaire, le président égyptien décide que la nouvelle loi serait adoptée cette fois-ci. Mais le secteur demeure difficile à assainir, parce que d’un côté il y a celui qui a tout sauf son corps et celui qui n’a rien qu’un corps ... à vendre.

    Samar Al-Gamal

    Interview :L’Egypte occupe le 4e rang au monde pour le trafic d’organes
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