Par Samir Achehbar
Enquête sur les Forces armées royalesJusque-là, rien de bien anormal. Sauf que le diable se cache dans les détails. Dans la nouvelle Loi de Finances, le royaume a consacré une enveloppe de 34, 526 milliards de dirhams consacré à la Défense, soit environ 15% du budget de l’Etat. Du jamais vu dans les annales du Parlement. C’est que, depuis son accession au trône en 1999, le roi Mohammed VI a gâté son armée : son budget a été doublé rien que sur les deux dernières Lois de Finances, celles de 2008 et 2009. Il y a encore quatre ans, ce budget ne dépassait guère les 12 milliards de dirhams. Le Maroc s’est-il lancé dans une course à l’armement ? Quelle raison aurait-il de le faire ? S’agit-il de maintenir la “parité militaire” avec le voisin algérien ? De faire face à la montée du terrorisme ?
Le coup de gueule royal
Août 2001, palais royal de Rabat. Mohammed VI, chef suprême des armées, réunit pour la première fois depuis son intronisation l’état-major des Forces armées royales (FAR). Pour leur baptême du feu, les généraux ainsi conviés ont droit à un cours magistral, donné par le roi himself : “Le roi a présenté à l’assistance un exposé détaillé sur l’état de santé de l’armée marocaine, s’attardant essentiellement sur ses faiblesses”, nous rapporte une source bien informée. Si le roi n’a pas mâché ses mots, c’est qu’il sait de quoi il parle. Il est loin d’être un novice en la matière. Du temps de son père, il a été le coordonnateur des FAR. Un poste stratégique qui lui a permis de se frotter de près à la réalité de ses troupes. La réalité en question : une armée vieillotte, des soldats mal formés, un matériel obsolète… C’est ce qu’on dit dans les chaumières, c’est un peu vrai, de plus en plus, sur le terrain. “Mohammed VI a dit ce jour-là ce qu’il n’a jamais pu dire lorsqu’il était prince héritier, c’était en quelque sorte l’heure de vérité, le moment de remettre les pendules à l’heure”, ajoute notre source. Mais le souverain ne s’est pas arrêté en si bon chemin.
Il a surpris ses “lieutenants” en leur dressant un topo très pointu sur les voisins : l’armée algérienne. La source de Mohammed VI ? Un gros rapport du Pentagone fourni gracieusement par l’allié américain. Le document révèle dans le moindre détail l’armement dont disposent les troupes de Abdelaziz Bouteflika, ses acquisitions des deux années précédentes (officielles ou non), ses mouvements sur le terrain… Réaction de l’assistance, médusée devant le speech technique du roi : “Tout le monde était gêné devant tant de précisions. Surtout les responsables de la DGED (renseignements extérieurs, aujourd’hui civils, longtemps assimilés à l’appareil militaire) et des renseignements militaires qui n’avaient jamais entendu parler de ce rapport”, nous confie ce haut gradé. Avant de donner congé à ses invités, Mohammed VI leur fait part de ses conclusions, sur le mode impératif : il faut développer et moderniser l’armée marocaine. Ce qui passe, entre autres, par un dopage de son budget.
Les FAR font leur marché
Mohammed VI ne s’est pas contenté d’appeler à la mise à niveau et à l’augmentation du budget de ses troupes. Le chef d’état-major des FAR a également fixé les priorités de la grande muette. Il a tenu avant tout à “muscler” l’armée de l’air. Après de longues négociations qui ont fait couler beaucoup d’encre, le Maroc a lancé durant l’été 2008 une commande de 24 avions de chasse F-16 de dernière génération au constructeur américain Lockheed Martin, livrables à partir de 2011. Petite entorse à la règle, telle que nous l’a rapportée ce militaire de haut rang : “Les Américains nous ont déjà livré un exemplaire de ces F-16, qui se trouve actuellement à la base aérienne de Kénitra. C’est une petite faveur, le but étant de nous familiariser avec ce nouveau type d’appareil”. Coût de la transaction globale : 2,3 milliards de dollars, dont 80% devraient être financés par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis. “Mais attention, ajoute notre source, des radars, un simulateur et des pièces de rechanges sont également compris, en plus des F-16, dans la facture globale de cette opération”.
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