Par Ahmed R. Benchemsi
Campagne Plutôt qu’effrayer les trafiquants, l’Etat devrait les concurrencer
La problématique a déjà été traitée maintes fois, mais remettons-la quand même à plat : c’est entendu, le produit est illicite et son trafic, illégal. Quant aux autorités, elles sont corrompues et ferment les yeux parce qu’au fond, ça arrange tout le monde. Même illégal, le trafic nourrit des centaines de milliers de familles – ce qui est toujours bon à prendre, dans un pays pauvre comme le Maroc. Quant au produit, même illicite, il permet au peuple de se détendre – et Dieu sait s’il en a
La problématique a déjà été traitée maintes fois, mais remettons-la quand même à plat : c’est entendu, le produit est illicite et son trafic, illégal. Quant aux autorités, elles sont corrompues et ferment les yeux parce qu’au fond, ça arrange tout le monde. Même illégal, le trafic nourrit des centaines de milliers de familles – ce qui est toujours bon à prendre, dans un pays pauvre comme le Maroc. Quant au produit, même illicite, il permet au peuple de se détendre – et Dieu sait s’il en a
Ainsi, chez nous, va le trafic… de DVD piratés. Eh non, ce n’est pas de haschich qu’il s’agissait. Avouez quand même que la similitude est troublante. Cela va jusqu’au “code éthique” des trafiquants : de même qu’une barrette de cannabis sera vendue 4 fois plus cher à un étranger qu’à un Marocain, les graveurs de DVD illégaux piratent à cœur joie les films étrangers, mais laissent les nationaux à l’écart de leur business… “pour que nos frères ‘mangent un bout de pain’ avec le public, sans interférence”. Ce patriotisme de bon aloi fonctionnait tant que les films des “frères” n’étaient pas trop demandés. Mais ces derniers temps, la donne a changé. Casanegra et Whatever Lola Wants, par exemple, marchent tellement fort en salles que les pirates n’ont pas su résister, et en ont fait circuler des copies. Les producteurs marocains ont immédiatement déposé plainte, ce qui a eu pour effet de déclencher une “hamla” impromptue. Depuis le week-end dernier, plus de 150 000 DVD piratés ont été saisis, et une dizaine de revendeurs interpellés, puis inculpés. Peut-être que les milliers d’autres – qui, pour l’instant, se terrent encore – comprendront la leçon et ne lorgneront plus le “bout de pain” de leurs “frères”. Ou peut-être pas. En tout cas, ce n’est pas ça qui arrêtera le trafic.
Au fond, est-ce souhaitable ? Posez-vous la question, chère lectrice, cher lecteur, vous, consommateurs réguliers (tout comme moi) de DVD piratés : voulez-vous vraiment que ça s’arrête ? Vu la rareté des salles de cinéma confortables à un prix abordable, vu que les DVD légaux, ça n’existe tout simplement pas… arrêter le trafic n’aurait qu’un seul effet : vous priver de films, sans contrepartie. Oui, ça permettrait à nos producteurs de respirer et de continuer à investir… mais le maintien du “code éthique” des pirates aurait le même effet. Sans mettre à bas toute une “industrie”, aussi dérangeante soit-elle pour les légalistes convaincus qui, pour rien au monde, ne consommeraient du “piraté”. Existent-ils, d’ailleurs ? En connaissez-vous un seul dans votre entourage ?
Contrairement au cannabis, la solution au piratage n’est pas la légalisation. L’Etat doit plutôt se concentrer sur l’alternative. Que des incitations fiscales sérieuses soient accordées à ceux qui veulent investir dans les salles de cinéma, baisser le prix des tickets, importer des DVD légalement pour les vendre à un tarif raisonnable… Peut-être, quand tout cela sera fait, serez-vous prêt à faire un effort et à respecter la loi. Mais d’ici là, qu’on cesse de se moquer du monde…
© 2009 TelQuel Magazine.