Entretien avec le chef spirituel des chiïtes marocains, Hojatolislam Driss Hani
“Le Maroc est un pays Chiïte”
Je dois vous avouer que je suis un sympathisant du Hezbollah libanais, mais je ne suis pas délégué par ce parti pour mener des activités politiques au Maroc. Ceci dit, j’ai des rapports très amicaux avec les chefs religieux Cheikh Houssein Fadlellah et Cheikh Hassan Nasr Allah.
Propos recueillis
par Taïeb Chadi
• Maroc Hebdo International: On vous présente comme l’idéologue, l’avocat, voire le chef spirituel des chiïtes marocains. Vous l’êtes vraiment?
- Driss Hani: Je pense que certains chiïtes marocains sont très bienveillants à mon égard. Certains m’appellent même le «Hojatolislam». Cela dit, Je ne me considère pas vraiment comme un chef spirituel. Je suis plutôt un Marocain chiïte qui s’assume comme tel et je pratique mon rite avec modération depuis que j’étais très jeune.
• MHI: Vous êtes alors un des rares Marocains chiïtes?
- Driss Hani: Il y a de plus en plus de chiïtes marocains. D’ailleurs, j’en connais beaucoup, notamment parmi les jeunes universitaires.
Ce qu’on a tendance à oublier et à faire oublier aux autres, c’est que le Maroc est un pays chiïte. Au Maroc, le chiïsme est la règle et le sunnisme l’exception. D’ailleurs la dynastie alaouite, elle-même, est par essence chiïte.
Ceci, peu de Marocains, malheureusement, le savent. C’est pourquoi, j’appelle à une nouvelle et vraie lecture de l’histoire religieuse du Maroc, l’un des rares pays officiellement sunnite mais qui célèbre religieusement les fêtes chiïtes, comme l’achoura.
• MHI: Ets-ce que vous encadrez les jeunes chiïtes?
- Driss Hani: Oui, je les encadre sur le plan intellectuel puisqu’ils viennent me voir pour me demander de la documentation sur le chiïsme. C’est un encadrement strictement culturel et complètement informel, il ne peut donc être assimilé, en aucun cas, à un embrigadement politique ou idéologique.
• MHI: Mais vous savez que les frontières entre l’encadrement culturel et l’embrigadement politique ne sont pas toujours claires et étanches…
- Driss Hani: Ecoutez, le Maroc n’a pas besoin d’être reconverti au chiïsme puisqu’il l’est déjà.
• MHI: Est-ce que vous êtes derrière le projet de l’association Chiïte Al ghadir qui a déposé une demande d’autorisation auprès du ministère de l’Intérieur?
- Driss Hani: Les jeunes universitaires qui ont eu l’idée de créer cette association sont venus me voir pour m’en parler. Je les ai vivement encouragés à s’inscrire dans une démarche associative formelle, reconnue par les autorités et qui exerce ses activités dans la légalité. D’ailleurs, mon frère cadet Mouhssine, qui est parmi les fondateurs d’Al Ghadir, est très optimiste pour ce projet.
• MHI: avez-vous l’intention de créer un parti ou un mouvement politique au Maroc, à l’image de Hizbou Allah Libanais?
- Driss Hani: Nous pensons sérieusement à cette éventualité. Mais, c’est un peu tôt pour mettre sur pied un tel projet qui ne s’appellera pas forcément Hizbou Allah qui du reste, est spécifiquement libanais.
Pour le moment, notre priorité est de donner une image pacifique et unificatrice de notre chiïsme. Un chiïsme, je le répète, qui tient compte des réalités marocaines.
• MHI: Est-ce que vous rencontrez des difficultés dans la pratique de votre rite?
- Driss Hani: Pas la moindre difficulté. D’ailleurs, je fête pieusement le jour d’achoura qui célèbre l’assassinat de l’imam Al Houssein, que je considère comme la grande victime de la guerre inter-religieuse musulmane.
• MHI: Est-ce que vous avez un problème avec vos compatriotes sunnites?
- Driss Hani: Les chiïtes respectent beaucoup les sunnites. Ce qui n’est malheureusement pas le cas pour ces derniers. En Arabie Saoudite ou au Koweït, par exemple, les chiïtes sont persécutés. Au Maroc, les oulémas salafistes donnent toujours une image caricaturale des chiïtes. Ils amplifient leur différence distinctive et réduisent délibérément le chiïsme à des aspects aussi cocasses que le «mariage de jouissance».
Cela n’est pas pour aider le dialogue entre les adeptes des deux rites. Au contraire, la déchirure confessionnelle risque de venir de là.
• MHI: Mais qu’est-ce que vous reprochez exactement aux oulémas salafistes marocains?
- Driss Hani: je les trouve orthodoxes et très fanatiques. Je regrette aussi leur incapacité à aller au-delà d’une lecture linéaire et littérale du texte coranique. Ils focalisent souvent leurs joutes oratoires sur des détails futils et oublient l’essence et l’esprit même du texte originel.
C’est pour camoufler cette incapacité de méthode, ce déficit d’assimilation qu’ils s’en prennent aux chiïtes et critiquent leur recours à l’ijtihad et leur usage de la raison dans leur approche du Coran. Malgré ces différences de lecture entre les différentes écoles islamiques, le Livre Saint est le bien sacré commun de tous les musulmans.
• MHI: Est-ce que vous êtes investi d’une mission de propagation du chiïsme au Maroc?
- Driss Hani: Ma seule et véritable mission est de réussir à expliquer aux Marocains la nécessité de mettre fin à cette querelle rhétorique entre sunnites et chiïtes, qui divise les musulmans depuis l’aube de l’Islam et qui a accompagné toute sa genèse.
Ce fanatisme rituel ne profite à personne. En tout cas pas aux musulmans. Pour moi, un musulman se doit d’aimer son frère de religion qu’il soit sunnite ou chiïte. Je pense que du moment que je reconnais votre sunnisme et que je le respecte, vous aussi, vous devez, et vous y êtes obligé, de me reconnaître et de me respecter en tant que chiïte.
Et puis, où est le mal? Est-ce que mon chiïsme porte préjudice à quelqu’un? Je trouve que les chiïtes ont été assez persécutés par les sunnites à travers les siècles et les vicissitudes de l’histoire musulmane. Il est temps de rétablir la vérité dans la sérénité, la tolérance, la coexistence et la bonne intelligence.
“Le Maroc est un pays Chiïte”
Je dois vous avouer que je suis un sympathisant du Hezbollah libanais, mais je ne suis pas délégué par ce parti pour mener des activités politiques au Maroc. Ceci dit, j’ai des rapports très amicaux avec les chefs religieux Cheikh Houssein Fadlellah et Cheikh Hassan Nasr Allah.
Propos recueillis
par Taïeb Chadi
• Maroc Hebdo International: On vous présente comme l’idéologue, l’avocat, voire le chef spirituel des chiïtes marocains. Vous l’êtes vraiment?
- Driss Hani: Je pense que certains chiïtes marocains sont très bienveillants à mon égard. Certains m’appellent même le «Hojatolislam». Cela dit, Je ne me considère pas vraiment comme un chef spirituel. Je suis plutôt un Marocain chiïte qui s’assume comme tel et je pratique mon rite avec modération depuis que j’étais très jeune.
• MHI: Vous êtes alors un des rares Marocains chiïtes?
- Driss Hani: Il y a de plus en plus de chiïtes marocains. D’ailleurs, j’en connais beaucoup, notamment parmi les jeunes universitaires.
Ce qu’on a tendance à oublier et à faire oublier aux autres, c’est que le Maroc est un pays chiïte. Au Maroc, le chiïsme est la règle et le sunnisme l’exception. D’ailleurs la dynastie alaouite, elle-même, est par essence chiïte.
Ceci, peu de Marocains, malheureusement, le savent. C’est pourquoi, j’appelle à une nouvelle et vraie lecture de l’histoire religieuse du Maroc, l’un des rares pays officiellement sunnite mais qui célèbre religieusement les fêtes chiïtes, comme l’achoura.
• MHI: Ets-ce que vous encadrez les jeunes chiïtes?
- Driss Hani: Oui, je les encadre sur le plan intellectuel puisqu’ils viennent me voir pour me demander de la documentation sur le chiïsme. C’est un encadrement strictement culturel et complètement informel, il ne peut donc être assimilé, en aucun cas, à un embrigadement politique ou idéologique.
• MHI: Mais vous savez que les frontières entre l’encadrement culturel et l’embrigadement politique ne sont pas toujours claires et étanches…
- Driss Hani: Ecoutez, le Maroc n’a pas besoin d’être reconverti au chiïsme puisqu’il l’est déjà.
• MHI: Est-ce que vous êtes derrière le projet de l’association Chiïte Al ghadir qui a déposé une demande d’autorisation auprès du ministère de l’Intérieur?
- Driss Hani: Les jeunes universitaires qui ont eu l’idée de créer cette association sont venus me voir pour m’en parler. Je les ai vivement encouragés à s’inscrire dans une démarche associative formelle, reconnue par les autorités et qui exerce ses activités dans la légalité. D’ailleurs, mon frère cadet Mouhssine, qui est parmi les fondateurs d’Al Ghadir, est très optimiste pour ce projet.
• MHI: avez-vous l’intention de créer un parti ou un mouvement politique au Maroc, à l’image de Hizbou Allah Libanais?
- Driss Hani: Nous pensons sérieusement à cette éventualité. Mais, c’est un peu tôt pour mettre sur pied un tel projet qui ne s’appellera pas forcément Hizbou Allah qui du reste, est spécifiquement libanais.
Pour le moment, notre priorité est de donner une image pacifique et unificatrice de notre chiïsme. Un chiïsme, je le répète, qui tient compte des réalités marocaines.
• MHI: Est-ce que vous rencontrez des difficultés dans la pratique de votre rite?
- Driss Hani: Pas la moindre difficulté. D’ailleurs, je fête pieusement le jour d’achoura qui célèbre l’assassinat de l’imam Al Houssein, que je considère comme la grande victime de la guerre inter-religieuse musulmane.
• MHI: Est-ce que vous avez un problème avec vos compatriotes sunnites?
- Driss Hani: Les chiïtes respectent beaucoup les sunnites. Ce qui n’est malheureusement pas le cas pour ces derniers. En Arabie Saoudite ou au Koweït, par exemple, les chiïtes sont persécutés. Au Maroc, les oulémas salafistes donnent toujours une image caricaturale des chiïtes. Ils amplifient leur différence distinctive et réduisent délibérément le chiïsme à des aspects aussi cocasses que le «mariage de jouissance».
Cela n’est pas pour aider le dialogue entre les adeptes des deux rites. Au contraire, la déchirure confessionnelle risque de venir de là.
• MHI: Mais qu’est-ce que vous reprochez exactement aux oulémas salafistes marocains?
- Driss Hani: je les trouve orthodoxes et très fanatiques. Je regrette aussi leur incapacité à aller au-delà d’une lecture linéaire et littérale du texte coranique. Ils focalisent souvent leurs joutes oratoires sur des détails futils et oublient l’essence et l’esprit même du texte originel.
C’est pour camoufler cette incapacité de méthode, ce déficit d’assimilation qu’ils s’en prennent aux chiïtes et critiquent leur recours à l’ijtihad et leur usage de la raison dans leur approche du Coran. Malgré ces différences de lecture entre les différentes écoles islamiques, le Livre Saint est le bien sacré commun de tous les musulmans.
• MHI: Est-ce que vous êtes investi d’une mission de propagation du chiïsme au Maroc?
- Driss Hani: Ma seule et véritable mission est de réussir à expliquer aux Marocains la nécessité de mettre fin à cette querelle rhétorique entre sunnites et chiïtes, qui divise les musulmans depuis l’aube de l’Islam et qui a accompagné toute sa genèse.
Ce fanatisme rituel ne profite à personne. En tout cas pas aux musulmans. Pour moi, un musulman se doit d’aimer son frère de religion qu’il soit sunnite ou chiïte. Je pense que du moment que je reconnais votre sunnisme et que je le respecte, vous aussi, vous devez, et vous y êtes obligé, de me reconnaître et de me respecter en tant que chiïte.
Et puis, où est le mal? Est-ce que mon chiïsme porte préjudice à quelqu’un? Je trouve que les chiïtes ont été assez persécutés par les sunnites à travers les siècles et les vicissitudes de l’histoire musulmane. Il est temps de rétablir la vérité dans la sérénité, la tolérance, la coexistence et la bonne intelligence.
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