12 mai 2009
Chris Hedges a rencontré le docteur Juliette Fournot, ancienne responsable des opérations de MSF durant la guerre afghane contre l’occupation soviétique. Mme Fournot, qui connaît bien l’Afghanistan pour y avoir résidé durant l’adolescence, replace le conflit actuel dans une histoire de longue durée qui fait terriblement défaut ici. Elle rappelle que le soutien américain aux jihadistes durant la dernière guerre, largement instrumentalisé par le Pakistan, n’a jamais eu pour objectif d’aider l’Afghanistan et les afghans, mais uniquement d’affaiblir une union soviétique moribonde. A l’époque, les groupes modérés et laïques étaient ignorés par les USA, tandis que l’Arabie Saoudite exportait ses prêcheurs fondamentalistes, dans l’indifférence de leur allié. Si nous sommes oublieux de ce passé récent, les Afghans eux s’en souviennent fort bien. Quelques remarques. Les forces occidentales ont épuisé leur crédit moral en Afghanistan. Le renforcement du corps expéditionnaire qui affrontera l’offensive de printemps des talibans, la multiplication des attaques aériennes sur le sol pakistanais, feront à coup sûr de nouvelles et nombreuses victimes civiles, qui renforceront la détermination des Pachtounes à ne pas accepter de transiger, ni en Afghanistan, ni au Pakistan. La guerre menée en Afghanistan est une cause perdue. Mais l’enjeu désormais, c’est la stabilité du Pakistan. En poursuivant et en étendant les opérations militaires, le risque de voir se déclencher la « bombe à retardement » pakistanaise est accru d’autant. Faute de prendre conscience collectivement de cette situation - aussi désagréable soit-elle - ce constat nous échappe : avec sa crise économique qui répand la misère dans le monde, ses spéculations sur les matières premières et les grains, ses sanglantes aventures militaires, l’occident est objectivement l’un des facteurs majeurs de déstabilisation de la sécurité mondiale, largement perçu comme tel. Mais nous sommes les seuls à ne pas le voir.
[IMG]http://****************/IMG/arton2716.jpg[/IMG] Par Chris Hedges, TruthDig, 11 mai 2009
Les corps de plusieurs dizaines - peut-être plus d’une centaine - de femmes, d’enfants et d’hommes, dont les cadavres ont été déchiquetés par les bombes à fragmentation lancées par l’aviation américaine sur un village de la province occidentale de Farah, illustrent l’ineptie de la guerre d’Afghanistan. Nous n’amenons pas la démocratie pas plus que la liberté ou le développement. Nous y apportons des modes sophistiqués de massacre industrialisé. En employant ce terrible et brutal instrument qu’est la guerre dans un pays dont nous ne savons que peu de choses et sommes incapables de comprendre, nous incarnons la barbarie que nous prétendons vouloir combattre.
Nous ne sommes pas moralement différents des psychopathes présents chez les talibans, et dont les Afghans se souviennent que nous les avons renforcés, financés et armés au cours des 10 années de guerre avec l’Union soviétique. L’acide lancé sur le visage d’une jeune fille, et les décapitations ? La mort tombée du ciel ou rencontrée dans les champs parsemés de bombes à sous-munitions ? Tel est le langage de la guerre. Celui que nous parlons. Celui que nos adversaires parlent.
Les survivants de l’attaque ont transporté en camion environ deux douzaines de cadavres de leurs villages jusqu’à la capitale de la province cette semaine pour dénoncer publiquement le carnage. Quelque 2 000 Afghans en colère sont descendus dans les rues de la capitale, scandant « Mort à l’Amérique ! ». Mais la douleur, la peur et la rage des victimes n’émeuvent pas ceux qui invoquent de nobles vertus pour justifier le carnage. La mort d’innocents, nous assurent-ils, est un coût tragique de la guerre. C’est regrettable, mais cela arrive. C’est le prix qui doit être payé. Ainsi, guidé par un président qui à nouveau n’a pas d’expérience de la guerre et s’en remet à ses généraux et militaires dont la carrière, le pouvoir et les profits dépendent de l’extension du conflit, nous sommes transformés en monstres.
Il y aura bientôt 21 000 soldats et Marines de plus en Afghanistan, qui seront là à temps pour l’offensive de printemps des talibans. Il y aura plus d’affrontements, plus de bombardements, plus de morts et plus de désespoir et de colère pour ceux qui seront obligés d’enterrer leurs parents, sœurs, frères et enfants. Le triste rapport rédigé par la Croix Rouge sur les victimes de ce raid aérien, indiquant que les bombes ont frappé des maisons de civils et que le correspondant du CICR membre du Croissant-Rouge se trouve au nombre des morts, deviendra un genre de lecture habituel dans les semaines et les mois à venir.
Nous sommes la meilleure arme de recrutement que les talibans possèdent. Nous leur avons permis de renaître de leurs cendres, il y a sept ans, jusqu’à contrôler aujourd’hui ouvertement la moitié du pays et réussir des attaques en plein jour dans la capitale Kaboul. La guerre que nous menons est exportée comme un virus au Pakistan par les drones qui bombardent les villages pakistanais et avec la recrudescence des affrontements entre les militaires pakistanais et une insurrection farouche.
Je me suis entretenu à New York il y a quelques jours avec le Dr Juliette Fournot, qui a vécu adolescente avec ses parents en Afghanistan, parle le dari et a dirigé les équipes de médecins et d’infirmières de Médecins Sans Frontières en Afghanistan durant la guerre avec les Soviétiques. Elle a participé à la mise en place d’opérations médicales clandestines sur la frontière entre 1980 et 1982 et est devenue chef de la mission humanitaire en Afghanistan en 1983. Les bases logistiques du Dr. Fournot étaient établies à Peshawar et à Quetta et elle a organisé une douzaine de missions permanentes clandestines transfrontalières et les dans les zones tenues par la résistance à Herat, Mazar-i-Sharif, Badakhshan, Paktia, Ghazni et Hazaradjat, auxquelles participaient plus de 500 humanitaires internationaux.
Elle est l’un des personnages mis en scène dans un livre remarquable intitulé « Le Photographe », publié par le photographe Didier Lefèvre et le scénariste de bande dessinée Emmanuel Guibert. Le livre raconte l’histoire d’une mission de trois mois en 1986 en Afghanistan dirigée par le Dr Fournot. Il porte un regard impitoyable sur le coût de la guerre, montrant ce que les bombes, les obus et les balles peuvent faire aux âmes et aux corps. Il raconte l’aveugle fureur destructrice des combats, absente des discours de nos politiques et de nos généraux. MSF s’est retiré d’Afghanistan en Juillet 2004 après que cinq de ses travailleurs humanitaires aient été assassinés dans un véhicule clairement identifié.
« Les troupes terrestres américaines sont au milieu d’une histoire qui a commencé à peu près en 1984 et 1985, lorsque le Département d’Etat a décidé d’aider les moudjahidines, les combattants de la résistance, par le biais de divers programmes et d’aide militaire. L’USAID, le bras humanitaire utilisé à des fins militaires et politiques, a servi de base pour développer un autre type de relations avec les Afghans », se souvient-elle. « Les Afghans étaient très reconnaissants de recevoir des armes et du matériel militaire de la part des Américains. »
« Mais la manière dont l’USAID a distribué son aide humanitaire était très discutable », ajoute-t-elle. « Cela me déconcerte encore aujourd’hui. Ils ont donné la plupart de l’aide à des groupes islamiques comme le Hezb-e Islami de [Gulbuddin] Hekmatyar. Et je pense que c’est peut-être parce qu’ils étaient plus intéressés par la stabilité future du Pakistan plutôt que par sauver l’Afghanistan. L’Afghanistan fournissait probablement une bonne occasion de frapper l’Union soviétique et de la saigner. Je n’ai pas vu de plan pour reconstruire l’Afghanistan ou y ramener la paix. Il semble que l’Afghanistan ait été un outil pour affaiblir l’Union soviétique. Le plus souvent les services de renseignement pakistanais étaient laissés décider ce qui serait le mieux, comment procéder, et comment, ce faisant, ils pourraient se renforcer eux-mêmes. »
Les Pakistanais, déclare le Dr Fournot, ont développé une relation étroite avec l’Arabie saoudite. Les Saoudiens, tout comme les Américains, ont inondé le pays avec de l’argent et y ont également exportés des religieux wahhabites, conservateurs et souvent radicaux. Les Américains, conscients de cette relation avec les Saoudiens, ainsi que du programme secret d’armement nucléaire pakistanais, détournaient le regard. Washington a semé, sans le savoir, les germes de la destruction en Afghanistan et au Pakistan. [Les américains] ont entraîné et armé les militants qui les tuent aujourd’hui.
Chris Hedges a rencontré le docteur Juliette Fournot, ancienne responsable des opérations de MSF durant la guerre afghane contre l’occupation soviétique. Mme Fournot, qui connaît bien l’Afghanistan pour y avoir résidé durant l’adolescence, replace le conflit actuel dans une histoire de longue durée qui fait terriblement défaut ici. Elle rappelle que le soutien américain aux jihadistes durant la dernière guerre, largement instrumentalisé par le Pakistan, n’a jamais eu pour objectif d’aider l’Afghanistan et les afghans, mais uniquement d’affaiblir une union soviétique moribonde. A l’époque, les groupes modérés et laïques étaient ignorés par les USA, tandis que l’Arabie Saoudite exportait ses prêcheurs fondamentalistes, dans l’indifférence de leur allié. Si nous sommes oublieux de ce passé récent, les Afghans eux s’en souviennent fort bien. Quelques remarques. Les forces occidentales ont épuisé leur crédit moral en Afghanistan. Le renforcement du corps expéditionnaire qui affrontera l’offensive de printemps des talibans, la multiplication des attaques aériennes sur le sol pakistanais, feront à coup sûr de nouvelles et nombreuses victimes civiles, qui renforceront la détermination des Pachtounes à ne pas accepter de transiger, ni en Afghanistan, ni au Pakistan. La guerre menée en Afghanistan est une cause perdue. Mais l’enjeu désormais, c’est la stabilité du Pakistan. En poursuivant et en étendant les opérations militaires, le risque de voir se déclencher la « bombe à retardement » pakistanaise est accru d’autant. Faute de prendre conscience collectivement de cette situation - aussi désagréable soit-elle - ce constat nous échappe : avec sa crise économique qui répand la misère dans le monde, ses spéculations sur les matières premières et les grains, ses sanglantes aventures militaires, l’occident est objectivement l’un des facteurs majeurs de déstabilisation de la sécurité mondiale, largement perçu comme tel. Mais nous sommes les seuls à ne pas le voir.
[IMG]http://****************/IMG/arton2716.jpg[/IMG] Par Chris Hedges, TruthDig, 11 mai 2009
Les corps de plusieurs dizaines - peut-être plus d’une centaine - de femmes, d’enfants et d’hommes, dont les cadavres ont été déchiquetés par les bombes à fragmentation lancées par l’aviation américaine sur un village de la province occidentale de Farah, illustrent l’ineptie de la guerre d’Afghanistan. Nous n’amenons pas la démocratie pas plus que la liberté ou le développement. Nous y apportons des modes sophistiqués de massacre industrialisé. En employant ce terrible et brutal instrument qu’est la guerre dans un pays dont nous ne savons que peu de choses et sommes incapables de comprendre, nous incarnons la barbarie que nous prétendons vouloir combattre.
Nous ne sommes pas moralement différents des psychopathes présents chez les talibans, et dont les Afghans se souviennent que nous les avons renforcés, financés et armés au cours des 10 années de guerre avec l’Union soviétique. L’acide lancé sur le visage d’une jeune fille, et les décapitations ? La mort tombée du ciel ou rencontrée dans les champs parsemés de bombes à sous-munitions ? Tel est le langage de la guerre. Celui que nous parlons. Celui que nos adversaires parlent.
Les survivants de l’attaque ont transporté en camion environ deux douzaines de cadavres de leurs villages jusqu’à la capitale de la province cette semaine pour dénoncer publiquement le carnage. Quelque 2 000 Afghans en colère sont descendus dans les rues de la capitale, scandant « Mort à l’Amérique ! ». Mais la douleur, la peur et la rage des victimes n’émeuvent pas ceux qui invoquent de nobles vertus pour justifier le carnage. La mort d’innocents, nous assurent-ils, est un coût tragique de la guerre. C’est regrettable, mais cela arrive. C’est le prix qui doit être payé. Ainsi, guidé par un président qui à nouveau n’a pas d’expérience de la guerre et s’en remet à ses généraux et militaires dont la carrière, le pouvoir et les profits dépendent de l’extension du conflit, nous sommes transformés en monstres.
Il y aura bientôt 21 000 soldats et Marines de plus en Afghanistan, qui seront là à temps pour l’offensive de printemps des talibans. Il y aura plus d’affrontements, plus de bombardements, plus de morts et plus de désespoir et de colère pour ceux qui seront obligés d’enterrer leurs parents, sœurs, frères et enfants. Le triste rapport rédigé par la Croix Rouge sur les victimes de ce raid aérien, indiquant que les bombes ont frappé des maisons de civils et que le correspondant du CICR membre du Croissant-Rouge se trouve au nombre des morts, deviendra un genre de lecture habituel dans les semaines et les mois à venir.
Nous sommes la meilleure arme de recrutement que les talibans possèdent. Nous leur avons permis de renaître de leurs cendres, il y a sept ans, jusqu’à contrôler aujourd’hui ouvertement la moitié du pays et réussir des attaques en plein jour dans la capitale Kaboul. La guerre que nous menons est exportée comme un virus au Pakistan par les drones qui bombardent les villages pakistanais et avec la recrudescence des affrontements entre les militaires pakistanais et une insurrection farouche.
Je me suis entretenu à New York il y a quelques jours avec le Dr Juliette Fournot, qui a vécu adolescente avec ses parents en Afghanistan, parle le dari et a dirigé les équipes de médecins et d’infirmières de Médecins Sans Frontières en Afghanistan durant la guerre avec les Soviétiques. Elle a participé à la mise en place d’opérations médicales clandestines sur la frontière entre 1980 et 1982 et est devenue chef de la mission humanitaire en Afghanistan en 1983. Les bases logistiques du Dr. Fournot étaient établies à Peshawar et à Quetta et elle a organisé une douzaine de missions permanentes clandestines transfrontalières et les dans les zones tenues par la résistance à Herat, Mazar-i-Sharif, Badakhshan, Paktia, Ghazni et Hazaradjat, auxquelles participaient plus de 500 humanitaires internationaux.
Elle est l’un des personnages mis en scène dans un livre remarquable intitulé « Le Photographe », publié par le photographe Didier Lefèvre et le scénariste de bande dessinée Emmanuel Guibert. Le livre raconte l’histoire d’une mission de trois mois en 1986 en Afghanistan dirigée par le Dr Fournot. Il porte un regard impitoyable sur le coût de la guerre, montrant ce que les bombes, les obus et les balles peuvent faire aux âmes et aux corps. Il raconte l’aveugle fureur destructrice des combats, absente des discours de nos politiques et de nos généraux. MSF s’est retiré d’Afghanistan en Juillet 2004 après que cinq de ses travailleurs humanitaires aient été assassinés dans un véhicule clairement identifié.
« Les troupes terrestres américaines sont au milieu d’une histoire qui a commencé à peu près en 1984 et 1985, lorsque le Département d’Etat a décidé d’aider les moudjahidines, les combattants de la résistance, par le biais de divers programmes et d’aide militaire. L’USAID, le bras humanitaire utilisé à des fins militaires et politiques, a servi de base pour développer un autre type de relations avec les Afghans », se souvient-elle. « Les Afghans étaient très reconnaissants de recevoir des armes et du matériel militaire de la part des Américains. »
« Mais la manière dont l’USAID a distribué son aide humanitaire était très discutable », ajoute-t-elle. « Cela me déconcerte encore aujourd’hui. Ils ont donné la plupart de l’aide à des groupes islamiques comme le Hezb-e Islami de [Gulbuddin] Hekmatyar. Et je pense que c’est peut-être parce qu’ils étaient plus intéressés par la stabilité future du Pakistan plutôt que par sauver l’Afghanistan. L’Afghanistan fournissait probablement une bonne occasion de frapper l’Union soviétique et de la saigner. Je n’ai pas vu de plan pour reconstruire l’Afghanistan ou y ramener la paix. Il semble que l’Afghanistan ait été un outil pour affaiblir l’Union soviétique. Le plus souvent les services de renseignement pakistanais étaient laissés décider ce qui serait le mieux, comment procéder, et comment, ce faisant, ils pourraient se renforcer eux-mêmes. »
Les Pakistanais, déclare le Dr Fournot, ont développé une relation étroite avec l’Arabie saoudite. Les Saoudiens, tout comme les Américains, ont inondé le pays avec de l’argent et y ont également exportés des religieux wahhabites, conservateurs et souvent radicaux. Les Américains, conscients de cette relation avec les Saoudiens, ainsi que du programme secret d’armement nucléaire pakistanais, détournaient le regard. Washington a semé, sans le savoir, les germes de la destruction en Afghanistan et au Pakistan. [Les américains] ont entraîné et armé les militants qui les tuent aujourd’hui.
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