Le vol d'organes sur des Palestiniens,
Publié le 23 décembre 2009
La méthode est désormais classique:
- un journaliste occidental publie un article très gênant pour Israël; l'article passe quasiment inaperçu;
- les réseaux sionistes repèrent l'article et montent un énorme scandale; l'article est immédiatement taxé d'antisémitisme, les autorités israéliennes en font des montagnes (exigeant une condamnation par le pays où est publié le journal);
- les médias occidentaux évoquent alors l'affaire, mais uniquement sous l'angle de l'accusation d'antisémitisme et des «tensions» entre Israël et un pays occidental;
- fin du premier épisode. Personne ne s'intéresse, évidemment, au contenu «gênant» de l'article d'origine, n'enquête sur les révélations, et se contente au mieux d'enquêter sur la personnalité du journaliste et sur ses «réseaux» (du genre: son texte a été repris sur les sites «conspirationnistes» sur Internet, donc le journaliste est bien quelqu'un de louche);
- puis on apprend, quelques mois après, que l'information gênante était vraie (généralement, parce qu'un média israélien l'a vérifiée; si Al Jazeera valide une telle information, ça n'a évidemment aucun intérêt);
- réaction des médias occidentaux: au pire (situation française), quasiment aucune reprise; au mieux, on évoque rapidement l'information, mais on essaie de circonscrire l'effet de cette info à «la colère du monde arabo-musulman».
c'était donc vrai.
L'histoire qui m'intéresse aujourd'hui, c'est celle du vol d'organes sur des Palestiniens tués par l'armée israélienne.
Pour les médias, l'affaire commence avec l'article de Donal Boström dans le journal suédois Aftonbladet. L'article a été traduit en français par le réseau Tlaxcala.
Les familles en Cisjordanie et à Gaza étaient sûres de ce qui était arrivé à leurs fils : «Nos fils sont utilisés comme donneurs d'organes involontaires», m'a dit un proche de Khaled de Naplouse, de même que la mère de Raed de Jénine et les oncles de Mahmoud et Nafes dans la bande de Gaza, qui ont tous disparu pendant un certain nombre de jours avant de revenir de nuit, morts et autopsiés.
«Pourquoi sinon garder les corps pendant au moins cinq jours avant de nous laisser les enterrer? Qu'est-il arrivé aux corps pendant cette période? Pourquoi effectuent-ils une autopsie, contre notre volonté, lorsque la cause du décès est évidente? Pourquoi les corps sont-ils rendus de nuit? Pourquoi avec une escorte militaire? Pourquoi la zone est-elle bouclée pendant l'enterrement? Pourquoi l'électricité est-elle coupée?» L'oncle de Nafe était bouleversé, et il avait beaucoup de questions.
L'article ne devient une «affaire» que lorsque le gouvernement israélien réagit avec une exagération proprement sidérante. Le traitement médiatique ne concerne alors jamais le fond de l'article (l'accusation du vol d'organe par les Israéliens sur des Palestiniens tués par l'armée israélienne), mais unique les «tensions» entre Israël et la Suède. On compte des dizaines de reprises dans les médias français. Par exemple sur le Point: «Israël hausse le ton contre la Suède après un article jugé antisémite»; sur le fond de l'article, comme tous les journaux, il est seulement indiqué «Aftonbladet n'apporte toutefois aucune preuve, le rédacteur en chef expliquant avoir autorisé la publication car l'affaire "pose un nombre de questions pertinentes".»
«Nous ne demandons pas des excuses du gouvernement suédois, nous voulons de sa part une condamnation (de l'article)», a déclaré le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors du conseil des ministres hebdomadaire, selon une source officielle.
En Israël, des centaines d'Israéliens ont signé une pétition en ligne contre le géant du meuble suédois Ikea, selon Haaretz.
«La crise perdurera tant que le gouvernement suédois n'aura pas changé d'attitude à propos de cet article antisémite. Celui qui ne le condamne pas n'est pas forcément le bienvenu en Israël», a déclaré aux journalistes le ministre des Finances Youval Steinitz.
«Le gouvernement suédois ne peut plus se taire. Au Moyen-Age, on répandait des diffamations accusant les juifs de préparer le pain azyme de Pâques avec du sang d'enfants chrétiens, et aujourd'hui ce sont les soldats de Tsahal (l'armée israélienne) qui sont accusés de tuer des Palestiniens pour prélever leurs organes», a accusé le ministre.
Ces tensions diplomatiques tombent au plus mal, alors que le chef de la diplomatie suédoise Carl Bildt est attendu en visite officielle en Israël dans dix jours. La Suède exerce la présidence tournante de l'Union européenne.
[...]
Le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman, a carrément comparé l'attitude de la Suède dans cette affaire à la politique de neutralité qu'elle adopta durant la Seconde Guerre mondiale. «A l'époque aussi, la Suède refusait d'intervenir» contre le génocide nazi, a-t-il reproché.
On peut rechercher dans les archives autour de cet article, on ne trouvera aucun média français pour aller plus loin que cette phrase «Aftonbladet n'apporte toutefois aucune preuve». Des témoignages de Palestiniens ne sont, évidemment, jamais des preuves.
L'affaire est close.
Pourtant, selon Romandie, «Aftonbladet revient sur les trafic d'organes de Palestiniens» le 23 août:
Deux de ses journalistes ont interrogé cette semaine dans le village cisjordanien d'Imatten la mère et le frère de Bilal Achmad Ghanem, qui, selon le journal suédois, est un jeune de 19 ans tué par des soldats israéliens il y a 17 ans, soupçonné d'avoir été un meneur dans la première Intifada.
Saadega Ghanem, la mère de Bilal, affirme que le 13 mai 1992, après l'avoir tué, les soldats ont transporté le corps de son fils par hélicoptère en Israël. Rendu quelques jours plus tard à la famille, la mère précise alors que «Bilal était étendu dans un sac noir. Il n'avait plus aucune dent. Le corps avait été ouvert de la gorge jusqu'au ventre puis très mal recousu».
Le journal écrit que le frère cadet de Bilal, Jalal Achmad Ghanem, 32 ans, «croit que les organes ont été volés».
Pourtant, CNN publie un reportage le 2 septembre: «Donor says he got thousands for his kidney»:
According to Scheper-Hughes, who is in the final stages of writing a book on organ trafficking, much of the world's illicit traffic in kidneys can be traced to Israel.
«Israel is the top,» she said. «It has tentacles reaching out worldwide.»
Certes, l'enquête ne concerne pas un «vol» d'organes, uniquement la vente illégale d'organes. Mais on a bien un trafic dont «Israël est le sommet».
.......
Publié le 23 décembre 2009
La méthode est désormais classique:
- un journaliste occidental publie un article très gênant pour Israël; l'article passe quasiment inaperçu;
- les réseaux sionistes repèrent l'article et montent un énorme scandale; l'article est immédiatement taxé d'antisémitisme, les autorités israéliennes en font des montagnes (exigeant une condamnation par le pays où est publié le journal);
- les médias occidentaux évoquent alors l'affaire, mais uniquement sous l'angle de l'accusation d'antisémitisme et des «tensions» entre Israël et un pays occidental;
- fin du premier épisode. Personne ne s'intéresse, évidemment, au contenu «gênant» de l'article d'origine, n'enquête sur les révélations, et se contente au mieux d'enquêter sur la personnalité du journaliste et sur ses «réseaux» (du genre: son texte a été repris sur les sites «conspirationnistes» sur Internet, donc le journaliste est bien quelqu'un de louche);
- puis on apprend, quelques mois après, que l'information gênante était vraie (généralement, parce qu'un média israélien l'a vérifiée; si Al Jazeera valide une telle information, ça n'a évidemment aucun intérêt);
- réaction des médias occidentaux: au pire (situation française), quasiment aucune reprise; au mieux, on évoque rapidement l'information, mais on essaie de circonscrire l'effet de cette info à «la colère du monde arabo-musulman».
c'était donc vrai.
L'histoire qui m'intéresse aujourd'hui, c'est celle du vol d'organes sur des Palestiniens tués par l'armée israélienne.
Pour les médias, l'affaire commence avec l'article de Donal Boström dans le journal suédois Aftonbladet. L'article a été traduit en français par le réseau Tlaxcala.
Les familles en Cisjordanie et à Gaza étaient sûres de ce qui était arrivé à leurs fils : «Nos fils sont utilisés comme donneurs d'organes involontaires», m'a dit un proche de Khaled de Naplouse, de même que la mère de Raed de Jénine et les oncles de Mahmoud et Nafes dans la bande de Gaza, qui ont tous disparu pendant un certain nombre de jours avant de revenir de nuit, morts et autopsiés.
«Pourquoi sinon garder les corps pendant au moins cinq jours avant de nous laisser les enterrer? Qu'est-il arrivé aux corps pendant cette période? Pourquoi effectuent-ils une autopsie, contre notre volonté, lorsque la cause du décès est évidente? Pourquoi les corps sont-ils rendus de nuit? Pourquoi avec une escorte militaire? Pourquoi la zone est-elle bouclée pendant l'enterrement? Pourquoi l'électricité est-elle coupée?» L'oncle de Nafe était bouleversé, et il avait beaucoup de questions.
L'article ne devient une «affaire» que lorsque le gouvernement israélien réagit avec une exagération proprement sidérante. Le traitement médiatique ne concerne alors jamais le fond de l'article (l'accusation du vol d'organe par les Israéliens sur des Palestiniens tués par l'armée israélienne), mais unique les «tensions» entre Israël et la Suède. On compte des dizaines de reprises dans les médias français. Par exemple sur le Point: «Israël hausse le ton contre la Suède après un article jugé antisémite»; sur le fond de l'article, comme tous les journaux, il est seulement indiqué «Aftonbladet n'apporte toutefois aucune preuve, le rédacteur en chef expliquant avoir autorisé la publication car l'affaire "pose un nombre de questions pertinentes".»
«Nous ne demandons pas des excuses du gouvernement suédois, nous voulons de sa part une condamnation (de l'article)», a déclaré le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors du conseil des ministres hebdomadaire, selon une source officielle.
En Israël, des centaines d'Israéliens ont signé une pétition en ligne contre le géant du meuble suédois Ikea, selon Haaretz.
«La crise perdurera tant que le gouvernement suédois n'aura pas changé d'attitude à propos de cet article antisémite. Celui qui ne le condamne pas n'est pas forcément le bienvenu en Israël», a déclaré aux journalistes le ministre des Finances Youval Steinitz.
«Le gouvernement suédois ne peut plus se taire. Au Moyen-Age, on répandait des diffamations accusant les juifs de préparer le pain azyme de Pâques avec du sang d'enfants chrétiens, et aujourd'hui ce sont les soldats de Tsahal (l'armée israélienne) qui sont accusés de tuer des Palestiniens pour prélever leurs organes», a accusé le ministre.
Ces tensions diplomatiques tombent au plus mal, alors que le chef de la diplomatie suédoise Carl Bildt est attendu en visite officielle en Israël dans dix jours. La Suède exerce la présidence tournante de l'Union européenne.
[...]
Le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman, a carrément comparé l'attitude de la Suède dans cette affaire à la politique de neutralité qu'elle adopta durant la Seconde Guerre mondiale. «A l'époque aussi, la Suède refusait d'intervenir» contre le génocide nazi, a-t-il reproché.
On peut rechercher dans les archives autour de cet article, on ne trouvera aucun média français pour aller plus loin que cette phrase «Aftonbladet n'apporte toutefois aucune preuve». Des témoignages de Palestiniens ne sont, évidemment, jamais des preuves.
L'affaire est close.
Pourtant, selon Romandie, «Aftonbladet revient sur les trafic d'organes de Palestiniens» le 23 août:
Deux de ses journalistes ont interrogé cette semaine dans le village cisjordanien d'Imatten la mère et le frère de Bilal Achmad Ghanem, qui, selon le journal suédois, est un jeune de 19 ans tué par des soldats israéliens il y a 17 ans, soupçonné d'avoir été un meneur dans la première Intifada.
Saadega Ghanem, la mère de Bilal, affirme que le 13 mai 1992, après l'avoir tué, les soldats ont transporté le corps de son fils par hélicoptère en Israël. Rendu quelques jours plus tard à la famille, la mère précise alors que «Bilal était étendu dans un sac noir. Il n'avait plus aucune dent. Le corps avait été ouvert de la gorge jusqu'au ventre puis très mal recousu».
Le journal écrit que le frère cadet de Bilal, Jalal Achmad Ghanem, 32 ans, «croit que les organes ont été volés».
Pourtant, CNN publie un reportage le 2 septembre: «Donor says he got thousands for his kidney»:
According to Scheper-Hughes, who is in the final stages of writing a book on organ trafficking, much of the world's illicit traffic in kidneys can be traced to Israel.
«Israel is the top,» she said. «It has tentacles reaching out worldwide.»
Certes, l'enquête ne concerne pas un «vol» d'organes, uniquement la vente illégale d'organes. Mais on a bien un trafic dont «Israël est le sommet».
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