Au Sahara occidental, le désespoir grandit face à l'absence de solution politique
LE MONDE | 18.02.06 | 13h56 • Mis à jour le 18.02.06 | 13h56
EL AYOUN, SMARA ENVOYÉE SPÉCIALE
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l Ayoun, 220 000 habitants, chef-lieu du Sahara occidental - ancienne colonie espagnole annexée par le Maroc en 1975 - paraît plus morose que jamais. De l'avis général, 2005 a été "une année noire" pour la population sahraouie. Assis au ras du sol dans son salon, revêtu de la darâa, la tenue traditionnelle sahraouie, Rahali Sidi Ahmed, chef de tribu respecté, réputé pour sa modération, ne cache pas sa rancoeur. "Le Maroc a connu de grandes avancées, depuis plusieurs années, en matière de liberté et de démocratie. Le Sahara, lui, a reculé. Nous avons subi une série de violences, de bavures policières et d'arrestations auxquelles nous étions loin de nous attendre", dit-il avec amertume.
Si la présence des forces de sécurité marocaines est moins visible qu'il y a quelques mois, El Ayoun reste sous haute surveillance. Depuis bientôt un an, la localité est secouée par des incidents sporadiques. En mai dernier, à la suite du transfert d'un détenu dans une prison d'Agadir, puis fin octobre - après le décès d'un jeune, tabassé par la police -, des manifestations ont éclaté. Jets de pierres et de cocktails Molotov, slogans indépendantistes, drapeaux marocains brûlés. On n'avait pas vu cela depuis six ans, voire trente ans. La répression a été brutale : interpellations, passages à tabac, saccages et pillages de maisons sahraouies par des policiers marocains, etc. Une trentaine de personnes, dont quatorze indépendantistes et militants des droits de l'homme, ont été arrêtées et condamnées à des peines de prison allant de sept mois à trois ans, lors d'un procès qualifié d'expéditif par Amnesty International.
Le Front Polisario, mouvement indépendantiste soutenu par l'Algérie, est-il à l'origine de ces troubles ? Les autorités marocaines s'en disent persuadées. "Ces accrochages sont l'expression d'une minorité qui profite du climat d'ouverture du royaume. Il ne faut pas leur donner une importance exagérée", déclare un haut responsable de l'administration à El Ayoun.
Reste que le malaise est perceptible. Iguilid Hammoud, représentant local de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), conseille de ne pas se fier à l'apparent retour au calme. Pour cet enseignant de profession, privé de poste en raison, dit-il, de ses sympathies indépendantistes, "l'agitation reste sous-jacente, comme une eau dormante". La répression de ces derniers mois n'a fait qu'alimenter le ressentiment des Sahraouis, déjà meurtris par la crise socio-économique. Ici, le chômage tourne autour des 29 %. Beaucoup ont le sentiment d'être marginalisés au profit des Marocains du Nord, venus s'installer en colons dans les "provinces du Sud". L'avenir ? Ils ne le voient pas.
Soutenu à bout de bras par le pouvoir central, le Sahara occidental offre peu de débouchés. L'administration est le premier employeur de la région, les phosphates et la pêche étant loin de suffire à résorber le chômage. En 2004, un plan de développement économique de quelque 720 millions d'euros, étalé sur trois ans, a été lancé. Mais combien de temps faudra-t-il pour qu'il porte ses fruits ? Et suffira-t-il à calmer les esprits ?
"El Ayoun n'a jamais été à feu et à sang. Mais il y a un facteur nouveau : les manifestants prennent leur autonomie. Ils n'ont plus besoin d'en référer au Polisario pour exprimer leur ras le bol", indique un observateur extérieur. Un avis partagé par Laghdaf Eddah, journaliste et directeur de la télévision régionale d'El Ayoun. "Avec le temps apparaît une nouvelle génération qui rejette à la fois l'intégration pure et simple au Maroc et l'indépendance sous tutelle algérienne, souligne-t-il. Et cette génération mise sur un projet démocratique moderne qui commence à voir le jour au Maroc."
En novembre 2005, le roi a relancé l'idée d'une autonomie "définitive" et "sous souveraineté marocaine" pour le territoire. Pas question d'un référendum d'autodétermination au bout de cinq ans, ainsi que le prévoyait le dernier plan Baker. Certains chefs de tribus pro-marocains, tels Abelatif Bouira et Hassana Med Houssin, se disent favorables à un tel projet. D'autres attendent prudemment de voir quel type d'autonomie leur sera proposé. Quant aux figures de proue du mouvement indépendantiste, elles rejettent catégoriquement cette option. "Le peuple sahraoui a le droit de choisir son sort. De quoi le Maroc a-t-il peur ?", lâche Aminattou Haïdar, qui sort de sept mois de prison. Bien qu'amaigrie et fatiguée, la jeune femme reste inflexible.
Au siège de la Mission de l'ONU (Minurso), l'ambiance est au découragement. Chacun sait que le nouveau chargé de mission de Kofi Annan, Peter Van Walsum, vient de produire un rapport en forme de constat d'échec. "Les efforts de l'ONU n'ont servi à rien. Il faut désormais prôner des négociations directes entre les parties au conflit, le Maroc, l'Algérie et le Polisario", dit en substance le document qui a été examiné mi janvier, à huis clos, par le Conseil de sécurité, mais n'a pas encore été rendu public.
Retour à la case départ ? C'est probable. Le dialogue de sourds entre Rabat et Alger risque de perdurer. Le désespoir de la population aussi. "Je n'ai jamais vu mon père. En 1975, quand les troupes marocaines sont arrivées, il a fui à Tindouf. Ma mère était enceinte", explique, tendu, Chawi Sidi. Pour ce jeune diplômé chômeur de Smara, la "priorité des priorités" serait la réunification des familles.
Ils sont nombreux à s'exprimer ainsi. Pas une famille qui n'ait ici un ou plusieurs proches parents réfugiés dans l'un des camps de Tindouf, de l'autre côté de la frontière algérienne. Tous ont le sentiment d'être pris en otage dans un conflit qui les dépasse. Le Sahara occidental, c'est aussi et surtout ce drame humanitaire qui n'en finit pas depuis trente ans...
Florence Beaugé
source Le monde
http://www.lemonde.fr/web/article/0,...-742828,0.html
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l Ayoun, 220 000 habitants, chef-lieu du Sahara occidental - ancienne colonie espagnole annexée par le Maroc en 1975 - paraît plus morose que jamais. De l'avis général, 2005 a été "une année noire" pour la population sahraouie. Assis au ras du sol dans son salon, revêtu de la darâa, la tenue traditionnelle sahraouie, Rahali Sidi Ahmed, chef de tribu respecté, réputé pour sa modération, ne cache pas sa rancoeur. "Le Maroc a connu de grandes avancées, depuis plusieurs années, en matière de liberté et de démocratie. Le Sahara, lui, a reculé. Nous avons subi une série de violences, de bavures policières et d'arrestations auxquelles nous étions loin de nous attendre", dit-il avec amertume.
Si la présence des forces de sécurité marocaines est moins visible qu'il y a quelques mois, El Ayoun reste sous haute surveillance. Depuis bientôt un an, la localité est secouée par des incidents sporadiques. En mai dernier, à la suite du transfert d'un détenu dans une prison d'Agadir, puis fin octobre - après le décès d'un jeune, tabassé par la police -, des manifestations ont éclaté. Jets de pierres et de cocktails Molotov, slogans indépendantistes, drapeaux marocains brûlés. On n'avait pas vu cela depuis six ans, voire trente ans. La répression a été brutale : interpellations, passages à tabac, saccages et pillages de maisons sahraouies par des policiers marocains, etc. Une trentaine de personnes, dont quatorze indépendantistes et militants des droits de l'homme, ont été arrêtées et condamnées à des peines de prison allant de sept mois à trois ans, lors d'un procès qualifié d'expéditif par Amnesty International.
Le Front Polisario, mouvement indépendantiste soutenu par l'Algérie, est-il à l'origine de ces troubles ? Les autorités marocaines s'en disent persuadées. "Ces accrochages sont l'expression d'une minorité qui profite du climat d'ouverture du royaume. Il ne faut pas leur donner une importance exagérée", déclare un haut responsable de l'administration à El Ayoun.
Reste que le malaise est perceptible. Iguilid Hammoud, représentant local de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), conseille de ne pas se fier à l'apparent retour au calme. Pour cet enseignant de profession, privé de poste en raison, dit-il, de ses sympathies indépendantistes, "l'agitation reste sous-jacente, comme une eau dormante". La répression de ces derniers mois n'a fait qu'alimenter le ressentiment des Sahraouis, déjà meurtris par la crise socio-économique. Ici, le chômage tourne autour des 29 %. Beaucoup ont le sentiment d'être marginalisés au profit des Marocains du Nord, venus s'installer en colons dans les "provinces du Sud". L'avenir ? Ils ne le voient pas.
Soutenu à bout de bras par le pouvoir central, le Sahara occidental offre peu de débouchés. L'administration est le premier employeur de la région, les phosphates et la pêche étant loin de suffire à résorber le chômage. En 2004, un plan de développement économique de quelque 720 millions d'euros, étalé sur trois ans, a été lancé. Mais combien de temps faudra-t-il pour qu'il porte ses fruits ? Et suffira-t-il à calmer les esprits ?
"El Ayoun n'a jamais été à feu et à sang. Mais il y a un facteur nouveau : les manifestants prennent leur autonomie. Ils n'ont plus besoin d'en référer au Polisario pour exprimer leur ras le bol", indique un observateur extérieur. Un avis partagé par Laghdaf Eddah, journaliste et directeur de la télévision régionale d'El Ayoun. "Avec le temps apparaît une nouvelle génération qui rejette à la fois l'intégration pure et simple au Maroc et l'indépendance sous tutelle algérienne, souligne-t-il. Et cette génération mise sur un projet démocratique moderne qui commence à voir le jour au Maroc."
En novembre 2005, le roi a relancé l'idée d'une autonomie "définitive" et "sous souveraineté marocaine" pour le territoire. Pas question d'un référendum d'autodétermination au bout de cinq ans, ainsi que le prévoyait le dernier plan Baker. Certains chefs de tribus pro-marocains, tels Abelatif Bouira et Hassana Med Houssin, se disent favorables à un tel projet. D'autres attendent prudemment de voir quel type d'autonomie leur sera proposé. Quant aux figures de proue du mouvement indépendantiste, elles rejettent catégoriquement cette option. "Le peuple sahraoui a le droit de choisir son sort. De quoi le Maroc a-t-il peur ?", lâche Aminattou Haïdar, qui sort de sept mois de prison. Bien qu'amaigrie et fatiguée, la jeune femme reste inflexible.
Au siège de la Mission de l'ONU (Minurso), l'ambiance est au découragement. Chacun sait que le nouveau chargé de mission de Kofi Annan, Peter Van Walsum, vient de produire un rapport en forme de constat d'échec. "Les efforts de l'ONU n'ont servi à rien. Il faut désormais prôner des négociations directes entre les parties au conflit, le Maroc, l'Algérie et le Polisario", dit en substance le document qui a été examiné mi janvier, à huis clos, par le Conseil de sécurité, mais n'a pas encore été rendu public.
Retour à la case départ ? C'est probable. Le dialogue de sourds entre Rabat et Alger risque de perdurer. Le désespoir de la population aussi. "Je n'ai jamais vu mon père. En 1975, quand les troupes marocaines sont arrivées, il a fui à Tindouf. Ma mère était enceinte", explique, tendu, Chawi Sidi. Pour ce jeune diplômé chômeur de Smara, la "priorité des priorités" serait la réunification des familles.
Ils sont nombreux à s'exprimer ainsi. Pas une famille qui n'ait ici un ou plusieurs proches parents réfugiés dans l'un des camps de Tindouf, de l'autre côté de la frontière algérienne. Tous ont le sentiment d'être pris en otage dans un conflit qui les dépasse. Le Sahara occidental, c'est aussi et surtout ce drame humanitaire qui n'en finit pas depuis trente ans...
Florence Beaugé
source Le monde
http://www.lemonde.fr/web/article/0,...-742828,0.html
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