Le secrétaire d'État français aux affaires européennes a confié à "Jeune Afrique" son point de vue sur les relations israélo-palestiniennes, l'affaire Ben Brik ou le Sahara occidental... Entretien avec un agitateur d'idées.
Son rêve secret ? Occuper un jour le fauteuil de ministre des Affaires étrangères. Pour l’heure, il n’en dit mot, mais le parcours de l’avocat Pierre Lellouche parle pour lui. Né à Tunis il y a cinquante-neuf ans, dans une famille de confession juive, le jeune diplômé de Sciences-Po et de Harvard s’est formé auprès d’un grand maître, Raymond Aron. Député UMP de Paris de 1997 à 2009, l’ancien éditorialiste de Newsweek et du Point aime bousculer les idées reçues. Israël, le Polisario, l’Union pour la Méditerranée (UPM), ses relations avec Bernard Kouchner… Aucun sujet n’est tabou aux yeux de cet iconoclaste.
Il y a deux ans, l’UPM a été lancée en grande pompe par Nicolas Sarkozy. Mais n’est-elle pas déjà morte ?
Je vais vous dire franchement les choses. La maison commune qui unit les deux rives de la Méditerranée a du mal à se construire. Incontestablement, car elle fait l'objet de très fortes tensions entre les copropriétaires. Mais en même temps, je suis convaincu que sa construction est irréversible, car elle est inscrite dans l'histoire. De quoi parle-t-on en fait ? De la relation entre l'islam et l'Europe. Or, cette relation, elle est ancrée dans quinze siècles de conflits certes, mais aussi d’échanges et d'intimité culturelle. Cette construction me paraît aussi incontournable que l'ONU ou l’OSCE en Europe. Même si l’ONU ou l’OSCE sont parfois jugées sévèrement quant à leur efficacité.
Le 14 avril, à Barcelone, le rejet par Israël de toute référence aux « territoires occupés » a fait échouer une conférence de l’UPM sur l’eau. Le secrétaire général de l’UPM, le Jordanien Ahmad Massa’deh, a même déclaré que ce fiasco « fait planer des doutes sur l’avenir de l’UPM »…
L’UPM, il faut y croire ! Le secrétaire général a fait des déclarations que je trouve regrettables. S'il n'y croit plus, il ne faut pas qu'il reste ! J’ai représenté la France à Barcelone. Jusqu’au bout, au vu des projets très concrets présentés et de l’intérêt de tous, nous avons espéré contourner le politique. Mais en ce moment, la tension politique est très forte entre Israéliens et Palestiniens. À Barcelone, j'ai espéré que l'eau diluerait la tension. Mais en réalité, c'est la tension qui a pollué l'eau ! Est-ce que ça veut dire qu'il n'y aura jamais d'accord sur l'eau entre Israéliens et Palestiniens ? La réponse est non.
Après l'échec de cette réunion, ne craignez-vous pas que les chefs d'État arabes boycottent le sommet de Barcelone, le 7 juin prochain ?
C'est vrai que le climat pourrait être plus propice. Le président Nicolas Sarkozy a dit clairement les choses à Benjamin Netanyahou [le Premier ministre israélien]. Et moi-même, en termes beaucoup moins diplomatiques que le président, j'ai dit qu'Israël devait « arrêter le bétonnage » de Jérusalem. Si l’on continue sur ce chemin, on n'aboutira à rien, sinon à une troisième Intifada. Le fond de ma pensée, c'est que les deux peuples sont fatigués de la guerre. Cette affaire est en train de polluer, non seulement l'UPM, mais nombre d'autres dossiers, y compris celui de l'Iran, et de faciliter le jeu des plus extrémistes. Ceux-ci l’utilisent pour promouvoir leur propre agenda politique contre l'Occident, qu’ils soient chiites ou radicaux sunnites. Paradoxalement, l'une des solutions dont on ne parle jamais, c'est le changement du mode de scrutin en Israël. Je suis convaincu que le peuple israélien veut la paix. Les sondages le montrent. Mais tant que vous aurez un système électoral basé sur la proportionnelle intégrale, vous fabriquerez des gouvernements structurellement incapables de prendre des décisions fortes et courageuses, car arithmétiquement ces gouvernements demeurent instables, voire otages des groupuscules les plus extrêmes. En France par exemple, sous la IVe République, pendant la guerre d'Algérie, nous avons bien connu cette instabilité et cette faiblesse…
Si Benjamin Netanyahou ne fait pas un geste politique avant le 7 juin, les chefs d'État arabes accepteront-ils de venir à Barcelone pour lui serrer la main ?
Je ne sais pas. Mais si on ne peut pas trouver une solution politique pour le mois de juin, et si on arrive à cette solution au mois de septembre ou d'octobre, eh bien, on tiendra le sommet en octobre. Ce qu'il faut, c'est un déblocage de la situation qui rende possible la poignée de mains. Pour l'instant, il est clair que le sommet comme la poursuite de la construction de cette maison commune sont les otages d’une situation très tendue.
On s’achemine donc vers un report ?
Je le répète, je n'en sais rien. Pour l'instant, les tractations se poursuivent au niveau des chefs d'État. Si le sommet ne se tient pas en juin, il se tiendra un peu plus tard, quand les conditions politiques seront réunies. Et je pense qu'elles finiront par l'être, car il n'y a pas d'alternative, sauf la guerre ! Ce qui provoquerait des milliers de morts et faciliterait la tâche de l’Iran dans ses ambitions nucléaires.
Y a-t-il déjà des réalisations de la part de l'UPM ?
À ce stade, seuls des projets existent. Et ils sont nombreux. Notamment sur l'eau et le solaire. Mais on n'a pas encore pu lancer le financement de ces programmes, pour deux raisons. D’abord, les blocages politiques que je viens de rappeler. Ensuite, la pénurie de crédits consécutive à la crise financière. En dehors même de l'UPM, voyez les projets que les Émirats du Golfe ont gelés au Maghreb... La crise est passée par là !
Au Maghreb, deux pays, le Maroc et la Tunisie, n'ont pas attendu l'UPM pour se rapprocher de l'Europe. En 2008, le Maroc a obtenu de la part de l'UE un « statut avancé ». Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ?
Le statut avancé est au cœur de notre politique de voisinage vis-à-vis de ces pays du Sud qui n’ont pas vocation à être membres de l’Union, mais à s’en rapprocher le plus possible. Et j’ajoute : à leur rythme et « à la carte ». Vu de l’extérieur, l’UE est un paquet législatif et réglementaire extrêmement complexe, avec des milliers de normes juridiques, sociales, industrielles, environnementales, etc. Nous disons à nos amis marocains et tunisiens : « Si vous voulez vous rapprocher de l’Europe, adopter les normes européennes dans les domaines, par exemple, de la banque, des assurances ou de l’industrie pour devenir plus compétitifs, voici le cadre juridique qui le permettra : le statut avancé. Et nous sommes, bien sûr, disposés à vous aider ».
Le Maroc soutient que tout cela coûte cher et que l'Europe ne se montre pas assez généreuse...
Je vais être très franc avec vous. L'Union européenne, ce n'est pas uniquement un guichet bancaire. Avec la crise financière, il ne vous a pas échappé qu'il y a de moins en moins d'argent dans l'Union. Je m'efforce de maintenir la règle des deux-tiers en faveur des pays de la façade méditerranéenne contre un tiers en faveur de nos voisins de l’Est. Ce n’est pas sans mal, car il y a d'autres États européens pour qui la priorité n'est pas le Maroc, mais la Moldavie ou la Transnistrie ! J'ajoute que, si les États européens aident le Maghreb à hisser son niveau et à se moderniser, d'autres ne s'y intéressent que pour ses matières premières.
Les Marocains disent simplement que vous pourriez faire un effort financier, au moment où ils font un effort de modernisation...
Écoutez, je passe une partie de mon temps à aller dans différents pays à la périphérie de l'Union. Et que j'aille au Sud, dans les Balkans ou à l'Est, j'entends toujours le même refrain : « Des visas et de l'argent. » Quand je suis allé à Rabat, en février dernier, j'ai dit à mes interlocuteurs que le statut avancé était un partenariat, pas une relation d'assistance. Au gouvernement marocain souverain de faire ses choix. Il y aura des financements en fonction des programmes concrets que lui-même aura désignés. Au Maroc, il ne s'agit pas d’attendre l’ouverture d'un guichet de l’autre coté de la Méditerranée, il existe déjà. Il s’agit de commencer à mettre en œuvre les structures politiques et administratives nécessaires pour bâtir concrètement des coopérations dans les domaines choisis par les Marocains eux-mêmes. Le cas échéant, là où il faut aider, l’Europe aidera au plan financier.
Son rêve secret ? Occuper un jour le fauteuil de ministre des Affaires étrangères. Pour l’heure, il n’en dit mot, mais le parcours de l’avocat Pierre Lellouche parle pour lui. Né à Tunis il y a cinquante-neuf ans, dans une famille de confession juive, le jeune diplômé de Sciences-Po et de Harvard s’est formé auprès d’un grand maître, Raymond Aron. Député UMP de Paris de 1997 à 2009, l’ancien éditorialiste de Newsweek et du Point aime bousculer les idées reçues. Israël, le Polisario, l’Union pour la Méditerranée (UPM), ses relations avec Bernard Kouchner… Aucun sujet n’est tabou aux yeux de cet iconoclaste.
Il y a deux ans, l’UPM a été lancée en grande pompe par Nicolas Sarkozy. Mais n’est-elle pas déjà morte ?
Je vais vous dire franchement les choses. La maison commune qui unit les deux rives de la Méditerranée a du mal à se construire. Incontestablement, car elle fait l'objet de très fortes tensions entre les copropriétaires. Mais en même temps, je suis convaincu que sa construction est irréversible, car elle est inscrite dans l'histoire. De quoi parle-t-on en fait ? De la relation entre l'islam et l'Europe. Or, cette relation, elle est ancrée dans quinze siècles de conflits certes, mais aussi d’échanges et d'intimité culturelle. Cette construction me paraît aussi incontournable que l'ONU ou l’OSCE en Europe. Même si l’ONU ou l’OSCE sont parfois jugées sévèrement quant à leur efficacité.
Le 14 avril, à Barcelone, le rejet par Israël de toute référence aux « territoires occupés » a fait échouer une conférence de l’UPM sur l’eau. Le secrétaire général de l’UPM, le Jordanien Ahmad Massa’deh, a même déclaré que ce fiasco « fait planer des doutes sur l’avenir de l’UPM »…
L’UPM, il faut y croire ! Le secrétaire général a fait des déclarations que je trouve regrettables. S'il n'y croit plus, il ne faut pas qu'il reste ! J’ai représenté la France à Barcelone. Jusqu’au bout, au vu des projets très concrets présentés et de l’intérêt de tous, nous avons espéré contourner le politique. Mais en ce moment, la tension politique est très forte entre Israéliens et Palestiniens. À Barcelone, j'ai espéré que l'eau diluerait la tension. Mais en réalité, c'est la tension qui a pollué l'eau ! Est-ce que ça veut dire qu'il n'y aura jamais d'accord sur l'eau entre Israéliens et Palestiniens ? La réponse est non.
Après l'échec de cette réunion, ne craignez-vous pas que les chefs d'État arabes boycottent le sommet de Barcelone, le 7 juin prochain ?
C'est vrai que le climat pourrait être plus propice. Le président Nicolas Sarkozy a dit clairement les choses à Benjamin Netanyahou [le Premier ministre israélien]. Et moi-même, en termes beaucoup moins diplomatiques que le président, j'ai dit qu'Israël devait « arrêter le bétonnage » de Jérusalem. Si l’on continue sur ce chemin, on n'aboutira à rien, sinon à une troisième Intifada. Le fond de ma pensée, c'est que les deux peuples sont fatigués de la guerre. Cette affaire est en train de polluer, non seulement l'UPM, mais nombre d'autres dossiers, y compris celui de l'Iran, et de faciliter le jeu des plus extrémistes. Ceux-ci l’utilisent pour promouvoir leur propre agenda politique contre l'Occident, qu’ils soient chiites ou radicaux sunnites. Paradoxalement, l'une des solutions dont on ne parle jamais, c'est le changement du mode de scrutin en Israël. Je suis convaincu que le peuple israélien veut la paix. Les sondages le montrent. Mais tant que vous aurez un système électoral basé sur la proportionnelle intégrale, vous fabriquerez des gouvernements structurellement incapables de prendre des décisions fortes et courageuses, car arithmétiquement ces gouvernements demeurent instables, voire otages des groupuscules les plus extrêmes. En France par exemple, sous la IVe République, pendant la guerre d'Algérie, nous avons bien connu cette instabilité et cette faiblesse…
Si Benjamin Netanyahou ne fait pas un geste politique avant le 7 juin, les chefs d'État arabes accepteront-ils de venir à Barcelone pour lui serrer la main ?
Je ne sais pas. Mais si on ne peut pas trouver une solution politique pour le mois de juin, et si on arrive à cette solution au mois de septembre ou d'octobre, eh bien, on tiendra le sommet en octobre. Ce qu'il faut, c'est un déblocage de la situation qui rende possible la poignée de mains. Pour l'instant, il est clair que le sommet comme la poursuite de la construction de cette maison commune sont les otages d’une situation très tendue.
On s’achemine donc vers un report ?
Je le répète, je n'en sais rien. Pour l'instant, les tractations se poursuivent au niveau des chefs d'État. Si le sommet ne se tient pas en juin, il se tiendra un peu plus tard, quand les conditions politiques seront réunies. Et je pense qu'elles finiront par l'être, car il n'y a pas d'alternative, sauf la guerre ! Ce qui provoquerait des milliers de morts et faciliterait la tâche de l’Iran dans ses ambitions nucléaires.
Y a-t-il déjà des réalisations de la part de l'UPM ?
À ce stade, seuls des projets existent. Et ils sont nombreux. Notamment sur l'eau et le solaire. Mais on n'a pas encore pu lancer le financement de ces programmes, pour deux raisons. D’abord, les blocages politiques que je viens de rappeler. Ensuite, la pénurie de crédits consécutive à la crise financière. En dehors même de l'UPM, voyez les projets que les Émirats du Golfe ont gelés au Maghreb... La crise est passée par là !
Au Maghreb, deux pays, le Maroc et la Tunisie, n'ont pas attendu l'UPM pour se rapprocher de l'Europe. En 2008, le Maroc a obtenu de la part de l'UE un « statut avancé ». Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ?
Le statut avancé est au cœur de notre politique de voisinage vis-à-vis de ces pays du Sud qui n’ont pas vocation à être membres de l’Union, mais à s’en rapprocher le plus possible. Et j’ajoute : à leur rythme et « à la carte ». Vu de l’extérieur, l’UE est un paquet législatif et réglementaire extrêmement complexe, avec des milliers de normes juridiques, sociales, industrielles, environnementales, etc. Nous disons à nos amis marocains et tunisiens : « Si vous voulez vous rapprocher de l’Europe, adopter les normes européennes dans les domaines, par exemple, de la banque, des assurances ou de l’industrie pour devenir plus compétitifs, voici le cadre juridique qui le permettra : le statut avancé. Et nous sommes, bien sûr, disposés à vous aider ».
Le Maroc soutient que tout cela coûte cher et que l'Europe ne se montre pas assez généreuse...
Je vais être très franc avec vous. L'Union européenne, ce n'est pas uniquement un guichet bancaire. Avec la crise financière, il ne vous a pas échappé qu'il y a de moins en moins d'argent dans l'Union. Je m'efforce de maintenir la règle des deux-tiers en faveur des pays de la façade méditerranéenne contre un tiers en faveur de nos voisins de l’Est. Ce n’est pas sans mal, car il y a d'autres États européens pour qui la priorité n'est pas le Maroc, mais la Moldavie ou la Transnistrie ! J'ajoute que, si les États européens aident le Maghreb à hisser son niveau et à se moderniser, d'autres ne s'y intéressent que pour ses matières premières.
Les Marocains disent simplement que vous pourriez faire un effort financier, au moment où ils font un effort de modernisation...
Écoutez, je passe une partie de mon temps à aller dans différents pays à la périphérie de l'Union. Et que j'aille au Sud, dans les Balkans ou à l'Est, j'entends toujours le même refrain : « Des visas et de l'argent. » Quand je suis allé à Rabat, en février dernier, j'ai dit à mes interlocuteurs que le statut avancé était un partenariat, pas une relation d'assistance. Au gouvernement marocain souverain de faire ses choix. Il y aura des financements en fonction des programmes concrets que lui-même aura désignés. Au Maroc, il ne s'agit pas d’attendre l’ouverture d'un guichet de l’autre coté de la Méditerranée, il existe déjà. Il s’agit de commencer à mettre en œuvre les structures politiques et administratives nécessaires pour bâtir concrètement des coopérations dans les domaines choisis par les Marocains eux-mêmes. Le cas échéant, là où il faut aider, l’Europe aidera au plan financier.
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