L’agence de presse officielle MAP vient de fêter un demis
siècle de bons et royaux services, fidèle à une ligne éditoriale
résumée en trois mots : Allah, Al Watan, Al Malik.
Le 18 novembre 1959, au cabinet royal à Rabat, Mohammed V inaugure le “fil” de la MAP, à l’occasion de la fête du Trône. Flanqué du prince héritier Moulay El Hassan et de Moulay Abdallah, le souverain adresse sur téléscripteur le message qui consacre la devise de l’agence : “La nouvelle est sacrée, le commentaire est libre”. L’agence a été créée
quelques mois plus tôt par Mehdi Bennouna, conseiller chargé de la presse et des relations publiques de Mohammed V. Homme de médias, il veut doter le Maroc, à peine indépendant, d’un outil d’information capable de casser le monopole des agences de presse étrangères.
S’entourant de journalistes aussi bien marocains qu’étrangers, Mehdi Bennouna impose, vaille que vaille, l’indépendance de la MAP au pouvoir en place. Nationaliste proche de Mohammed V, il ne rue pas dans les brancards. Néanmoins, au cours des années 1960, la liberté de ton de la MAP dénote de plus en plus aux oreilles de Hassan II. “Nous avons traité l’affaire Ben Barka sans jamais passer d’informations téléguidées par les officines officielles”, racontait récemment dans nos colonnes Abdallah Stouky, journaliste de la première heure à la MAP (voir TelQuel n°416).
La MAP matée
A l’orée des années 1970, le bébé de Mehdi Bennouna commet le faux pas au mauvais moment. Le 10 juillet 1971, le fondateur de l’agence, invité au palais royal de Skhirat, assiste en “live” à la tentative de coup d’Etat du colonel Ababou. Echappant au massacre, il file dare-dare au siège de la MAP, son scoop sous le bras. Mehdi Bennouna écrit dans l’urgence une dépêche relatant la tentative de putsch. Sa prose est reprise dans les heures suivantes par les organes de presse du monde entier. Le rêve pour un agencier. Un cauchemar médiatique pour Hassan II.
Ce jour-là, le roi comprend qu’il doit achever le travail commencé au début de son règne. Il s’est créé une radio et une télé sur mesure, la RTM, possède déjà un quotidien fidèle et dévoué, Le Matin du Sahara. Il lui faut compléter son tableau de chasse en muselant le seul média de masse qui lui échappe encore : la MAP de Bennouna. Ce dernier est ainsi sommé de revendre l’agence à l’Etat. Le contrat de concession ne sera signé qu’en mai 1975, à la veille de la Marche Verte, mais le sort de la MAP a bel et bien été scellé au lendemain du putsch de 1971, dans un climat de fermeture politique qui aura des effets néfastes sur le peu de médias encore indépendants.
Chat échaudé craignant l’eau froide, Hassan II ajoute un ultime verrou au moment du rachat : “Les actionnaires de la société MAP s’engagent à ne plus créer, administrer, gérer ou participer au capital de toute agence de presse”, ordonne l’article 2 du contrat de concession.
La voix de son maître
Le 18 novembre 2009, la MAP a célébré ses 50 ans, assumant le surnom qu’elle traîne depuis son rachat : la Makhzen arabe presse. Sa devise n’a pas changé depuis son inauguration par Mohammed V. Inscrite hier sur le papier, “La nouvelle est sacrée, le commentaire est libre” trône aujourd’hui au frontispice du site Internet de l’agence. Mais son sens a changé. En fait de sacré, c’est désormais le roi qui squatte les dépêches de l’agence, tandis que le commentaire n’est plus libre mais laudateur. Pour ne rien rater des faits et gestes du souverain, la MAP a d’ailleurs créé sous Hassan II un service dédié aux seules activités royales. Le Service palais royal (SPR), de son petit nom, est composé d’une dizaine de journalistes et d’un chef de service en contact direct avec le cabinet royal. “Les membres de l’équipe royale sont triés avec minutie. Ils font l’objet d’une enquête préalable, leur passé devant être irréprochable. Ils doivent, de surcroît, être discrets et obéir au doigt à et l’œil aux consignes de la direction et du protocole royal”, explique un cadre de la MAP.
On ne demande pas aux journalistes du SPR de penser, mais de se cantonner à un rôle de scribe remplissant des textes à trous. C’est que le canevas des dépêches sur les activités royales est immuable depuis Hassan II : “Rien ne les différencie d’un Mustapha Alaoui qui, à la TVM, connaissait par cœur les formules consacrées au roi et ne faisait que mettre à jour son texte”, surenchérit un ex-dirigeant de la MAP.
Attention à la gaffe
Seuls changeaient la date, le lieu et la nature des activités du roi défunt. Aujourd’hui, Mohammed VI, serial inaugurator, donne tout juste un peu plus de travail à l’équipe royale, qui doit aussi actualiser le projet lancé par le souverain. Cette partition réglée comme du papier à musique ne prémunit cependant pas des fausses notes. La dernière en date a eu lieu, le 15 avril dernier, lors d’une visite de Mohammed VI à Beni Mellal. Ce jour-là, le roi inaugure deux projets de développement, l’un d’un montant de 174 millions de dirhams et l’autre de 700 millions de dirhams. L’équipe royale de la MAP, qui l’accompagne, s’emmêle les pinceaux et titre sur le projet le moins onéreux. L’erreur échappe à l’œil vigilant, en temps ordinaire, des responsables de la MAP. Le Matin du Sahara reproduit la dépêche en Une, sans en changer une ligne, comme le quotidien du palais en a obligation pour les activités royales. Al Aoula et 2M, qui font de même, donnent par la même occasion un écho massif à la bourde.
Pas de quoi fouetter un chat, en vérité. Sauf qu’on ne badine pas avec les activités royales. Le duo de journalistes de la MAP, responsables de l’erreur, se fait passer un savon. Le boss de l’agence, Ali Bouzerda, est, quant à lui, convoqué d’urgence à Beni Mellal, sur les lieux du “crime de lèse-majesté”. Sur place, l’attendent de pied ferme le directeur du cabinet royal, Rochdi Chraïbi, et la conseillère royale, Zoulikha Nasri, pour lui remonter les bretelles.
De la propagande à la com’
Ali Bouzerda doit faire son mea culpa. L’homme est pourtant réputé être précautionneux à l’extrême quand il s’agit de littérature royale. Ainsi, le 22 septembre dernier, l’agence diffuse un communiqué du palais annonçant que “S.M. le Roi Mohammed VI présidera la cérémonie de conclusion de l'acte scellant le mariage de SA le Prince Moulay Ismaïl”. Quatre jours plus tard, le mariage ayant été conclu, il suffit pour la MAP de reproduire le communiqué initial en le conjuguant au passé. Logique élémentaire. Pourtant, Ali Bouzerda, redoutant de commettre un impair, appelle Rochdi Chraïbi : “Il lui a demandé s’il pouvait changer ‘présidera”‘par ‘a présidé’. Rochdi Chraïbi lui a ri au nez”, rapporte un membre de l’agence.
Derrière ce rire perce tout le paradoxe de la MAP version 2010. L’agence a gardé des réflexes hérités de Hassan II, époque où toute initiative était bannie, alors qu’on lui demande aujourd’hui en haut lieu de vendre de manière plus efficace la nouvelle ère. “L’équipe royale décrit les activités de Mohammed VI selon un canevas qui a peu évolué. Elle se contente de décrire l’évènement sans apporter de valeur ajoutée”, explique un vieux journaliste de la MAP. L’impact, comme on dit dans le jargon des médias, est quasi nul.
Le staff de Mohammed VI a fini par s’en apercevoir et essaye de rectifier le tir. Lors des visites royales, le directeur de la communication du cabinet royal, Chakib Laâroussi, qui connaît bien la maison pour y avoir travaillé, a pour habitude de donner des conseils aux journalistes de l’agence. Il leur demande, entre autres, d’éviter le simple compte-rendu chronologique. L’agence dépêche aussi, en renfort de l’équipe royale, quelques-uns de ses vieux briscards pour pondre des papiers signés. “Ce fut notamment le cas lors de la tournée du souverain dans la région d’Imilchil en février dernier. On a dépêché des responsables de bureaux régionaux pour des reportages chez les populations ciblées par les projets royaux”, confie l’un des journalistes partis prêter main forte.
Au service de l’Etat
La com’ de M6 remplace peu à peu la propagande de Hassan II. Mais il n’y a pas encore de quoi crier à la révolution médiatique. L’héritier de Hassan II se taille la part du lion dans les dépêches de l’agence, comme du temps de son père. Et laisse à ses commis d’Etat le reste. C’est ainsi que le patron des prisons, Hafid Benhachem, ignorant peut-être les règles de préséance, a eu droit il y a quelques semaines à un cours en accéléré du directeur de l’agence Ali Bouzerda. Il avait appelé le patron de la MAP pour se plaindre : une de ses allocutions n’avait pas été reprise en intégralité. Réponse au bout du fil, rapporte un témoin : “Seul les discours et allocutions de Sa Majesté sont repris en entier sur le fil de l’agence”.
siècle de bons et royaux services, fidèle à une ligne éditoriale
résumée en trois mots : Allah, Al Watan, Al Malik.
Le 18 novembre 1959, au cabinet royal à Rabat, Mohammed V inaugure le “fil” de la MAP, à l’occasion de la fête du Trône. Flanqué du prince héritier Moulay El Hassan et de Moulay Abdallah, le souverain adresse sur téléscripteur le message qui consacre la devise de l’agence : “La nouvelle est sacrée, le commentaire est libre”. L’agence a été créée
quelques mois plus tôt par Mehdi Bennouna, conseiller chargé de la presse et des relations publiques de Mohammed V. Homme de médias, il veut doter le Maroc, à peine indépendant, d’un outil d’information capable de casser le monopole des agences de presse étrangères.
S’entourant de journalistes aussi bien marocains qu’étrangers, Mehdi Bennouna impose, vaille que vaille, l’indépendance de la MAP au pouvoir en place. Nationaliste proche de Mohammed V, il ne rue pas dans les brancards. Néanmoins, au cours des années 1960, la liberté de ton de la MAP dénote de plus en plus aux oreilles de Hassan II. “Nous avons traité l’affaire Ben Barka sans jamais passer d’informations téléguidées par les officines officielles”, racontait récemment dans nos colonnes Abdallah Stouky, journaliste de la première heure à la MAP (voir TelQuel n°416).
La MAP matée
A l’orée des années 1970, le bébé de Mehdi Bennouna commet le faux pas au mauvais moment. Le 10 juillet 1971, le fondateur de l’agence, invité au palais royal de Skhirat, assiste en “live” à la tentative de coup d’Etat du colonel Ababou. Echappant au massacre, il file dare-dare au siège de la MAP, son scoop sous le bras. Mehdi Bennouna écrit dans l’urgence une dépêche relatant la tentative de putsch. Sa prose est reprise dans les heures suivantes par les organes de presse du monde entier. Le rêve pour un agencier. Un cauchemar médiatique pour Hassan II.
Ce jour-là, le roi comprend qu’il doit achever le travail commencé au début de son règne. Il s’est créé une radio et une télé sur mesure, la RTM, possède déjà un quotidien fidèle et dévoué, Le Matin du Sahara. Il lui faut compléter son tableau de chasse en muselant le seul média de masse qui lui échappe encore : la MAP de Bennouna. Ce dernier est ainsi sommé de revendre l’agence à l’Etat. Le contrat de concession ne sera signé qu’en mai 1975, à la veille de la Marche Verte, mais le sort de la MAP a bel et bien été scellé au lendemain du putsch de 1971, dans un climat de fermeture politique qui aura des effets néfastes sur le peu de médias encore indépendants.
Chat échaudé craignant l’eau froide, Hassan II ajoute un ultime verrou au moment du rachat : “Les actionnaires de la société MAP s’engagent à ne plus créer, administrer, gérer ou participer au capital de toute agence de presse”, ordonne l’article 2 du contrat de concession.
La voix de son maître
Le 18 novembre 2009, la MAP a célébré ses 50 ans, assumant le surnom qu’elle traîne depuis son rachat : la Makhzen arabe presse. Sa devise n’a pas changé depuis son inauguration par Mohammed V. Inscrite hier sur le papier, “La nouvelle est sacrée, le commentaire est libre” trône aujourd’hui au frontispice du site Internet de l’agence. Mais son sens a changé. En fait de sacré, c’est désormais le roi qui squatte les dépêches de l’agence, tandis que le commentaire n’est plus libre mais laudateur. Pour ne rien rater des faits et gestes du souverain, la MAP a d’ailleurs créé sous Hassan II un service dédié aux seules activités royales. Le Service palais royal (SPR), de son petit nom, est composé d’une dizaine de journalistes et d’un chef de service en contact direct avec le cabinet royal. “Les membres de l’équipe royale sont triés avec minutie. Ils font l’objet d’une enquête préalable, leur passé devant être irréprochable. Ils doivent, de surcroît, être discrets et obéir au doigt à et l’œil aux consignes de la direction et du protocole royal”, explique un cadre de la MAP.
On ne demande pas aux journalistes du SPR de penser, mais de se cantonner à un rôle de scribe remplissant des textes à trous. C’est que le canevas des dépêches sur les activités royales est immuable depuis Hassan II : “Rien ne les différencie d’un Mustapha Alaoui qui, à la TVM, connaissait par cœur les formules consacrées au roi et ne faisait que mettre à jour son texte”, surenchérit un ex-dirigeant de la MAP.
Attention à la gaffe
Seuls changeaient la date, le lieu et la nature des activités du roi défunt. Aujourd’hui, Mohammed VI, serial inaugurator, donne tout juste un peu plus de travail à l’équipe royale, qui doit aussi actualiser le projet lancé par le souverain. Cette partition réglée comme du papier à musique ne prémunit cependant pas des fausses notes. La dernière en date a eu lieu, le 15 avril dernier, lors d’une visite de Mohammed VI à Beni Mellal. Ce jour-là, le roi inaugure deux projets de développement, l’un d’un montant de 174 millions de dirhams et l’autre de 700 millions de dirhams. L’équipe royale de la MAP, qui l’accompagne, s’emmêle les pinceaux et titre sur le projet le moins onéreux. L’erreur échappe à l’œil vigilant, en temps ordinaire, des responsables de la MAP. Le Matin du Sahara reproduit la dépêche en Une, sans en changer une ligne, comme le quotidien du palais en a obligation pour les activités royales. Al Aoula et 2M, qui font de même, donnent par la même occasion un écho massif à la bourde.
Pas de quoi fouetter un chat, en vérité. Sauf qu’on ne badine pas avec les activités royales. Le duo de journalistes de la MAP, responsables de l’erreur, se fait passer un savon. Le boss de l’agence, Ali Bouzerda, est, quant à lui, convoqué d’urgence à Beni Mellal, sur les lieux du “crime de lèse-majesté”. Sur place, l’attendent de pied ferme le directeur du cabinet royal, Rochdi Chraïbi, et la conseillère royale, Zoulikha Nasri, pour lui remonter les bretelles.
De la propagande à la com’
Ali Bouzerda doit faire son mea culpa. L’homme est pourtant réputé être précautionneux à l’extrême quand il s’agit de littérature royale. Ainsi, le 22 septembre dernier, l’agence diffuse un communiqué du palais annonçant que “S.M. le Roi Mohammed VI présidera la cérémonie de conclusion de l'acte scellant le mariage de SA le Prince Moulay Ismaïl”. Quatre jours plus tard, le mariage ayant été conclu, il suffit pour la MAP de reproduire le communiqué initial en le conjuguant au passé. Logique élémentaire. Pourtant, Ali Bouzerda, redoutant de commettre un impair, appelle Rochdi Chraïbi : “Il lui a demandé s’il pouvait changer ‘présidera”‘par ‘a présidé’. Rochdi Chraïbi lui a ri au nez”, rapporte un membre de l’agence.
Derrière ce rire perce tout le paradoxe de la MAP version 2010. L’agence a gardé des réflexes hérités de Hassan II, époque où toute initiative était bannie, alors qu’on lui demande aujourd’hui en haut lieu de vendre de manière plus efficace la nouvelle ère. “L’équipe royale décrit les activités de Mohammed VI selon un canevas qui a peu évolué. Elle se contente de décrire l’évènement sans apporter de valeur ajoutée”, explique un vieux journaliste de la MAP. L’impact, comme on dit dans le jargon des médias, est quasi nul.
Le staff de Mohammed VI a fini par s’en apercevoir et essaye de rectifier le tir. Lors des visites royales, le directeur de la communication du cabinet royal, Chakib Laâroussi, qui connaît bien la maison pour y avoir travaillé, a pour habitude de donner des conseils aux journalistes de l’agence. Il leur demande, entre autres, d’éviter le simple compte-rendu chronologique. L’agence dépêche aussi, en renfort de l’équipe royale, quelques-uns de ses vieux briscards pour pondre des papiers signés. “Ce fut notamment le cas lors de la tournée du souverain dans la région d’Imilchil en février dernier. On a dépêché des responsables de bureaux régionaux pour des reportages chez les populations ciblées par les projets royaux”, confie l’un des journalistes partis prêter main forte.
Au service de l’Etat
La com’ de M6 remplace peu à peu la propagande de Hassan II. Mais il n’y a pas encore de quoi crier à la révolution médiatique. L’héritier de Hassan II se taille la part du lion dans les dépêches de l’agence, comme du temps de son père. Et laisse à ses commis d’Etat le reste. C’est ainsi que le patron des prisons, Hafid Benhachem, ignorant peut-être les règles de préséance, a eu droit il y a quelques semaines à un cours en accéléré du directeur de l’agence Ali Bouzerda. Il avait appelé le patron de la MAP pour se plaindre : une de ses allocutions n’avait pas été reprise en intégralité. Réponse au bout du fil, rapporte un témoin : “Seul les discours et allocutions de Sa Majesté sont repris en entier sur le fil de l’agence”.
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