Nos amis les marocains avancent toujours l'argument du petrodollar et de la générosité algérienne à chaque fois qu'il y ait une nouvelle reconnaissance de la RASD. Qu'on est-t-il de la générosité marocaine?
Qu'en est-il du rôle joué par les diplomates français dans cette affaire?
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UN DIPLOMATE ONUSIEN ET DRISS BASRI EN FOURNISSENT QUELQUES EXEMPLES
Qu’il soit l’oeuvre du Palais ou le Makhzen, le lobbying de Rabat se déploie en priorité dans le registre «sahraoui». Consacré «cause nationale» dans le discours officiel, le Sahara Occidental se taille la grosse part dans la politique de séduction voulue par le Roi Hassan II et héritée, en tant qu’un des commandements «diplomatiques», par Mohammed VI.
Le dernier livre de Jean-Pierre Tuquoi (1) lève un coin du voile sur la diplomatie non conventionnelle à laquelle se livre le Maroc à l’appui de ses intérêts. Décidé à défendre la «marocanité» du Sahara, le Palais n’a jamais lésiné sur les moyens. Divers artifices ont été mis en oeuvre pour mettre les atouts de son côté et parer à toute mauvaise surprise. Depuis longtemps, note l’auteur du livre, la «politique des enveloppes» a été une «spécialité des responsables marocains». Elle a été cultivée à l’envi pour «combler les lacunes d’une diplomatie à la peine sur le dossier du Sahara Occidental».
Jean-Pierre Tuquoi ne se livre pas à des spéculations mais tient cela d’une série d’entretiens avec des acteurs onusiens et Driss Basri lui-même. Jusqu’à son éviction à l’été 1999, l’ancien homme fort de Rabat était le patron de fait du dossier sahraoui. D’entretien en entretien, le journaliste a multiplié les sources, histoire de reconstituer tous les mécanismes constitutifs de la diplomatie royale.
«La stratégie des Marocains se résume à acheter les gens: les dirigeants du Front Polisario, les diplomates étrangers, les responsables des Nations unies au Sahara Occidental», affirme Bernard Millet. Ex-conseiller de l’Elysée, ce Français est loin d’être un témoin léger ou banal. De 1997 à 2000, il a assumé la tâche de conseiller diplomatique du SG de l’ONU, Kofi Annan. Autant dire le statut de numéro deux de la maison new-yorkaise à un moment important de la gestion du dossier sahraoui.
Bernard Millet que Tuquoi a rencontré en mai dernier pour les besoins de la rédaction du livre témoigne en connaissance de cause. En 1998, les impératifs du dossier l’ont menés en tournée dans les pays de la région: Rabat, où il devait être reçu par Hassan II, les camps de Tindouf, Alger et Nouakchott. «Les Marocains m’avaient logé à l’hôtel Hilton de Rabat. J’étais venu seul et pourtant ils avaient mis à ma disposition deux chambres, deux salles de bains. Dans l’une, il y avait au moins trois cents flacons de parfum qui m’attendaient. Ils voulaient m’acheter. C’était le cadeau de bienvenue». Bernard Millet s’est gardé d’y toucher.
L’opération charme en direction du conseiller diplomatique de Annan ayant avorté, Rabat ne désespère pas de s’assurer une relation au coeur du cabinet onusien. Ça sera une collaboratrice de Bernard Millet lui-même. L’information est de Driss Basri: «C’était l’une des rares personnes à comprendre la position du Maroc. Elle nous a aidés et je l’ai reçue plusieurs fois chez moi», rappelle l’ancien ministre de l’Intérieur dans un entretien avec Tuquoi en octobre 2005.
Pour Rabat, l’approche de la collaboratrice de Bernard Millet avait son importance. Soucieux d’anticiper et de prendre leur devant, les responsables marocains étaient attachés à un fait de la plus extrême importance: mettre la main sur les documents en rapport avec le Sahara avant que le Conseil de sécurité n’en soit destinataire. C’est encore Driss Basri, le premier patron du dossier après Hassan II, qui le dit à l’auteur du livre. «C’était important pour nous. Lorsque nous les avions, ils étaient tout de suite communiqués à Hassan II. Le roi pouvait réagir en contactant les chefs d’Etat des pays membres du Conseil de sécurité».
Dans son lobbying au service de la «marocanité» du Sahara, le Maroc a, depuis toujours, prêté un intérêt de premier plan à la diplomatie et aux médias français. Ceux-ci, constate Jean-Pierre Tuquoi, «évoquent rarement le dossier et ils ont tort; si la monarchie marocaine devait être emportée un jour, ce pourrait bien être à cause du Sahara Occidental».
Quant aux diplomates, «une brochette» d’entre eux «se sont prêtés à l’opération d’assistance au Maroc voulue par l’Elysée. Ils l’ont fait par devoir autant que par conviction». Le devoir tient, aux yeux de l’auteur du livre, «à la crainte française de voir se créer entre le Maroc et le ruban de pays qui, de la Mauritanie au Sénégal, court vers l’Afrique de l’Ouest, un Etat croupion dont la langue officielle ne pourrait être que celle de l’ancien colonisateur, l’espagnol. La continuité linguistique serait rompue et la culture française menacée. La prospective est peu plaisante pour Paris».
Le Maroc l’a pertinemment perçu. Avec une tactique infaillible, il s’emploie, au gré des mouvements diplomatiques, à s’assurer les soutiens d’ambassadeurs français. L’un d’eux, parce que le plus engagé dans la défense de la position de Rabat, n’est autre que Jean-Bernard Mérimée. Ex-ambassadeur à Rabat, il a été affecté, plus tard, à la tête de la Mission permanente à New York. Le diplomate a été cité dans la liste des personnalités impliquées dans l’affaire du «pétrole (irakien) contre nourriture».
Mérimée a-t-il reçu de l’argent en contrepartie de ses plaidoyers répétés dans l’affaire sahraouie. L’Algérie, rappelle le livre de Tuquoi, l’a accusé de par le passé d’avoir été payé par le Maroc. L’accusation avait suscité, en son temps, un démenti de Driss Basri. En octobre 2005, l’ancien homme fort de Rabat reconnaissant devant le journaliste du Monde le coup de main de l’ambassadeur. Non sans ironie du reste. «Oui, il nous aidait. Il le faisait gratuitement. Mais c’est vrai qu’il ne faut pas oublier l’esprit seigneurial de Hassan II pour ses amis».
Pour Mérimée, l’esprit seigneurial s’est traduit par quelques gestes. A son départ du Quai d’Orsay au soir du 20e siècle, il s’est vu offrir par la BMCE - une banque privée du royaume - un poste bien rémunéré au conseil d’administration. Il est aussi détenteur d’un pied-à-terre non loin des lacs de Ouarzazate. Précision immobilière de Tuquoi: il s’agit d’un «confortable chalet dont le terrain, à en croire l’ancien «grand vizir» (Basri), lui a été offert par Hassan II».
S. Raouf [Quotdien d'Oran]
Qu'en est-il du rôle joué par les diplomates français dans cette affaire?
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UN DIPLOMATE ONUSIEN ET DRISS BASRI EN FOURNISSENT QUELQUES EXEMPLES
Qu’il soit l’oeuvre du Palais ou le Makhzen, le lobbying de Rabat se déploie en priorité dans le registre «sahraoui». Consacré «cause nationale» dans le discours officiel, le Sahara Occidental se taille la grosse part dans la politique de séduction voulue par le Roi Hassan II et héritée, en tant qu’un des commandements «diplomatiques», par Mohammed VI.
Le dernier livre de Jean-Pierre Tuquoi (1) lève un coin du voile sur la diplomatie non conventionnelle à laquelle se livre le Maroc à l’appui de ses intérêts. Décidé à défendre la «marocanité» du Sahara, le Palais n’a jamais lésiné sur les moyens. Divers artifices ont été mis en oeuvre pour mettre les atouts de son côté et parer à toute mauvaise surprise. Depuis longtemps, note l’auteur du livre, la «politique des enveloppes» a été une «spécialité des responsables marocains». Elle a été cultivée à l’envi pour «combler les lacunes d’une diplomatie à la peine sur le dossier du Sahara Occidental».
Jean-Pierre Tuquoi ne se livre pas à des spéculations mais tient cela d’une série d’entretiens avec des acteurs onusiens et Driss Basri lui-même. Jusqu’à son éviction à l’été 1999, l’ancien homme fort de Rabat était le patron de fait du dossier sahraoui. D’entretien en entretien, le journaliste a multiplié les sources, histoire de reconstituer tous les mécanismes constitutifs de la diplomatie royale.
«La stratégie des Marocains se résume à acheter les gens: les dirigeants du Front Polisario, les diplomates étrangers, les responsables des Nations unies au Sahara Occidental», affirme Bernard Millet. Ex-conseiller de l’Elysée, ce Français est loin d’être un témoin léger ou banal. De 1997 à 2000, il a assumé la tâche de conseiller diplomatique du SG de l’ONU, Kofi Annan. Autant dire le statut de numéro deux de la maison new-yorkaise à un moment important de la gestion du dossier sahraoui.
Bernard Millet que Tuquoi a rencontré en mai dernier pour les besoins de la rédaction du livre témoigne en connaissance de cause. En 1998, les impératifs du dossier l’ont menés en tournée dans les pays de la région: Rabat, où il devait être reçu par Hassan II, les camps de Tindouf, Alger et Nouakchott. «Les Marocains m’avaient logé à l’hôtel Hilton de Rabat. J’étais venu seul et pourtant ils avaient mis à ma disposition deux chambres, deux salles de bains. Dans l’une, il y avait au moins trois cents flacons de parfum qui m’attendaient. Ils voulaient m’acheter. C’était le cadeau de bienvenue». Bernard Millet s’est gardé d’y toucher.
L’opération charme en direction du conseiller diplomatique de Annan ayant avorté, Rabat ne désespère pas de s’assurer une relation au coeur du cabinet onusien. Ça sera une collaboratrice de Bernard Millet lui-même. L’information est de Driss Basri: «C’était l’une des rares personnes à comprendre la position du Maroc. Elle nous a aidés et je l’ai reçue plusieurs fois chez moi», rappelle l’ancien ministre de l’Intérieur dans un entretien avec Tuquoi en octobre 2005.
Pour Rabat, l’approche de la collaboratrice de Bernard Millet avait son importance. Soucieux d’anticiper et de prendre leur devant, les responsables marocains étaient attachés à un fait de la plus extrême importance: mettre la main sur les documents en rapport avec le Sahara avant que le Conseil de sécurité n’en soit destinataire. C’est encore Driss Basri, le premier patron du dossier après Hassan II, qui le dit à l’auteur du livre. «C’était important pour nous. Lorsque nous les avions, ils étaient tout de suite communiqués à Hassan II. Le roi pouvait réagir en contactant les chefs d’Etat des pays membres du Conseil de sécurité».
Dans son lobbying au service de la «marocanité» du Sahara, le Maroc a, depuis toujours, prêté un intérêt de premier plan à la diplomatie et aux médias français. Ceux-ci, constate Jean-Pierre Tuquoi, «évoquent rarement le dossier et ils ont tort; si la monarchie marocaine devait être emportée un jour, ce pourrait bien être à cause du Sahara Occidental».
Quant aux diplomates, «une brochette» d’entre eux «se sont prêtés à l’opération d’assistance au Maroc voulue par l’Elysée. Ils l’ont fait par devoir autant que par conviction». Le devoir tient, aux yeux de l’auteur du livre, «à la crainte française de voir se créer entre le Maroc et le ruban de pays qui, de la Mauritanie au Sénégal, court vers l’Afrique de l’Ouest, un Etat croupion dont la langue officielle ne pourrait être que celle de l’ancien colonisateur, l’espagnol. La continuité linguistique serait rompue et la culture française menacée. La prospective est peu plaisante pour Paris».
Le Maroc l’a pertinemment perçu. Avec une tactique infaillible, il s’emploie, au gré des mouvements diplomatiques, à s’assurer les soutiens d’ambassadeurs français. L’un d’eux, parce que le plus engagé dans la défense de la position de Rabat, n’est autre que Jean-Bernard Mérimée. Ex-ambassadeur à Rabat, il a été affecté, plus tard, à la tête de la Mission permanente à New York. Le diplomate a été cité dans la liste des personnalités impliquées dans l’affaire du «pétrole (irakien) contre nourriture».
Mérimée a-t-il reçu de l’argent en contrepartie de ses plaidoyers répétés dans l’affaire sahraouie. L’Algérie, rappelle le livre de Tuquoi, l’a accusé de par le passé d’avoir été payé par le Maroc. L’accusation avait suscité, en son temps, un démenti de Driss Basri. En octobre 2005, l’ancien homme fort de Rabat reconnaissant devant le journaliste du Monde le coup de main de l’ambassadeur. Non sans ironie du reste. «Oui, il nous aidait. Il le faisait gratuitement. Mais c’est vrai qu’il ne faut pas oublier l’esprit seigneurial de Hassan II pour ses amis».
Pour Mérimée, l’esprit seigneurial s’est traduit par quelques gestes. A son départ du Quai d’Orsay au soir du 20e siècle, il s’est vu offrir par la BMCE - une banque privée du royaume - un poste bien rémunéré au conseil d’administration. Il est aussi détenteur d’un pied-à-terre non loin des lacs de Ouarzazate. Précision immobilière de Tuquoi: il s’agit d’un «confortable chalet dont le terrain, à en croire l’ancien «grand vizir» (Basri), lui a été offert par Hassan II».
S. Raouf [Quotdien d'Oran]
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