Les racines du nationalisme sahraoui
Le Sahara occidental, comme beaucoup de pays africains modernes, n'a pas d'antécédents historiques. Il n'y avait pas de nation sahraouie à l'époque pré-coloniale, et le nationalisme sahraoui qui se fait jour actuellement est un phénomène très récent, ses origines datant seulement de la fin de l'époque coloniale espagnole. Cependant, les Sahraouis, hommes du désert, grands nomades éleveurs de chameaux et parlant le hassaniya, considèrent la culture - au sens large du terme - de leur peuple comme étant très différente de celle des sédentaires ou semi-nomades berbères, qui vivent juste au nord du Sahara, dans le Noun, le Bani et l'Anti-Atlas, et qui parlent principalement le tachelhit. Certes, les Sahraouis n'étaient qu'une branche des beidan, c'est-à-dire des nomades de langue hassaniya dont l'ascendance est un mélange d'Arabes, de Berbères et de Noirs africains qui vivaient dans les vastes étendues désertiques situées entre le Noun et les vallées du Sénégal et le coude du Niger, mais ils se distinguaient en tant que ahel es-Sahel, le peuple du littoral atlantique qui était une zone particulièrement aride dont les qabael ne s'étaient jamais soumis ni aux sultans du Maroc, ni aux émirs mauritaniens. Un tel passé aurait pu ne pas avoir de signification politique notable dans la dernière partie du XXe siècle.




Ces changements, qui s'accompagnèrent d'une importante évolution sur la scène politique à l'échelon régional ou international, firent que lorsqu'un mouvement anticolonial commença à s'ébaucher à la fin des années 1960, son caractère politique était résolument différent de celui des unités sahraouies de l'Armée de libération.
A la fin des années 1950, non seulement la présence coloniale était très récente mais elle n'avait que faiblement marqué la société sahraouie. Durant cette période, le Sahara occidental n'avait représenté qu'un intérêt économique limité pour l'Espagne, son développement avait été lent et aucune des "villes" espagnoles n'avait vraiment dépassé la taille d'un village.
En effet, depuis 1934, les Sahraouis continuaient à pratiquer leur économie pastorale - avec, toutefois, des relations commerciales accrues avec les Espagnols. Ils appliquaient leur propre justice, la charia coranique et l'orf coutumier, et réglaient leurs affaires par l'intermédiaire de leurs djemaas, tout en coexistant de façon pragmatique avec les Espagnols, sauf pendant la courte insurrection de 1957-58. Cependant, à partir de la fin des années 1950, le Sahara occidental avait subi des changements, tardifs mais rapides, causés par un éveil soudain d'intérêt pour ses ressources minières. L'accroissement des offres d'emploi et des possibilités d'éducation dans les villes, ainsi que les sécheresses avaient encouragé une grande partie de la population sahraouie à abandonner son mode de vie nomade précaire pour s'installer dans les zones urbaines.
A cause de cette sédentarisation, les Sahraouis eurent un contact beaucoup plus direct et suivi avec les Espagnols. D'ailleurs ils entrèrent pour la première fois dans le cadre des organes administratifs et du système judiciaire espagnols. Ils ne vivaient plus désormais en coexistence avec les installations espagnoles, qui jusqu'alors étaient extérieures à leur monde de nomades, mais faisaient partie d'une société urbaine régie par les Espagnols, bien que les villes du territoire fussent encore très petites. Avec ses administrateurs et ses bureaucrates, ses soldats et ses policiers, ses lois et ses réglementations, ses écoles et ses hôpitaux, le Sahara occidental commençait à ressembler, au yeux des Sahraouis sédentarisés, à un pays - un pays dominé, de surcroît, par les Espagnols.
Dans ce nouvel environnement urbain, des Sahraouis issus de tribus ou de castes différentes allaient à l'école, travaillaient et vivaient côte à côte ; et par rapport aux Espagnols, qui étaient maintenant les ahel mdafa, les "hommes du fusil" incontestés, ils partageaient tous le statut humiliant de znaga.
Tony HODGES
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