, AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE EN ALGÉRIE, À L’EXPRESSION
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30 Août 2010
Aujourd’hui, la Chine est la deuxième puissance économique mondiale. Jamais dans l’histoire de l’humanité, une nation n’avait connu une croissance aussi fulgurante (plus de 8% par an) pendant près de 30 ans. Cette réussite inquiète les puissances mondiales au lieu de les rassurer. Dans cet entretien passionnant, l’ambassadeur de la République populaire de Chine revient sur ces aspects sans mâcher ses mots. Il évoque sans complexe les droits de l’Homme en Chine. Il s’étale sur les relations avec l’Algérie, la coopération nucléaire, les projets réalisés et les difficultés rencontrées. Comme il n’a pas omis d’exprimer son soutien à l’Iran dans sa quête du nucléaire civil.
L’Expression: La Chine est classée 2e puissance économique mondiale après les Etats-Unis au 3e trimestre 2010. Cette performance n’a pas surpris les observateurs avertis et les analystes qui suivent de près l’évolution de l’économie chinoise ces 30 dernières années. La question qui se pose désormais, est de savoir quand la Chine deviendra-t-elle la première puissance économique mondiale?
Liu Yuhe: Aux dernières statistiques, le produit national brut de la Chine place son économie au 2e rang mondial. Cette performance consacre les sacrifices du peuple chinois, la politique d’ouverture économique dans laquelle nous nous sommes engagés ces dernières décennies, elle est réalisée aussi grâce à l’étroite coopération avec les pays amis. Cependant, la suprématie de la Chine est à relativiser dans bien des domaines. Malgré son rang de 2e puissance économique mondiale, un taux de développement maintenu au stade de 8% pour plusieurs années consécutives, la Chine fait face à de sérieux problèmes. Il faut savoir que le PIB moyen par tête en Chine n’est que de 3800 dollars, (contre 5000 dollars en Algérie) et qu’il est le 105e dans le classement mondial. La Chine a encore 40 millions de personnes qui ne sont pas encore sorties de la pauvreté. C’est une réalité que vous pouvez constater de visu en visitant les campagnes. L’image miroitée par les grandes villes comme Pékin ne reflète pas toujours la réalité. En Chine, entre 60 à 70% du volume global du commerce est détenu par les sociétés transnationales. Nous avons une économie basée sur l’industrie, suivie de très loin par le secteur agricole et celui des services. Le développement de la Chine nécessite qu’elle poursuive ses efforts inlassables. Le pays a besoin de travailler davantage, pour poser les jalons d’une économie forte et structurée. Et dans ce processus, la Chine doit rester vigilante pour faire face aux multiples défis politique, économique et social. Et sans vouloir être pessimiste, plusieurs générations doivent se succéder avant d’atteindre cet objectif. Par ailleurs, malgré cette place que la Chine occupe désormais sur la sphère économique mondiale, elle reste déterminée à poursuivre la voie d’un développement pacifique dans le monde.
L’émergence de l’économie chinoise inquiète nombre de vos voisins et partenaires commerciaux. Les pays de l’Asie du Sud-Est craignent la concurrence et les pays occidentaux redoutent une hausse du cours des matières premières. Quelle analyse faites-vous de ces appréhensions? Pensez-vous qu’elles soient fondées?
Au lendemain de la publication des dernières statistiques sur les performances de l’économie chinoise, le Pentagone a publié un rapport mettant en relief, la menace de l’arsenal militaire de la Chine. Une simple comparaison des dépenses nous renseignera sur l’origine exacte de cette menace. Le budget militaire américain dépasse les 700 milliards de dollars, contre 78 milliards pour la Chine. Aux Etats-Unis, des parties croient toujours que l’ère de la guerre froide n’est pas révolue. A l’origine de chaque problème l’on cite la Chine. On nous blâme pour les problèmes économiques du monde tels que la hausse des prix des matières premières et de l’énergie, la déflation, le chômage, la délocalisation, le déficit de la balance commerciale de certains pays avec la Chine. Nous sommes responsables de la crise financière, de la hausse du cours des céréales. Le gouvernement chinois souhaite une vision plus objective du monde extérieur. Nous n’avons jamais occulté l’existence de problèmes en Chine. Nous sommes disposés à discuter, à corriger nos lacunes, tout d’abord pour le bien du peuple chinois et pour la stabilité dans le monde. Mais pour cela, nous avons besoin d’engager un débat objectif. Les puissances du monde doivent reconnaître à la Chine son droit d’adopter le modèle économique qu’elle juge le mieux adapté à ses convictions et objectifs. La paix dans le monde signifie aussi respect des différences culturelles et civilisationnelles.
La Chine est accusée de développer une économie de prédation en Afrique. En d’autres termes, on vous reproche de prendre les richesses naturelles du continent noir qui ne bénéficie pas en contrepartie du transfert de technologies et de votre savoir-faire.
Ces accusations émanent des pays occidentaux qui ont une dette historique envers le continent africain de par leur passé colonial. La Chine, par contre, développe un partenariat sans complexe avec les Africains. Nous avions défendu leur cause pour l’indépendance. La Chine n’a pas hésité à apporter une aide matérielle et humaine aux pays qui ont souffert des calamités naturelles. Je pense qu’il existe une forte complémentarité dans les relations économiques Chine-Afrique, des relations que je qualifierai de sincères, ouvertes, transparentes, qui ne visent aucun pays tiers. Et qui se sont consolidées avec la création du Forum Afrique-Chine.
L’Algérie qui entretient des relations privilégiées avec la Chine a engagé un ambitieux programme quinquennal de développement économique de 286 milliards de dollars. Quelles sont les perspectives de ce partenariat à la lumière des potentialités offertes par le marché algérien?
Il y a une volonté commune des deux pays de développer leurs relations d’amitié et de coopération. L’Algérie a énormément de potentialités qui, bien évidemment, intéressent la Chine. Cependant, l’effort doit être fourni par les deux parties. Les investisseurs chinois ont besoin d’avoir une meilleure visibilité de l’environnement économique et financier de l’Algérie. Les investisseurs chinois ont besoin de comprendre quelles sont les priorités de développement économique du gouvernement algérien. Et pour quel modèle économique compte-t-elle concrétiser ses objectifs. Bien évidemment, cela relève des missions des autorités politiques, soutenues par les acteurs économiques, tels que la Chambre de commerce, le patronat et la presse.
Vous venez d’évoquer une meilleure visibilité de la politique économique engagée par le gouvernement algérien. Avez-vous eu l’occasion d’aborder cette question avec les autorités compétentes? Pensez-vous que ces obstacles pourraient ralentir le rythme de la coopération économique?
A l’occasion des rencontres tenues entre les officiels des deux pays, nous avons enregistré avec satisfaction l’engagement commun d’élargir la coopération à d’autres domaines. Pour nous, c’est un signe très favorable
Cependant, j’estime qu’il est impératif de clarifier certains points liés aux conditions d’investissement. Sur ce plan, l’effort doit être fait par la partie algérienne. Nous lisons des informations contradictoires relatées par la presse nationale concernant les nouvelles mesures économiques prises par le gouvernement algérien. Personnellement, j’ai eu l’occasion de discuter avec des responsables au sein de plusieurs départements ministériels, la réponse est toujours la même: on nous demande de ne pas croire ce que rapporte la presse. Mais les investisseurs chinois ont besoin de comprendre la situation. Ils ont besoin d’avoir une meilleure visibilité de la sphère économique. Il faut faire un effort d’explication et d’accompagnement pour dissiper les doutes et les craintes légitimes des investisseurs. Je peux garantir qu’un nombre considérable d’hommes d’affaires chinois ont manifesté leur intérêt pour l’Algérie, mais ils ne savent comment concrétiser leurs projets. Par ailleurs, je pense qu’il est essentiel de préciser que les investisseurs chinois respectent les règles arrêtées par le gouvernement algérien. Mais pour réussir un projet, il est essentiel qu’il y ait une cohérence entre les partenaires, lesquels doivent suivre le même rythme. Et sur ce plan, je pense que nous avons besoin d’accélérer la cadence pour rattraper le retard.
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30 Août 2010
Aujourd’hui, la Chine est la deuxième puissance économique mondiale. Jamais dans l’histoire de l’humanité, une nation n’avait connu une croissance aussi fulgurante (plus de 8% par an) pendant près de 30 ans. Cette réussite inquiète les puissances mondiales au lieu de les rassurer. Dans cet entretien passionnant, l’ambassadeur de la République populaire de Chine revient sur ces aspects sans mâcher ses mots. Il évoque sans complexe les droits de l’Homme en Chine. Il s’étale sur les relations avec l’Algérie, la coopération nucléaire, les projets réalisés et les difficultés rencontrées. Comme il n’a pas omis d’exprimer son soutien à l’Iran dans sa quête du nucléaire civil.
L’Expression: La Chine est classée 2e puissance économique mondiale après les Etats-Unis au 3e trimestre 2010. Cette performance n’a pas surpris les observateurs avertis et les analystes qui suivent de près l’évolution de l’économie chinoise ces 30 dernières années. La question qui se pose désormais, est de savoir quand la Chine deviendra-t-elle la première puissance économique mondiale?
Liu Yuhe: Aux dernières statistiques, le produit national brut de la Chine place son économie au 2e rang mondial. Cette performance consacre les sacrifices du peuple chinois, la politique d’ouverture économique dans laquelle nous nous sommes engagés ces dernières décennies, elle est réalisée aussi grâce à l’étroite coopération avec les pays amis. Cependant, la suprématie de la Chine est à relativiser dans bien des domaines. Malgré son rang de 2e puissance économique mondiale, un taux de développement maintenu au stade de 8% pour plusieurs années consécutives, la Chine fait face à de sérieux problèmes. Il faut savoir que le PIB moyen par tête en Chine n’est que de 3800 dollars, (contre 5000 dollars en Algérie) et qu’il est le 105e dans le classement mondial. La Chine a encore 40 millions de personnes qui ne sont pas encore sorties de la pauvreté. C’est une réalité que vous pouvez constater de visu en visitant les campagnes. L’image miroitée par les grandes villes comme Pékin ne reflète pas toujours la réalité. En Chine, entre 60 à 70% du volume global du commerce est détenu par les sociétés transnationales. Nous avons une économie basée sur l’industrie, suivie de très loin par le secteur agricole et celui des services. Le développement de la Chine nécessite qu’elle poursuive ses efforts inlassables. Le pays a besoin de travailler davantage, pour poser les jalons d’une économie forte et structurée. Et dans ce processus, la Chine doit rester vigilante pour faire face aux multiples défis politique, économique et social. Et sans vouloir être pessimiste, plusieurs générations doivent se succéder avant d’atteindre cet objectif. Par ailleurs, malgré cette place que la Chine occupe désormais sur la sphère économique mondiale, elle reste déterminée à poursuivre la voie d’un développement pacifique dans le monde.
L’émergence de l’économie chinoise inquiète nombre de vos voisins et partenaires commerciaux. Les pays de l’Asie du Sud-Est craignent la concurrence et les pays occidentaux redoutent une hausse du cours des matières premières. Quelle analyse faites-vous de ces appréhensions? Pensez-vous qu’elles soient fondées?
Au lendemain de la publication des dernières statistiques sur les performances de l’économie chinoise, le Pentagone a publié un rapport mettant en relief, la menace de l’arsenal militaire de la Chine. Une simple comparaison des dépenses nous renseignera sur l’origine exacte de cette menace. Le budget militaire américain dépasse les 700 milliards de dollars, contre 78 milliards pour la Chine. Aux Etats-Unis, des parties croient toujours que l’ère de la guerre froide n’est pas révolue. A l’origine de chaque problème l’on cite la Chine. On nous blâme pour les problèmes économiques du monde tels que la hausse des prix des matières premières et de l’énergie, la déflation, le chômage, la délocalisation, le déficit de la balance commerciale de certains pays avec la Chine. Nous sommes responsables de la crise financière, de la hausse du cours des céréales. Le gouvernement chinois souhaite une vision plus objective du monde extérieur. Nous n’avons jamais occulté l’existence de problèmes en Chine. Nous sommes disposés à discuter, à corriger nos lacunes, tout d’abord pour le bien du peuple chinois et pour la stabilité dans le monde. Mais pour cela, nous avons besoin d’engager un débat objectif. Les puissances du monde doivent reconnaître à la Chine son droit d’adopter le modèle économique qu’elle juge le mieux adapté à ses convictions et objectifs. La paix dans le monde signifie aussi respect des différences culturelles et civilisationnelles.
La Chine est accusée de développer une économie de prédation en Afrique. En d’autres termes, on vous reproche de prendre les richesses naturelles du continent noir qui ne bénéficie pas en contrepartie du transfert de technologies et de votre savoir-faire.
Ces accusations émanent des pays occidentaux qui ont une dette historique envers le continent africain de par leur passé colonial. La Chine, par contre, développe un partenariat sans complexe avec les Africains. Nous avions défendu leur cause pour l’indépendance. La Chine n’a pas hésité à apporter une aide matérielle et humaine aux pays qui ont souffert des calamités naturelles. Je pense qu’il existe une forte complémentarité dans les relations économiques Chine-Afrique, des relations que je qualifierai de sincères, ouvertes, transparentes, qui ne visent aucun pays tiers. Et qui se sont consolidées avec la création du Forum Afrique-Chine.
L’Algérie qui entretient des relations privilégiées avec la Chine a engagé un ambitieux programme quinquennal de développement économique de 286 milliards de dollars. Quelles sont les perspectives de ce partenariat à la lumière des potentialités offertes par le marché algérien?
Il y a une volonté commune des deux pays de développer leurs relations d’amitié et de coopération. L’Algérie a énormément de potentialités qui, bien évidemment, intéressent la Chine. Cependant, l’effort doit être fourni par les deux parties. Les investisseurs chinois ont besoin d’avoir une meilleure visibilité de l’environnement économique et financier de l’Algérie. Les investisseurs chinois ont besoin de comprendre quelles sont les priorités de développement économique du gouvernement algérien. Et pour quel modèle économique compte-t-elle concrétiser ses objectifs. Bien évidemment, cela relève des missions des autorités politiques, soutenues par les acteurs économiques, tels que la Chambre de commerce, le patronat et la presse.
Vous venez d’évoquer une meilleure visibilité de la politique économique engagée par le gouvernement algérien. Avez-vous eu l’occasion d’aborder cette question avec les autorités compétentes? Pensez-vous que ces obstacles pourraient ralentir le rythme de la coopération économique?
A l’occasion des rencontres tenues entre les officiels des deux pays, nous avons enregistré avec satisfaction l’engagement commun d’élargir la coopération à d’autres domaines. Pour nous, c’est un signe très favorable
Cependant, j’estime qu’il est impératif de clarifier certains points liés aux conditions d’investissement. Sur ce plan, l’effort doit être fait par la partie algérienne. Nous lisons des informations contradictoires relatées par la presse nationale concernant les nouvelles mesures économiques prises par le gouvernement algérien. Personnellement, j’ai eu l’occasion de discuter avec des responsables au sein de plusieurs départements ministériels, la réponse est toujours la même: on nous demande de ne pas croire ce que rapporte la presse. Mais les investisseurs chinois ont besoin de comprendre la situation. Ils ont besoin d’avoir une meilleure visibilité de la sphère économique. Il faut faire un effort d’explication et d’accompagnement pour dissiper les doutes et les craintes légitimes des investisseurs. Je peux garantir qu’un nombre considérable d’hommes d’affaires chinois ont manifesté leur intérêt pour l’Algérie, mais ils ne savent comment concrétiser leurs projets. Par ailleurs, je pense qu’il est essentiel de préciser que les investisseurs chinois respectent les règles arrêtées par le gouvernement algérien. Mais pour réussir un projet, il est essentiel qu’il y ait une cohérence entre les partenaires, lesquels doivent suivre le même rythme. Et sur ce plan, je pense que nous avons besoin d’accélérer la cadence pour rattraper le retard.
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