Les chiites sont la cible d’attaques sanglantes
PAKISTAN Mardi 7 septembre 2010
La «trêve» terroriste due aux inondations est finie. Une centaine de personnes tuées la semaine dernière
La «trêve» terroriste au Pakistan observée durant les inondations de l’été est close. Alors que 18 millions de personnes déplacées continuent de souffrir des crues de l’Indus et de ses affluents, les groupes sunnites extrémistes relancent la guerre confessionnelle à travers le pays. En l’espace de quelques jours, près d’une centaine de membres de la minorité chiite – représentant entre 15% et 20% de la population – ont été tués lors d’attaques alimentant des spéculations parmi les analystes sur l’existence d’un plan d’Al-Qaida visant à imposer au Pakistan un scénario déjà éprouvé en Irak.
Cette nouvelle vague de violences a débuté mercredi dernier avec trois attentats-suicides ayant ensanglanté une procession chiite à Lahore, chef-lieu de la province du Pendjab, à l’occasion de la commémoration (Youm-e-Ali) de la mort de l’imam Ali, quatrième calife de l’islam ainsi que cousin et gendre du prophète Mahomet.
L’assaut a fait 31 tués et 170 blessés. Dans les heures qui ont suivi la tuerie, des groupes de chiites ont laissé éclater leur colère en affrontant la police de Lahore. Vendredi passé, le même scénario s’est renouvelé à Quetta, chef-lieu de la province du Baloutchistan, où un kamikaze s’est fait exploser au milieu d’une foule chiite manifestant lors de la journée de solidarité à l’égard des Palestiniens (Youm-al-Quds). Environ 65 personnes ont péri. En signe de deuil, Quetta a été paralysé par une grève générale samedi.
L’attentat de Lahore a été revendiqué conjointement par le mouvement des talibans pakistanais (Tehrik-e-taliban Pakistan, ou TTP) et le Lashkar-e-Jhangvi (LeJ), un groupe armé sunnite spécialisé dans les attaques de chiites. Selon un porte-parole du TTP, cette attaque est un acte de «revanche» après l’assassinat imputé à des chiites du mollah Ali Sher Haidri, chef du Sipah-e-Sahaba Pakistan (SSP), la matrice idéologique du LeJ. Ali Sher Haidri avait été tué en août 2009 à Karachi, chef-lieu de la province méridionale du Sind.
Les tensions interconfessionnelles ne sont pas nouvelles au Pakistan, Etat musulman de 170 millions de personnes, sunnites à près de 80%. A la faveur de la politique d’islamisation décrétée dans les années 1970 par l’ex-dictateur putschiste, le général Zia- ul-Haq, les groupes extrémistes sunnites ont prospéré en s’efforçant d’attiser le clivage doctrinal avec la minorité chiite.
Ils ont largement puisé dans le réseau de madrasas (écoles coraniques) affilié à l’école dite «déobandie», qui milite pour le retour à l’orthodoxie de l’islam à rebours de toute tentation schismatique ou syncrétique. Sur fond de fondamentalisme encouragé par le djihad antisoviétique en Afghanistan, cet activisme des sunnites ultras s’était nourri dans les années 1980 d’une réaction contre le réveil des chiites pakistanais après la révolution iranienne de 1979.
Ces dernières années, ces groupes armés s’en sont également pris à la tradition soufie – majoritaire au Pakistan –, dont le culte des saints est jugé «hérétique» par les idéologues déobandis. Le 1er juillet, un attentat-suicide a fait 41 morts lors d’une cérémonie au tombeau du saint Data Ganj Bakhsh, un haut lieu de l’islam soufi à Lahore. La secte des Ahmadis, déjà victime d’une persécution d’Etat, est aussi visée par ces extrémistes. Le 28 mai, un attentat contre une mosquée ahmadi à Lahore avait fait près de 90 morts. La secte avait été fondée en 1889 au Pendjab par un certain Mirza Ghulam Ahmad, se présentant comme le nouveau prophète.
La plupart de ces attentats sont commis par des groupes pendjabis – SSP ou LeJ – ne partageant pas nécessairement les mêmes motivations que les talibans pachtounes du TTP, enracinés dans les zones tribales frontalières avec l’Afghanistan. Depuis deux ou trois ans, ces deux mouvances, qui s’inspirent toutes deux de l’école déobandie, sont toutefois de plus en plus imbriquées.
Alors que le TTP est sous pression de l’armée dans les zones tribales, notamment dans son bastion historique du Sud-Waziristan, il s’est lancé dans des actions de représailles dans les grands centres urbains de Lahore ou Islamabad en nouant une coopération opérationnelle avec les groupes pendjabis. Al-Qaida pourrait avoir joué un rôle dans la cristallisation de ce nouvel axe. «Les dernières violences sectaires sont souvent liées à des situations très locales, note Rifaat Hussain, professeur à l’université Qaid-e-Azam à Islamabad. Mais un rôle de coordination d’Al-Qaida afin de déstabiliser le Pakistan n’est pas à exclure.»
Au moins 19 personnes, dont quatre enfants, ont péri lundi dans un nouvel attentat-suicide, visant cette fois un poste de police dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, non loin des zones tribales. Par ailleurs, cinq insurgés islamistes à bord d’une voiture ont été tués lundi par deux missiles tirés d’un drone américain dans le nord-ouest. (AFP)
PAR FRÉDÉRIC BOBIN, NEW DELHI
LE TEMPS
PAKISTAN Mardi 7 septembre 2010
La «trêve» terroriste due aux inondations est finie. Une centaine de personnes tuées la semaine dernière
La «trêve» terroriste au Pakistan observée durant les inondations de l’été est close. Alors que 18 millions de personnes déplacées continuent de souffrir des crues de l’Indus et de ses affluents, les groupes sunnites extrémistes relancent la guerre confessionnelle à travers le pays. En l’espace de quelques jours, près d’une centaine de membres de la minorité chiite – représentant entre 15% et 20% de la population – ont été tués lors d’attaques alimentant des spéculations parmi les analystes sur l’existence d’un plan d’Al-Qaida visant à imposer au Pakistan un scénario déjà éprouvé en Irak.
Cette nouvelle vague de violences a débuté mercredi dernier avec trois attentats-suicides ayant ensanglanté une procession chiite à Lahore, chef-lieu de la province du Pendjab, à l’occasion de la commémoration (Youm-e-Ali) de la mort de l’imam Ali, quatrième calife de l’islam ainsi que cousin et gendre du prophète Mahomet.
L’assaut a fait 31 tués et 170 blessés. Dans les heures qui ont suivi la tuerie, des groupes de chiites ont laissé éclater leur colère en affrontant la police de Lahore. Vendredi passé, le même scénario s’est renouvelé à Quetta, chef-lieu de la province du Baloutchistan, où un kamikaze s’est fait exploser au milieu d’une foule chiite manifestant lors de la journée de solidarité à l’égard des Palestiniens (Youm-al-Quds). Environ 65 personnes ont péri. En signe de deuil, Quetta a été paralysé par une grève générale samedi.
L’attentat de Lahore a été revendiqué conjointement par le mouvement des talibans pakistanais (Tehrik-e-taliban Pakistan, ou TTP) et le Lashkar-e-Jhangvi (LeJ), un groupe armé sunnite spécialisé dans les attaques de chiites. Selon un porte-parole du TTP, cette attaque est un acte de «revanche» après l’assassinat imputé à des chiites du mollah Ali Sher Haidri, chef du Sipah-e-Sahaba Pakistan (SSP), la matrice idéologique du LeJ. Ali Sher Haidri avait été tué en août 2009 à Karachi, chef-lieu de la province méridionale du Sind.
Les tensions interconfessionnelles ne sont pas nouvelles au Pakistan, Etat musulman de 170 millions de personnes, sunnites à près de 80%. A la faveur de la politique d’islamisation décrétée dans les années 1970 par l’ex-dictateur putschiste, le général Zia- ul-Haq, les groupes extrémistes sunnites ont prospéré en s’efforçant d’attiser le clivage doctrinal avec la minorité chiite.
Ils ont largement puisé dans le réseau de madrasas (écoles coraniques) affilié à l’école dite «déobandie», qui milite pour le retour à l’orthodoxie de l’islam à rebours de toute tentation schismatique ou syncrétique. Sur fond de fondamentalisme encouragé par le djihad antisoviétique en Afghanistan, cet activisme des sunnites ultras s’était nourri dans les années 1980 d’une réaction contre le réveil des chiites pakistanais après la révolution iranienne de 1979.
Ces dernières années, ces groupes armés s’en sont également pris à la tradition soufie – majoritaire au Pakistan –, dont le culte des saints est jugé «hérétique» par les idéologues déobandis. Le 1er juillet, un attentat-suicide a fait 41 morts lors d’une cérémonie au tombeau du saint Data Ganj Bakhsh, un haut lieu de l’islam soufi à Lahore. La secte des Ahmadis, déjà victime d’une persécution d’Etat, est aussi visée par ces extrémistes. Le 28 mai, un attentat contre une mosquée ahmadi à Lahore avait fait près de 90 morts. La secte avait été fondée en 1889 au Pendjab par un certain Mirza Ghulam Ahmad, se présentant comme le nouveau prophète.
La plupart de ces attentats sont commis par des groupes pendjabis – SSP ou LeJ – ne partageant pas nécessairement les mêmes motivations que les talibans pachtounes du TTP, enracinés dans les zones tribales frontalières avec l’Afghanistan. Depuis deux ou trois ans, ces deux mouvances, qui s’inspirent toutes deux de l’école déobandie, sont toutefois de plus en plus imbriquées.
Alors que le TTP est sous pression de l’armée dans les zones tribales, notamment dans son bastion historique du Sud-Waziristan, il s’est lancé dans des actions de représailles dans les grands centres urbains de Lahore ou Islamabad en nouant une coopération opérationnelle avec les groupes pendjabis. Al-Qaida pourrait avoir joué un rôle dans la cristallisation de ce nouvel axe. «Les dernières violences sectaires sont souvent liées à des situations très locales, note Rifaat Hussain, professeur à l’université Qaid-e-Azam à Islamabad. Mais un rôle de coordination d’Al-Qaida afin de déstabiliser le Pakistan n’est pas à exclure.»
Au moins 19 personnes, dont quatre enfants, ont péri lundi dans un nouvel attentat-suicide, visant cette fois un poste de police dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, non loin des zones tribales. Par ailleurs, cinq insurgés islamistes à bord d’une voiture ont été tués lundi par deux missiles tirés d’un drone américain dans le nord-ouest. (AFP)
PAR FRÉDÉRIC BOBIN, NEW DELHI
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