Par Fahd Iraqi
Saga. Il était une fois l’ONALes mines de cobalt de
Bou Azzer en 1953. (DR)
Avec son absorption par la SNI, l’entreprise qui symbolisait les affaires de la famille royale n’est plus. Retour sur l’histoire fascinante d’un comptoir colonial devenu le plus puissant holding du royaume.Bou Azzer en 1953. (DR)
Le 31 décembre 2010 s’est tenu un conseil d’administration de l’ONA. C’était le dernier. Pour de bon. Le holding royal n’existe plus juridiquement : les actionnaires ont validé le projet de fusion-absorption du conglomérat par sa société mère, la SNI. Ils enclenchent ainsi la deuxième phase du plan stratégique annoncé en avril dernier. Plan qui a

Un ancêtre nommé CTM
Nous sommes le 22 novembre 1919. Une adjudication publique lancée par l’administration du protectorat pour la création d’un réseau de transport au Maroc est remportée par une société française appartenant à Jean Epinat. L’homme d’affaires est un proche du Maréchal Lyautey, le mythique résident général pour qui ce projet était indispensable à la “pacification” du pays. La Compagnie générale de transport et de tourisme (CGTT), ancêtre de la CTM, est ainsi créée. Pendant des années, la compagnie d’Epinat assure non seulement le transport en commun mais sert aussi au ravitaillement des troupes françaises stationnées au royaume. Fort de l’appui de l’administration coloniale, le businessman voit ainsi ses affaires prospérer et se diversifier dans le royaume. Ses concessions pour les transports s’élargissent, il se lance dans la revente automobile en devenant agent exclusif de General Motors et se met même à la prospection minière. En 1923, il crée à Marrakech un gîte d’étape de luxe qu’il appelle La Mamounia…
Le comptoir colonial d’Epinat prend désormais les allures d’un conglomérat. Alors, pour conserver le fonds de commerce de la CTM dans le secteur du transport, une maison - mère est créée, le 5 janvier 1934. Son nom : l’Omnium Nord-Africain, le fameux ONA.
Dès ses débuts, le groupe d’Epinat mène la vie dure à ses concurrents. Dans son ouvrage Les enjeux financiers et économiques du protectorat marocain (Publication de la Société française d’histoire d’outre-mer, 2009), le professeur Georges Hatton écrit : “Epinat avait utilisé tous les moyens possibles pour éliminer la concurrence, notamment la baisse ‘sauvage’ des tarifs, jusqu’à ce que l’adversaire demande grâce et accepte le rachat”. Bonjour le dumping…
El Glaoui et Moulay Hassan
Quand, dans les années 1930, Jean Epinat se lance dans l’exploration minière au Maroc, il s’appuie sur le puissant pacha El Glaoui pour ouvrir sa première mine de cobalt à Bou-Azzer (près de Ouarzazate), nichée dans les hauteurs du Grand Atlas, non encore pacifié par l’armée française. La Société Minière de Bou-Azzer et de Guerara (SMAG) voit ainsi le jour. Une structure où même la famille régnante se retrouve actionnaire. “Le prince héritier Moulay Hassan fut, pendant plusieurs années, administrateur de la SMAG, propriétaire de la mine de cobalt et filiale de l’Omnium Nord-Africain”, écrit Félix Natard, collaborateur et ami du propriétaire, auquel il a consacré une biographie intitulée Jean Epinat, un homme, une aventure au Maroc (éd. Souffles, 1987). On peut y lire aussi : “Le futur Hassan II n’a jamais assisté à une réunion du conseil d’administration, ni à aucune assemblée générale de la SMAG. Probablement pour ne pas siéger comme simple administrateur d’une société dont le président était le Glaoui ! Il suivait tout de même les affaires de la société par les comptes-rendus que lui en faisait régulièrement l’administrateur délégué de l’ONA. Devenu le roi Hassan II, il céda ses actions et son poste d’administrateur à l’un de ses fidèles, le général Moulay Hafid”.
Les années Paribas
La famille royale se retrouve ainsi très tôt mêlée à l’essor de l’Omnium. Mais c’est bien Jean Epinat qui contrôle cette société de portefeuille, introduite en Bourse à Casablanca en 1945. A cette époque de fin de guerre, le fondateur fait face à des démêlés avec la justice. Selon Georges Hatton, “Epinat est arrêté pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat et mis en résidence surveillée à Azrou. Il lui était essentiellement reproché d’avoir fourni du cobalt à l’Allemagne sous le régime de Vichy. Ses biens, ceux de l’ONA et de la Société minière de Bou-Azzer sont placés sous séquestre”. Le puissant businessman ne se remettra jamais de cette mésaventure. Quelques années plus tard, il se désengage progressivement de l’ONA au profit de la banque Paribas. L’ouvrage d’Hatton grouille de détails sur la situation financière de l’Omnium à la veille de cette cession : un bénéfice net de 3 millions d’euros (équivalant son taux de change en 2005) et un portefeuille de participation estimé à 2 milliards de francs (de l’époque) éparpillé dans les secteurs commercial, immobilier, minier, industriel et touristique.
Paribas se paie ainsi, le 6 février 1950, un premier paquet de 10% du capital pour 550 millions de francs. Trois ans plus tard, Epinat lui revend 216 000 autres actions ONA pour 1,5 million. Un deal en deux temps qui permet à la banque de devenir l’actionnaire de référence du holding. Néanmoins, Paribas, disposant déjà d’un portefeuille de participation important au Maroc, ne s’appuie pas sur l’Omnium pour poursuivre son développement. L’entreprise rentrera dans une hibernation qui durera près de trois décennies.
(àsuivre)
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