Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche au CNRS à Rabat, revient pour LEXPRESS.fr sur la réforme constitutionnelle annoncée par le roi Mohamed VI et sur l'accueil que la population lui a réservé.
Quel accueil les Marocains ont-ils réservé aux annonces du roi Mohamed VI?
La réaction générale que j'ai pu observer ici est très favorable. La réforme constitutionnelle accroît les libertés et les Marocains ont conscience de vivre un tournant historique. Voir le Maroc avancer sur une voie plus libérale et démocratique, plus vite que les pays de la région, leur procure aussi une certaine satisfaction nationaliste.
Pourtant, de nouvelles manifestations ont eu lieu ce dimanche, à l'appel du Mouvement du 20 février.
Certes, ce mouvement rassemble quelques milliers de manifestants à chaque rendez-vous, mais il ne représente pas toute la société marocaine. Il était opposé à la démarche même des modifications constitutionnelles annoncées le 9 mars dernier. A mon avis, ces manifestations ne peuvent pas bloquer le processus, il y a un consensus trop large dans la population pour cela. Ce qui est à craindre en revanche, c'est une surenchère et des violences. Ce risque existe.
Quelles sont les principales avancées constitutionnelles?
J'en vois trois, qu'il est difficile de ne pas saluer! D'abord, une séparation des pouvoirs originale qui renforce la position de chef du gouvernement. Celui-ci sera issu du parti vainqueur des élections législatives comme dans un système parlementaire. Le roi pourra le nommer mais pas le démettre. Et ce "Premier ministre" dispose d'une vraie arme de contrainte: il pourra dissoudre lui-même le Parlement, une prérogative qui n'appartenait qu'au roi auparavant.
Le roi, lui, conserve des pouvoirs d'arbitrage importants, mais pas scandaleux. Je dirais qu'il ressemble un peu au président de la Ve République française, de 1958 à 1962. Il garde la main sur les nominations de hauts fonctionnaires, il peut demander au Parlement une deuxième lecture d'une loi adoptée, il reste chef des armées et dirige un nouveau "Conseil supérieur de sécurité" nationale auquel sont associés le gouvernement et le parlement. Son rôle de Commandeur des croyants ne s'applique plus qu'au domaine religieux, alors qu'on accusait son père de l'utiliser à des fins politiques également.
Enfin, cette nouvelle Constitution offre de nombreuses garanties sur le plan des droits humains : l'islam reste religion d'Etat mais la liberté de conscience est indirectement reconnue par référence aux conventions internationales, l'égalité des hommes et des femmes est affirmée, etc. En outre, le Conseil constitutionnel composé de membres politiques laisse la place à une Cour constitutionnelle, juridiction de magistrats, que les citoyens pourront saisir s'ils considèrent qu'une loi contredit le texte fondamental. La possibilité d'un référendum d'initiative populaire est aussi offerte.
Sur quels points serait-il envisageable d'aller encore plus loin, comme le demande le Mouvement du 20 février? Quels éléments, au contraire, ne peuvent en aucun cas bouger?
Il n'y a pas de raison ni de nécessité d'aller plus loin au niveau de la Constitution. Le travail d'approfondissement des libertés peut se faire avec les outils que la nouvelle Constitution prévoit. La question du pouvoir d'arbitrage et de la Commanderie des croyants me semble impossible à modifier car l'équilibre institutionnel serait profondément remis en cause.
Un référendum est prévu pour le 1er juillet. N'est-ce pas un peu rapide, alors qu'à l'inverse, dans la région, la Tunisie et l'Egypte reculent leurs échéances électorales?
Il faut avoir un temps de débat dans un climat positif. Au Maroc la réforme a lieu sans crise politique, à l'inverse de ces deux pays. Mais vous savez, personne ne lira le texte en entier de toute façon... Personne ne lit les textes en détail. Et il est important aussi que ce vote se tienne en juillet, avant le ramadan en août, puis les élections législatives prévues à l'automne, et les lois organiques qui permettront d'appliquer les points introduits par la réforme constitutionnelle.
Pensez-vous que les autres pays touchés par le "printemps arabe" pourraient s'inspirer du nouveau texte marocain?
Très certainement. Il aura une influence sur les constituants tunisiens, qui ne peuvent ignorer les avancées réalisées ici. Dans le cas égyptien, c'est plus difficile : il faudra compter avec les Frères musulmans qui n'auront pas la même position sur certains droits. Quant à l'Algérie, la presse minimise ce qui se passe au Maroc, El Watan dit que la révision est minime, mais c'est une réaction défensive dans un pays peu démocratique: la Constitution marocaine y exercera une influence, quoi qu'en disent les partis.
L'Express
Quel accueil les Marocains ont-ils réservé aux annonces du roi Mohamed VI?
La réaction générale que j'ai pu observer ici est très favorable. La réforme constitutionnelle accroît les libertés et les Marocains ont conscience de vivre un tournant historique. Voir le Maroc avancer sur une voie plus libérale et démocratique, plus vite que les pays de la région, leur procure aussi une certaine satisfaction nationaliste.
Pourtant, de nouvelles manifestations ont eu lieu ce dimanche, à l'appel du Mouvement du 20 février.
Certes, ce mouvement rassemble quelques milliers de manifestants à chaque rendez-vous, mais il ne représente pas toute la société marocaine. Il était opposé à la démarche même des modifications constitutionnelles annoncées le 9 mars dernier. A mon avis, ces manifestations ne peuvent pas bloquer le processus, il y a un consensus trop large dans la population pour cela. Ce qui est à craindre en revanche, c'est une surenchère et des violences. Ce risque existe.
Quelles sont les principales avancées constitutionnelles?
J'en vois trois, qu'il est difficile de ne pas saluer! D'abord, une séparation des pouvoirs originale qui renforce la position de chef du gouvernement. Celui-ci sera issu du parti vainqueur des élections législatives comme dans un système parlementaire. Le roi pourra le nommer mais pas le démettre. Et ce "Premier ministre" dispose d'une vraie arme de contrainte: il pourra dissoudre lui-même le Parlement, une prérogative qui n'appartenait qu'au roi auparavant.
Le roi, lui, conserve des pouvoirs d'arbitrage importants, mais pas scandaleux. Je dirais qu'il ressemble un peu au président de la Ve République française, de 1958 à 1962. Il garde la main sur les nominations de hauts fonctionnaires, il peut demander au Parlement une deuxième lecture d'une loi adoptée, il reste chef des armées et dirige un nouveau "Conseil supérieur de sécurité" nationale auquel sont associés le gouvernement et le parlement. Son rôle de Commandeur des croyants ne s'applique plus qu'au domaine religieux, alors qu'on accusait son père de l'utiliser à des fins politiques également.
Enfin, cette nouvelle Constitution offre de nombreuses garanties sur le plan des droits humains : l'islam reste religion d'Etat mais la liberté de conscience est indirectement reconnue par référence aux conventions internationales, l'égalité des hommes et des femmes est affirmée, etc. En outre, le Conseil constitutionnel composé de membres politiques laisse la place à une Cour constitutionnelle, juridiction de magistrats, que les citoyens pourront saisir s'ils considèrent qu'une loi contredit le texte fondamental. La possibilité d'un référendum d'initiative populaire est aussi offerte.
Sur quels points serait-il envisageable d'aller encore plus loin, comme le demande le Mouvement du 20 février? Quels éléments, au contraire, ne peuvent en aucun cas bouger?
Il n'y a pas de raison ni de nécessité d'aller plus loin au niveau de la Constitution. Le travail d'approfondissement des libertés peut se faire avec les outils que la nouvelle Constitution prévoit. La question du pouvoir d'arbitrage et de la Commanderie des croyants me semble impossible à modifier car l'équilibre institutionnel serait profondément remis en cause.
Un référendum est prévu pour le 1er juillet. N'est-ce pas un peu rapide, alors qu'à l'inverse, dans la région, la Tunisie et l'Egypte reculent leurs échéances électorales?
Il faut avoir un temps de débat dans un climat positif. Au Maroc la réforme a lieu sans crise politique, à l'inverse de ces deux pays. Mais vous savez, personne ne lira le texte en entier de toute façon... Personne ne lit les textes en détail. Et il est important aussi que ce vote se tienne en juillet, avant le ramadan en août, puis les élections législatives prévues à l'automne, et les lois organiques qui permettront d'appliquer les points introduits par la réforme constitutionnelle.
Pensez-vous que les autres pays touchés par le "printemps arabe" pourraient s'inspirer du nouveau texte marocain?
Très certainement. Il aura une influence sur les constituants tunisiens, qui ne peuvent ignorer les avancées réalisées ici. Dans le cas égyptien, c'est plus difficile : il faudra compter avec les Frères musulmans qui n'auront pas la même position sur certains droits. Quant à l'Algérie, la presse minimise ce qui se passe au Maroc, El Watan dit que la révision est minime, mais c'est une réaction défensive dans un pays peu démocratique: la Constitution marocaine y exercera une influence, quoi qu'en disent les partis.
L'Express
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