par Mine G.Kirikkanat, écrivaine et éditorialiste à Cumhuriyet
Se voulant un modèle de démocratie pour le monde musulman, La Turquie suit de très près la vague de révolutions qui secouent les pays arabes.
L’économie turque qui a été relativement peu touchée par la crise mondiale, n’a pas échappé à la panique qui s’empare de la région et la fuite de l’argent chaud (investissement étranger à court terme) met à mal la bourse turque IMBK, jusque là plus performante que ses semblables. On prévoit aussi une régression des exportations turques qui ont connu une augmentation spectaculaire vers le Maghreb et le Moyen Orient, ces dernières années.
Le premier ministre M. Recep Tayyip Erdogan qui jouit d’une très forte popularité auprès des pays arabes, n’a pas hésité à exhorter "son ami” Hosni Moubarak à "satisfaire les revendications légitimes et compréhensibles de son peuple”.
Mais le plus important de son message est qu’il se réfère aux préceptes de l’Islam pour rappeler à Moubarak : "Chacun de nous mourra et répondra de ses actes. Pour tous les musulmans que nous sommes, notre avoir final ne sera qu’un trou de deux mètres cubes de terre. Nous sommes là (sur terre) pour servir nos peuples. Devant nos tombes, l’imam ne parlera pas du chef d’État, du président, du Premier ministre ou du ministre que nous aurons été. Que les riches m’entendent bien aussi, l’imam n’appellera pas à prier à ‘la mémoire du multimillionnaire’, il demandera à prier simplement à la mémoire de l’homme ou de la femme qu’ils furent. Et nous n’aurons que des linceuls pour nous accompagner. Il faut estimer ce linceul à sa juste valeur.”
La presse turque a interprété le sous-entendu de ce message à M Moubarak, comme une incitation à la démission.
Depuis l’arrivée au pouvoir du parti islamiste AKP (Parti de la justice et du développement) en 2002, la Turquie a tissé des liens très étroits avec les pays arabes du Moyen Orient et du Maghreb. Grâce à ses virulentes attaques contre Israël, le Premier ministre turc n’est pas seulement populaire parmi ces peuples, mais il se place comme le leader incontesté des musulmans qui aspirent à une démocratie islamique, telle que son parti et lui-même l'ont instauré en Turquie.
VERS UNE BALKANISATION DU MONDE ARABO-PERSAN ?
Les analystes turcs considèrent que les rébellions arabes vont se propager à moyen terme à tous les pays non démocrates de l’Afrique et de l’Asie. D’ici dix ans, ils prévoient non pas une démocratisation, mais un éclatement ethnique ou religieux pour chacun d’eux, avec l’émergence de nouvelles entités, à l’exemple de la Yougoslavie.
Certains stratèges critiques vis-à-vis du gouvernement AKP, voient cette vague de révoltes comme un effet secondaire du remodelage du Grand Moyen Orient (inventé par le président George W. Bush et son administration pour désigner un espace s'étendant du Maghreb et de la Mauritanie au Pakistan et à l'Afghanistan, en passant par la Turquie, le Machrek et l'ensemble de la péninsule Arabique), doctrine mise en oeuvre depuis 2003. L’initiative de partenariat au Moyen Orient (Middle East Partnership Initiative) a ainsi été transformée en Initiative de partenariat Grand Moyen Orient (Greater Middle East Initiative, GMEI) et vise à transformer le paysage politique et économique de cet ensemble.
Cette doctrine a été vivement critiquée, particulièrement en Europe : on lui reproche de vouloir exporter à tout prix la démocratie, sans tenir compte de l’hétérogénéité des États et des facteurs sociologiques structurels des pays.
Malgré la réticence européenne, le projet GMEI fut l'un des sujets majeurs du sommet de l’Otan à Istanbul en 2004 et le Premier ministre turc M. Erdogan se revendiqua plus tard comme "l'un des co-présidents de GMEI”. Il ne faut pas oublier non plus que M. Erdogan et le Premier ministre espagnol Jose Luis Zapatero partagent l’initiative et la présidence de L’Alliance des civilisations depuis 2007, qui évoque de près, les mêmes desseins que le partenariat Grand Moyen Orient.
DES PRÉVISIONS CONTREDITES
Pourquoi les révoltes actuelles seraient-elles les effets secondaires, donc non désirables du projet GMEI ?
Les analystes turcs de tous les bords se rejoignent pour souligner que les révoltes sont parties de là où elles n’étaient pas prévues. Au lieu des peuples d’Iran ou du Pakistan, ce sont les Tunisiens qui ont mis le feu au poudre et l’Égypte est bien le dernier pays que le projet GMEI, tout autant que l’OTAN, aimerait voir pris dans la tourmente.
Rien ne permet d’affirmer que l’Égypte ne sombre dans une crise d’autorité et ou que les Frères musulmans, la seule opposition politique vraiment structurée du pays, ne soient les gagnants de la tourmente.
Autant l’Iran semble mûr pour qu’une révolte populaire puisse aboutir à une démocratie, à moyen terme, autant une démocratie égyptienne est plus qu’improbable et l’avenir du pays, hautement incertain.
Le projet Grand Moyen Orient prévoyait que l’Egypte s'impose comme la clé essentielle à la stabilité de la région et la sécurité d’Israël.
De la prévision à l’application, c’est le contraire qui se réalise.
.tv5.org
Se voulant un modèle de démocratie pour le monde musulman, La Turquie suit de très près la vague de révolutions qui secouent les pays arabes.
L’économie turque qui a été relativement peu touchée par la crise mondiale, n’a pas échappé à la panique qui s’empare de la région et la fuite de l’argent chaud (investissement étranger à court terme) met à mal la bourse turque IMBK, jusque là plus performante que ses semblables. On prévoit aussi une régression des exportations turques qui ont connu une augmentation spectaculaire vers le Maghreb et le Moyen Orient, ces dernières années.
Le premier ministre M. Recep Tayyip Erdogan qui jouit d’une très forte popularité auprès des pays arabes, n’a pas hésité à exhorter "son ami” Hosni Moubarak à "satisfaire les revendications légitimes et compréhensibles de son peuple”.
Mais le plus important de son message est qu’il se réfère aux préceptes de l’Islam pour rappeler à Moubarak : "Chacun de nous mourra et répondra de ses actes. Pour tous les musulmans que nous sommes, notre avoir final ne sera qu’un trou de deux mètres cubes de terre. Nous sommes là (sur terre) pour servir nos peuples. Devant nos tombes, l’imam ne parlera pas du chef d’État, du président, du Premier ministre ou du ministre que nous aurons été. Que les riches m’entendent bien aussi, l’imam n’appellera pas à prier à ‘la mémoire du multimillionnaire’, il demandera à prier simplement à la mémoire de l’homme ou de la femme qu’ils furent. Et nous n’aurons que des linceuls pour nous accompagner. Il faut estimer ce linceul à sa juste valeur.”
La presse turque a interprété le sous-entendu de ce message à M Moubarak, comme une incitation à la démission.
Depuis l’arrivée au pouvoir du parti islamiste AKP (Parti de la justice et du développement) en 2002, la Turquie a tissé des liens très étroits avec les pays arabes du Moyen Orient et du Maghreb. Grâce à ses virulentes attaques contre Israël, le Premier ministre turc n’est pas seulement populaire parmi ces peuples, mais il se place comme le leader incontesté des musulmans qui aspirent à une démocratie islamique, telle que son parti et lui-même l'ont instauré en Turquie.
VERS UNE BALKANISATION DU MONDE ARABO-PERSAN ?
Les analystes turcs considèrent que les rébellions arabes vont se propager à moyen terme à tous les pays non démocrates de l’Afrique et de l’Asie. D’ici dix ans, ils prévoient non pas une démocratisation, mais un éclatement ethnique ou religieux pour chacun d’eux, avec l’émergence de nouvelles entités, à l’exemple de la Yougoslavie.
Certains stratèges critiques vis-à-vis du gouvernement AKP, voient cette vague de révoltes comme un effet secondaire du remodelage du Grand Moyen Orient (inventé par le président George W. Bush et son administration pour désigner un espace s'étendant du Maghreb et de la Mauritanie au Pakistan et à l'Afghanistan, en passant par la Turquie, le Machrek et l'ensemble de la péninsule Arabique), doctrine mise en oeuvre depuis 2003. L’initiative de partenariat au Moyen Orient (Middle East Partnership Initiative) a ainsi été transformée en Initiative de partenariat Grand Moyen Orient (Greater Middle East Initiative, GMEI) et vise à transformer le paysage politique et économique de cet ensemble.
Cette doctrine a été vivement critiquée, particulièrement en Europe : on lui reproche de vouloir exporter à tout prix la démocratie, sans tenir compte de l’hétérogénéité des États et des facteurs sociologiques structurels des pays.
Malgré la réticence européenne, le projet GMEI fut l'un des sujets majeurs du sommet de l’Otan à Istanbul en 2004 et le Premier ministre turc M. Erdogan se revendiqua plus tard comme "l'un des co-présidents de GMEI”. Il ne faut pas oublier non plus que M. Erdogan et le Premier ministre espagnol Jose Luis Zapatero partagent l’initiative et la présidence de L’Alliance des civilisations depuis 2007, qui évoque de près, les mêmes desseins que le partenariat Grand Moyen Orient.
DES PRÉVISIONS CONTREDITES
Pourquoi les révoltes actuelles seraient-elles les effets secondaires, donc non désirables du projet GMEI ?
Les analystes turcs de tous les bords se rejoignent pour souligner que les révoltes sont parties de là où elles n’étaient pas prévues. Au lieu des peuples d’Iran ou du Pakistan, ce sont les Tunisiens qui ont mis le feu au poudre et l’Égypte est bien le dernier pays que le projet GMEI, tout autant que l’OTAN, aimerait voir pris dans la tourmente.
Rien ne permet d’affirmer que l’Égypte ne sombre dans une crise d’autorité et ou que les Frères musulmans, la seule opposition politique vraiment structurée du pays, ne soient les gagnants de la tourmente.
Autant l’Iran semble mûr pour qu’une révolte populaire puisse aboutir à une démocratie, à moyen terme, autant une démocratie égyptienne est plus qu’improbable et l’avenir du pays, hautement incertain.
Le projet Grand Moyen Orient prévoyait que l’Egypte s'impose comme la clé essentielle à la stabilité de la région et la sécurité d’Israël.
De la prévision à l’application, c’est le contraire qui se réalise.
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