Bienvenue à nos frères marocains. Les algériens doivent être solidaires.
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Devant l'éternelle indifférence des autorités, les habitants de Bouarfa menacent d'une migration collective en Algérie. Dans une région marginalisée depuis l'Indépendance, les citoyens sont disposés à utiliser tous les moyens pour se faire entendre et rétablir une dignité bafouée.
« Maghrib smih fina, Bouteflika yawina » (le Maroc nous a laissé tomber, Bouteflika nous hébergera), « Al Maghrib jawaâna, Bouteflika chabaâna » (le Maroc nous affame, Bouteflika nous nourrit), « Sahrawa rakitohom, mouwatinin hamachtouhoum » (les Sahraouis promus, les citoyens marginalisés), ces slogans ont été répétés par une foule déchaînée, la matinée du lundi 12 septembre. Motif : les habitants de Bouarfa croulent sous la misère, n'ont pas de travail et peinent même à trouver de quoi manger. Les manifestants, près de 2000, viennent en majorité des douars Lekhiam et Aïn Zergua et du quartier populaire de Touba. Dans ces lieux sinistrés, des familles vivent carrément dans des grottes. Les enfants ne vont pas à l'école. Et le taux de chômage frôle les 100 %. Les jeunes se débrouillent comme ils peuvent en vendant des cigarettes au détail. Ils proposent leurs services comme porteurs dans la très peu fréquentée gare routière de la ville. Sinon, la population locale attend les rares programmes de l'entraide nationale, communément appelé « Kenza » et qui consiste en douze jours de travail pour un revenu de 540 DH. Et c'est bien à cause de promesses de travail non tenues par la préfecture que la colère des Bouarfaouis a explosé. « Ils ont pris nos cartes d'identité nationale et le délégué de l'entraide nationale nous a personnellement promis du travail pour le lundi. Arrivés sur place, on a appris que ces promesses n'étaient en fait que des paroles en l'air », fustige Mohamed, quarante ans, père de cinq enfants.
Offensés et humiliés
De la préfecture, la masse des manifestants fera le tour des quartiers de la ville. Les slogans sont durs envers le Maroc et son gouvernement. « Baraka men tahmich, baraka min hogra » (arrêtez de nous marginaliser et de nous humilier) scandent-ils en chœur. L'ambiance est tendue. Vers le coup de 13h00, une bonne partie des protestataires a pris la direction… de l'Algérie. Femmes, hommes et enfants, un millier environ, accompagnés par des jeunes, des licenciés chômeurs en sit-in depuis 3 mois. Ils vont parcourir une distance de 17 km avant de s'arrêter à l'endroit « Defla » pour passer la nuit avant de poursuivre la route le lendemain. Vers 20h00, les manifestants vont êtres rattrapés par le pacha de la ville, le secrétaire général de la préfecture, le parlementaire de Bouarfa ainsi que les éléments de la gendarmerie, de la police et des forces auxiliaires. Après avoir reçu des promesses de travail, les manifestants seront embarqués dans des camions. Le lendemain, 500 jeunes bénéficient d'une « kenza » et le gouverneur de la province d'Errachidia est dépêché, sur ordre de Rabat, pour des consultations avec les différents acteurs de la ville. Pourtant, les habitants de la ville continuent à manifester au quotidien devant le siège de la préfecture. Les programmes de la « Kenza », jugés par les acteurs de la société civile comme des non-solutions ne suffisent pas. Une fois la douzaine de jours terminée, le bénéficiaire se retrouve encore une fois au chômage. Ailleurs dans la province, même scénario. Le 15 septembre, des protestations éclatent dans le village Ich, situé à 300 mètres de la frontière algérienne pour des problèmes d'électrification. A Figuig, six kilomètres de la ville algérienne de Beni Ounif, la population manifeste pour l'amélioration des conditions économiques. Durant les trois derniers mois, le secteur public a vécu une série de grèves initiée par la CDT. En tout 35 jours d'arrêt de travail dans toute la province pour régler la situation des fonctionnaires des communes et collectivités locales. Et la rentrée scolaire n'a pas encore commencé ! « Les prochaines manifestations seront encore plus spectaculaires. L'Etat doit arrêter de nous mentir et trouver des solutions pour la province avant qu'il ne soit trop tard. C'est de l'humiliation que de vivre dans des grottes », fustige M. Boudiya Mustapha, président de l'association locale des diplômés-chômeurs. Avant d'ajouter : « Les responsables que l'Etat nomme dans notre province ne se préoccupent pas du sort de ces milliers de familles. Cela doit s'arrêter ».
La tribu « traîtresse »
Mais est derrière cette recrudescence de la grogne populaire dans cette province de l'Est ? Dans ce territoire de 56.000 km2, les autorités marocaines ne jouissent pas d'une grande estime. Les habitants leur reprochent leur absence au niveau des frontières. Ils se rappellent avec amertume l'affaire des trois Marocains tués par des inconnus et dont les corps ont été jetés de l'autre côté de la frontière. « Aucune enquête n'a été réalisée pour mettre la main sur les commanditaires de ce crime », déplore un habitant de la ville. La rumeur publique parle d'extrémistes algériens qui seraient à l'origine de ce triple meurtre. « Ils occupent les montagnes marocaines de Grouz et ne sont pas du tout inquiétés par les gendarmes. Les Algériens n'arrêtent pas davancer un peu plus dans notre territoire », ajoute-t-on. On parle également de confiscation de troupeaux par des soldats algériens dans la région de Tamezara. Mais, l'évènement déclencheur de cette « algéromanie »est la migration vers l'Algérie, ramadan dernier, de 53 citoyens marocains. Ces nomades (7 familles en tout) qui font partie de la tribu Laâmour ont abandonné leurs tentes et se sont installés dans les terres algériennes. Ils ont été hébergés dans des tentes du croissant rouge algérien, ont reçu soins et nourriture avant de se voir octroyer la nationalité algérienne. « Les conditions de vie de la plupart des nomades sont très dures. La sécheresse a exposé ces populations à la famine. La seule issue pour ces familles a été la migration d'autant plus que des membres de cette tribu se trouvent de l'autre côté de la frontière », informe ce membre de l'AMDH. Cet événement a provoqué un tollé dans le Royaume, mais a eu un tout autre effet dans cette province de l'Est. Les autorités provinciales sur ordre de Rabat, vont alors promettre monts et merveilles à la population locale. La montagne accouchera d'une souris. L'aide provinciale consistant en 3000 matelas, vêtements et nourriture, sera finalement distribuée aux habitants de Bouarfa. « La distribution des vivres a été faite de manière injuste. Ce sont les moqadems et les chioukhs qui ont procédé à cette opération avec son lot de clientélisme », explique M. Kebbouri, président de la section locale de l'AMDH. En réaction, une foule de 300 citoyens organisera la première marche vers l'Algérie. Ils seront reçus par des responsables provinciaux qui leur promettent de construire des maisons pour les habitants des douars et la mise en application de plusieurs projets ainsi que d'autres programmes d'entraide nationale. Ce qui n'a vraisemblablement pas eu lieu. « Se diriger vers l'Algérie est loin d'être une solution. Nous devons nous battre pour nos droits à l'intérieur de notre pays. Mais, comme nos doléances ne sont pas entendues, la population en a marre. Elle se sent oubliée, humiliée. Un Etat qui se respecte doit garantir à ses citoyens les moyens de subsister. Les habitants de Bouarfa ont tout simplement trouvé un moyen de pression en choisissant la carte de la migration en Algérie », analyse Nouredine Arabchi, de l'association de lutte contre la pauvreté. « Neuf années de sécheresse ont mis à genoux les nomades de la province de Figuig-Bouarfa. Ils ont perdu leur troupeau, leur seule source de revenu. En vagues successives, ces familles ont élu domicile dans la banlieue de la ville de Bouarfa, espérant une vie meilleure », explique le responsable de la section locale de l'AMDH.
Marginalisée depuis cinquante ans
Peine perdue. Car Bouarfa est économiquement, une ville morte. Créée en 1923 par les Français après la découverte de plusieurs minerais dans la région, Bouarfa agonise depuis la fermeture, fin des années 60, des deux plus grandes mines de cuivre et de magnésium. En 1973, Figuig va vivre une répression sanglante. Et Bouarfa est propulsée au statut de chef-lieu de la province avec la création en 1974 de la préfecture. Des bâtiments voient le jour, mais l'activité économique est quasi-absente. Le secteur privé n'existe pas. « Dans les quelques mines encore en activité, les ouvriers travaillent dans des conditions dignes des romans de Zola. Par exemple, dans les mines de plomb de Boudhar, les hommes sont payés 30 dirhams par jour pour douze heures de travail quotidien. Moitié prix, pour les femmes », s'indigne Kebbouri Seddik. M. Zahredine Tabi, directeur de publication du régional Al Hadath Charki a sa propre version des faits : « La province de Figuig souffre d'une corruption rampante. Les budgets alloués pour des projets de développement sont dilapidés. Une poignée d'investisseurs locaux graissent la patte des responsables pour s'accaparer des marchés au profit des intérêts des citoyens de la province. Une véritable dilapidation des biens publics ». Sur la route menant d'Oujda à la ville de Bouarfa, les barrages de la gendarmerie et de la police sont légion. Même topo dans toute la province de Figuig. Une approche sécuritaire qui ne plaît pas aux habitants de la province. Et qui ne peut surtout pas supplanter une véritable politique de développement humain dans cette partie oubliée de notre Royaume.
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Devant l'éternelle indifférence des autorités, les habitants de Bouarfa menacent d'une migration collective en Algérie. Dans une région marginalisée depuis l'Indépendance, les citoyens sont disposés à utiliser tous les moyens pour se faire entendre et rétablir une dignité bafouée.
« Maghrib smih fina, Bouteflika yawina » (le Maroc nous a laissé tomber, Bouteflika nous hébergera), « Al Maghrib jawaâna, Bouteflika chabaâna » (le Maroc nous affame, Bouteflika nous nourrit), « Sahrawa rakitohom, mouwatinin hamachtouhoum » (les Sahraouis promus, les citoyens marginalisés), ces slogans ont été répétés par une foule déchaînée, la matinée du lundi 12 septembre. Motif : les habitants de Bouarfa croulent sous la misère, n'ont pas de travail et peinent même à trouver de quoi manger. Les manifestants, près de 2000, viennent en majorité des douars Lekhiam et Aïn Zergua et du quartier populaire de Touba. Dans ces lieux sinistrés, des familles vivent carrément dans des grottes. Les enfants ne vont pas à l'école. Et le taux de chômage frôle les 100 %. Les jeunes se débrouillent comme ils peuvent en vendant des cigarettes au détail. Ils proposent leurs services comme porteurs dans la très peu fréquentée gare routière de la ville. Sinon, la population locale attend les rares programmes de l'entraide nationale, communément appelé « Kenza » et qui consiste en douze jours de travail pour un revenu de 540 DH. Et c'est bien à cause de promesses de travail non tenues par la préfecture que la colère des Bouarfaouis a explosé. « Ils ont pris nos cartes d'identité nationale et le délégué de l'entraide nationale nous a personnellement promis du travail pour le lundi. Arrivés sur place, on a appris que ces promesses n'étaient en fait que des paroles en l'air », fustige Mohamed, quarante ans, père de cinq enfants.
Offensés et humiliés
De la préfecture, la masse des manifestants fera le tour des quartiers de la ville. Les slogans sont durs envers le Maroc et son gouvernement. « Baraka men tahmich, baraka min hogra » (arrêtez de nous marginaliser et de nous humilier) scandent-ils en chœur. L'ambiance est tendue. Vers le coup de 13h00, une bonne partie des protestataires a pris la direction… de l'Algérie. Femmes, hommes et enfants, un millier environ, accompagnés par des jeunes, des licenciés chômeurs en sit-in depuis 3 mois. Ils vont parcourir une distance de 17 km avant de s'arrêter à l'endroit « Defla » pour passer la nuit avant de poursuivre la route le lendemain. Vers 20h00, les manifestants vont êtres rattrapés par le pacha de la ville, le secrétaire général de la préfecture, le parlementaire de Bouarfa ainsi que les éléments de la gendarmerie, de la police et des forces auxiliaires. Après avoir reçu des promesses de travail, les manifestants seront embarqués dans des camions. Le lendemain, 500 jeunes bénéficient d'une « kenza » et le gouverneur de la province d'Errachidia est dépêché, sur ordre de Rabat, pour des consultations avec les différents acteurs de la ville. Pourtant, les habitants de la ville continuent à manifester au quotidien devant le siège de la préfecture. Les programmes de la « Kenza », jugés par les acteurs de la société civile comme des non-solutions ne suffisent pas. Une fois la douzaine de jours terminée, le bénéficiaire se retrouve encore une fois au chômage. Ailleurs dans la province, même scénario. Le 15 septembre, des protestations éclatent dans le village Ich, situé à 300 mètres de la frontière algérienne pour des problèmes d'électrification. A Figuig, six kilomètres de la ville algérienne de Beni Ounif, la population manifeste pour l'amélioration des conditions économiques. Durant les trois derniers mois, le secteur public a vécu une série de grèves initiée par la CDT. En tout 35 jours d'arrêt de travail dans toute la province pour régler la situation des fonctionnaires des communes et collectivités locales. Et la rentrée scolaire n'a pas encore commencé ! « Les prochaines manifestations seront encore plus spectaculaires. L'Etat doit arrêter de nous mentir et trouver des solutions pour la province avant qu'il ne soit trop tard. C'est de l'humiliation que de vivre dans des grottes », fustige M. Boudiya Mustapha, président de l'association locale des diplômés-chômeurs. Avant d'ajouter : « Les responsables que l'Etat nomme dans notre province ne se préoccupent pas du sort de ces milliers de familles. Cela doit s'arrêter ».
La tribu « traîtresse »
Mais est derrière cette recrudescence de la grogne populaire dans cette province de l'Est ? Dans ce territoire de 56.000 km2, les autorités marocaines ne jouissent pas d'une grande estime. Les habitants leur reprochent leur absence au niveau des frontières. Ils se rappellent avec amertume l'affaire des trois Marocains tués par des inconnus et dont les corps ont été jetés de l'autre côté de la frontière. « Aucune enquête n'a été réalisée pour mettre la main sur les commanditaires de ce crime », déplore un habitant de la ville. La rumeur publique parle d'extrémistes algériens qui seraient à l'origine de ce triple meurtre. « Ils occupent les montagnes marocaines de Grouz et ne sont pas du tout inquiétés par les gendarmes. Les Algériens n'arrêtent pas davancer un peu plus dans notre territoire », ajoute-t-on. On parle également de confiscation de troupeaux par des soldats algériens dans la région de Tamezara. Mais, l'évènement déclencheur de cette « algéromanie »est la migration vers l'Algérie, ramadan dernier, de 53 citoyens marocains. Ces nomades (7 familles en tout) qui font partie de la tribu Laâmour ont abandonné leurs tentes et se sont installés dans les terres algériennes. Ils ont été hébergés dans des tentes du croissant rouge algérien, ont reçu soins et nourriture avant de se voir octroyer la nationalité algérienne. « Les conditions de vie de la plupart des nomades sont très dures. La sécheresse a exposé ces populations à la famine. La seule issue pour ces familles a été la migration d'autant plus que des membres de cette tribu se trouvent de l'autre côté de la frontière », informe ce membre de l'AMDH. Cet événement a provoqué un tollé dans le Royaume, mais a eu un tout autre effet dans cette province de l'Est. Les autorités provinciales sur ordre de Rabat, vont alors promettre monts et merveilles à la population locale. La montagne accouchera d'une souris. L'aide provinciale consistant en 3000 matelas, vêtements et nourriture, sera finalement distribuée aux habitants de Bouarfa. « La distribution des vivres a été faite de manière injuste. Ce sont les moqadems et les chioukhs qui ont procédé à cette opération avec son lot de clientélisme », explique M. Kebbouri, président de la section locale de l'AMDH. En réaction, une foule de 300 citoyens organisera la première marche vers l'Algérie. Ils seront reçus par des responsables provinciaux qui leur promettent de construire des maisons pour les habitants des douars et la mise en application de plusieurs projets ainsi que d'autres programmes d'entraide nationale. Ce qui n'a vraisemblablement pas eu lieu. « Se diriger vers l'Algérie est loin d'être une solution. Nous devons nous battre pour nos droits à l'intérieur de notre pays. Mais, comme nos doléances ne sont pas entendues, la population en a marre. Elle se sent oubliée, humiliée. Un Etat qui se respecte doit garantir à ses citoyens les moyens de subsister. Les habitants de Bouarfa ont tout simplement trouvé un moyen de pression en choisissant la carte de la migration en Algérie », analyse Nouredine Arabchi, de l'association de lutte contre la pauvreté. « Neuf années de sécheresse ont mis à genoux les nomades de la province de Figuig-Bouarfa. Ils ont perdu leur troupeau, leur seule source de revenu. En vagues successives, ces familles ont élu domicile dans la banlieue de la ville de Bouarfa, espérant une vie meilleure », explique le responsable de la section locale de l'AMDH.
Marginalisée depuis cinquante ans
Peine perdue. Car Bouarfa est économiquement, une ville morte. Créée en 1923 par les Français après la découverte de plusieurs minerais dans la région, Bouarfa agonise depuis la fermeture, fin des années 60, des deux plus grandes mines de cuivre et de magnésium. En 1973, Figuig va vivre une répression sanglante. Et Bouarfa est propulsée au statut de chef-lieu de la province avec la création en 1974 de la préfecture. Des bâtiments voient le jour, mais l'activité économique est quasi-absente. Le secteur privé n'existe pas. « Dans les quelques mines encore en activité, les ouvriers travaillent dans des conditions dignes des romans de Zola. Par exemple, dans les mines de plomb de Boudhar, les hommes sont payés 30 dirhams par jour pour douze heures de travail quotidien. Moitié prix, pour les femmes », s'indigne Kebbouri Seddik. M. Zahredine Tabi, directeur de publication du régional Al Hadath Charki a sa propre version des faits : « La province de Figuig souffre d'une corruption rampante. Les budgets alloués pour des projets de développement sont dilapidés. Une poignée d'investisseurs locaux graissent la patte des responsables pour s'accaparer des marchés au profit des intérêts des citoyens de la province. Une véritable dilapidation des biens publics ». Sur la route menant d'Oujda à la ville de Bouarfa, les barrages de la gendarmerie et de la police sont légion. Même topo dans toute la province de Figuig. Une approche sécuritaire qui ne plaît pas aux habitants de la province. Et qui ne peut surtout pas supplanter une véritable politique de développement humain dans cette partie oubliée de notre Royaume.
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