Ils chantent la révolte du Rif, banni et marginalisé par Rabat. Ils ont subi l'exil et se sont imposés de la diaspora. Aujourd'hui, alors que le Maroc se réconcilie avec ses Imazighen, les Thidrin redeviennent fréquentables et nous permettent de découvrir la poésie révolutionnaire des fils d'Abdelkrim.
Graham Nash chante “prison song”. Une atmosphère de vacances d'été accentue cette impression de farniente qui emplit l'air. Dans ce café populaire de Chaouen, quelques touristes désargentés, rendus groggy par des joints fumés à répétition, digèrent la soupe de fève dégustée le
matin. Sans transition, le cafetier change de CD. Pour nous autres clients, les paroles qui fusent de la sono, c'est du chinois. Pas pour le cafetier qui est tout fier de nous épater : “vous ne connaissez pas le groupe Thidrin ? C'est notre mascotte à nous, vous avez vos chanteurs, on a les nôtres, je suis désolé pour ceux qui ne comprennent pas le rifain !”. “On a beau dire mais les temps ont bien changé. Avant, sous Hassan II, une chanson pareille vous aurait valu la prison” ajoute d'un ton malicieux le quinquagénaire qui se réclame d'une vague descendance de Abdelkrim Khattabi. Le CD “Muh'and Ameqran” qu'il brandit fièrement est d'ailleurs un hommage vivant à Abdelkrim, le héros de la guerre du Rif.
“Une composition accouchée d'ailleurs par le groupe dans l'exil quelques mois après les émeutes du Rif de 1984 et la répression qui s'est abattue sur la région. A l'époque, le groupe, traqué, menacé, avait décidé de quitter Al Hoceima pour s'exiler aux Pays-Bas”, explique notre mélomane. Il baisse la voix pour rappeler qu'à partir d'Amsderdam, les chanteurs engagés continuent à raviver le souvenir “Qui peut vous oublier, vous qui êtes morts sous les balles du Makhzen ?”, “jusqu'où ?”, “Tamazight” pour qu'on n'oublie pas ces jeunes Rifains tombés sous les balles dans les révoltes qui ont embrasé tout le nord du pays en 1984.
La saga d'un groupe révolutionnaire
La saga du groupe remonte ainsi aux années 80. “Durant trois décennies, plus de 20 cassettes de ce groupe légendaire ont circulé sous le manteau. Les membres de Thidrin, sages mais révoltés dans un Rif rebelle, ont toujours vécu avec le spectre de la prison qui planait sur eux. La chanson était pour ces épris de liberté et de justice, le seul moyen d'expression sur la situation du Rif à une époque marquée par la répression” rappelle l'écrivain amazigh Lhoussaïn Azergui. A l'époque, leurs cassettes circulaient sous le manteau et atteignaient les villages les plus reculés du Rif. Ils chantaient, “un pied sur scène, un autre en prison” confie Hassan à Izergui.
À l'origine de cette belle et douloureuse expérience, deux compères, Hassan Thidrin et Walid Mimoun, décident, après avoir fait cavaliers seuls pendant longtemps, de mettre leur patrimoine musical en commun en créant le groupe Thidrin. La réputation des deux chanteurs est déjà faite. Leurs chansons éditées dans la clandestinité sont interdites : chanter l'injustice, la misère, la haine vouée au Rif par le Makhzen leur vaut bien des déboires. En effet, à la veille des émeutes du pain de 1981, Walid, qui n'a pas encore contracté son union avec Hassan Thidrin, édite son premier album Ajjaj (tonnerre) dont la popularité ne se fait pas attendre. La rançon du succès est immédiate. Le chanteur qui poursuivait ses études au sein du département de philosophie de l'université de Fès est arrêté “pour participation à une manifestation non autorisée” puis expulsé de l'université. Après une dure traversée du désert, il plie mais ne cède pas. En 1986, Walid Mimoun, encore lui, revient avec un nouveau succès Ametluâ (le vagabond). Entre cet album et Tayyut (la brume), dix années vont s'écouler. Contraint de fuir le Maroc, harcelé, il s'exile aux Pays-Bas en 1991 puis en Belgique où il rencontre ses compères dont deux Néerlandais, qui vont définitivement sceller l'union du fameux groupe.
Entre-temps, Hassan, l'alter ego du groupe, est largué. Alors que son double a été contraint de quitter le pays, lui s'est résolu à rester au bercail. Toujours reconnu comme le père spirituel de Thidrin, Hassan n'a rien perdu de sa verve malgré la maladie et le dénuement qui le frappent dans le village montagnard des Aït Bouâayach. “Interdits de parole, nous chantons l'identité berbère, l'émancipation de la femme, le désespoir d'une jeunesse étouffée et privée de son identité sans oublier la douleur de l'exil”, raconte-t-il. Nostalgique, le fondateur des Nass Ghiwane du Rif s'enorgueillit d'avoir donné du fil à retordre au Makhzen. C'est bien son ton et son engagement qui ont fait de lui l'icône d'un Rif incapable de panser ses blessures existentielles et identitaires.
Graham Nash chante “prison song”. Une atmosphère de vacances d'été accentue cette impression de farniente qui emplit l'air. Dans ce café populaire de Chaouen, quelques touristes désargentés, rendus groggy par des joints fumés à répétition, digèrent la soupe de fève dégustée le
matin. Sans transition, le cafetier change de CD. Pour nous autres clients, les paroles qui fusent de la sono, c'est du chinois. Pas pour le cafetier qui est tout fier de nous épater : “vous ne connaissez pas le groupe Thidrin ? C'est notre mascotte à nous, vous avez vos chanteurs, on a les nôtres, je suis désolé pour ceux qui ne comprennent pas le rifain !”. “On a beau dire mais les temps ont bien changé. Avant, sous Hassan II, une chanson pareille vous aurait valu la prison” ajoute d'un ton malicieux le quinquagénaire qui se réclame d'une vague descendance de Abdelkrim Khattabi. Le CD “Muh'and Ameqran” qu'il brandit fièrement est d'ailleurs un hommage vivant à Abdelkrim, le héros de la guerre du Rif.
“Une composition accouchée d'ailleurs par le groupe dans l'exil quelques mois après les émeutes du Rif de 1984 et la répression qui s'est abattue sur la région. A l'époque, le groupe, traqué, menacé, avait décidé de quitter Al Hoceima pour s'exiler aux Pays-Bas”, explique notre mélomane. Il baisse la voix pour rappeler qu'à partir d'Amsderdam, les chanteurs engagés continuent à raviver le souvenir “Qui peut vous oublier, vous qui êtes morts sous les balles du Makhzen ?”, “jusqu'où ?”, “Tamazight” pour qu'on n'oublie pas ces jeunes Rifains tombés sous les balles dans les révoltes qui ont embrasé tout le nord du pays en 1984.
La saga d'un groupe révolutionnaire
La saga du groupe remonte ainsi aux années 80. “Durant trois décennies, plus de 20 cassettes de ce groupe légendaire ont circulé sous le manteau. Les membres de Thidrin, sages mais révoltés dans un Rif rebelle, ont toujours vécu avec le spectre de la prison qui planait sur eux. La chanson était pour ces épris de liberté et de justice, le seul moyen d'expression sur la situation du Rif à une époque marquée par la répression” rappelle l'écrivain amazigh Lhoussaïn Azergui. A l'époque, leurs cassettes circulaient sous le manteau et atteignaient les villages les plus reculés du Rif. Ils chantaient, “un pied sur scène, un autre en prison” confie Hassan à Izergui.
À l'origine de cette belle et douloureuse expérience, deux compères, Hassan Thidrin et Walid Mimoun, décident, après avoir fait cavaliers seuls pendant longtemps, de mettre leur patrimoine musical en commun en créant le groupe Thidrin. La réputation des deux chanteurs est déjà faite. Leurs chansons éditées dans la clandestinité sont interdites : chanter l'injustice, la misère, la haine vouée au Rif par le Makhzen leur vaut bien des déboires. En effet, à la veille des émeutes du pain de 1981, Walid, qui n'a pas encore contracté son union avec Hassan Thidrin, édite son premier album Ajjaj (tonnerre) dont la popularité ne se fait pas attendre. La rançon du succès est immédiate. Le chanteur qui poursuivait ses études au sein du département de philosophie de l'université de Fès est arrêté “pour participation à une manifestation non autorisée” puis expulsé de l'université. Après une dure traversée du désert, il plie mais ne cède pas. En 1986, Walid Mimoun, encore lui, revient avec un nouveau succès Ametluâ (le vagabond). Entre cet album et Tayyut (la brume), dix années vont s'écouler. Contraint de fuir le Maroc, harcelé, il s'exile aux Pays-Bas en 1991 puis en Belgique où il rencontre ses compères dont deux Néerlandais, qui vont définitivement sceller l'union du fameux groupe.
Entre-temps, Hassan, l'alter ego du groupe, est largué. Alors que son double a été contraint de quitter le pays, lui s'est résolu à rester au bercail. Toujours reconnu comme le père spirituel de Thidrin, Hassan n'a rien perdu de sa verve malgré la maladie et le dénuement qui le frappent dans le village montagnard des Aït Bouâayach. “Interdits de parole, nous chantons l'identité berbère, l'émancipation de la femme, le désespoir d'une jeunesse étouffée et privée de son identité sans oublier la douleur de l'exil”, raconte-t-il. Nostalgique, le fondateur des Nass Ghiwane du Rif s'enorgueillit d'avoir donné du fil à retordre au Makhzen. C'est bien son ton et son engagement qui ont fait de lui l'icône d'un Rif incapable de panser ses blessures existentielles et identitaires.
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