Par Jean-Sylvestre Mongrenier*
Perspectives géopolitiques des Touaregs
nouvelles de france
vendredi 1er juin 2012
L’offensive de printemps du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et de ses alliés, les islamistes d’Ansar Dine, a permis la conquête du Nord-Mali en quelques jours. Le 6 avril 2012, l’indépendance de l’Azawad était proclamée. Si les revendications des Touaregs s’inscrivent dans la longue durée, elles ne sauraient occulter les inquiétants problèmes géopolitiques de la région. Du point de vue des puissances occidentales, la priorité stratégique est la lutte contre le terrorisme et l’endiguement des logiques de chaos. De fait, le scénario d’une « afghanisation » du Sahara et d’une convergence des lignes dramaturgiques ne doit pas être négligé. Sur un plan plus général, la dislocation du Mali signifie la fin de l’ordre post-colonial en Afrique, alors même que les révoltes et séditions du Grand Moyen-Orient vont déjà en ce sens. « Ce qui sauve, c’est de faire un pas. Encore un pas. C’est toujours le même pas que l’on recommence. » Antoine de Saint Saint-Exupéry, Terre des Hommes
Au printemps 2012, l’offensive du Mouvement national de libération de l’Azawad (le MNLA) et de ses alliés, les islamistes d’Ansar Dine, aura permis la conquête du Nord-Mali en quelques jours. Le 6 avril, le MNLA pouvait proclamer la constitution de « l’État indépendant de l’Azawad ». Cette nouvelle donne dans l’espace sahélo-saharien n’est certainement pas réductible aux effets pervers entraînés par la chute de Kadhafi et le retour au Mali de mercenaires touaregs, après le pillage des arsenaux libyens. La visée doit être plus large. De fait, la revendication d’indépendance des Touaregs, un peuple aux racines historiques anciennes, s’inscrit dans la longue durée. Pour autant, la légitimité que l’Histoire confère au mouvement touareg ne saurait occulter les inquiétantes problématiques géopolitiques qui bousculent les grilles de lecture d’antan : le romantisme des « sables chauds » n’est point de mise.
Des racines longues-vivantes
La question touarègue renvoie à celle des Berbères et au peuplement originel de l’Afrique du Nord dont le peuple touareg constitue une extension nomadisante dans l’espace sahélo-saharien. Du reste, les Berbères ont eux-mêmes de lointaines origines nomades. Ils sont en partie les descendants des Gétules de la proto-histoire – l’existence de ce peuple est évoquée par des textes égyptiens du XIVe siècle avant Jésus-Christ -, l’origine de ce groupement ethnique remontant au IIIe Millénaire. Issus des oasis sahariennes, les Gétules sont des cavaliers et pasteurs se déplaçant vers le nord au fur et à mesure de la désertification. Ils fournissent ensuite des mercenaires aux Carthaginois, et ce dès la première « guerre punique » (264-241 av. J.-C.), puis des auxiliaires à Rome lors de la « guerre de Jugurtha » (111-105 av. J.-C.), avant d’être sédentarisés. Les peuples berbères apparaissent aussi sous d’autres noms dans l’Antiquité – Hérodote mentionne dans son « Enquête » les Garamantes -, et ce sont les Romains qui les qualifient de « Barbares », un terme à l’origine de leur appellation générique. Les Berbères revendiquent aujourd’hui leur dénomination propre, celle d’Imazighen, le terme signifiant « Hommes libres ». Les Touaregs sont donc les descendants de peuples libyco-berbères se repliant depuis le nord de l’Afrique par vagues successives. La dernier mouvement d’ensemble est intervenu il y a un millier d’années, lors des ultimes phases de l’arabisation-islamisation du Maghreb. Ils forment de lâches confédérations de clans et sous-clans dans le Sahara et ses prolongements sahéliens, soit un immense espace entre les « Arabes » (très souvent des Berbères arabisés, en fait) au nord et les populations du Soudan (le « pays des Noirs ») au sud, les Maures à l’ouest et les Toubous à l’est. Ce peuple possède une langue, le tamasheq, ainsi qu’une écriture, le tifinagh. Les Touaregs sont à l’origine de Tombouctou, au nord-ouest de la grande boucle du fleuve Niger, une ville fondée au XIe siècle. Ce comptoir marchand et esclavagiste est alors le point de départ des caravanes qui relient l’Afrique noire au Maghreb et constitue donc une étape essentielle des routes médiévales de l’or. Sila vielle de Tombouctou est un temps incorporée dans l’empire Songhaï (une entité politique centrée sur Gao et des populations de langue nilo-saharienne), puis dans la sphère de domination de « pachas » marocains, elle repasse ensuite sous le contrôle des Touaregs jusqu’à ce que les Français, en 1893, ne s’en emparent.
Une question géopolitique en suspens
C’est depuis l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest que les troupes françaises progressent au Sahara, non sans rivalités de corps et d’ambitions entre la cavalerie d’une part, l’infanterie de marine d’autre part. Un certain temps, les Touaregs bloquent l’accès au Sahara central et la Mission Flatters, en 1881, est anéantie par les Touaregs de l’Ahaggar, dans la région de Tamanrasset. Entre 1898 et 1900, la Mission Foureau-Lamy parvient à réaliser la jonction entre le Tchad et l’Algérie mais c’est vers 1905 que les Touaregs reconnaissent, plus ou moins, la souveraineté française sur le Sahara. Encore les soulèvements sont-ils réguliers, et ce jusqu’au coeur de la Première Guerre mondiale (on se souvient de l’assassinat par un Touareg de Charles de Foucauld, en 1916, et du soulèvement de certaines tribus qui a suivi). Du moins l’imperium français sur ce vaste « territoireitinéraire » ne porte-t-il pas atteinte à leur mode de vie ancestral. La perspective de la décolonisation est autrement plus inquiétante. Aussi les chefs coutumiers touaregs de la boucle du Niger adressent-ils une « supplique » au Président français, le 30 septembre 1958, pour que leur spécificité ethno-culturelle soit prise en compte dans la géographie politique post-coloniale.Vainement.
De fait, la décolonisation est menée dans le cadre des frontières administratives héritées de l’Empire. Le processus transforme le Sahara et ses marges, espaces réticulés et fluides, en une aire morcelée entre les divers États post-coloniaux de la zone. Le peuplement touareg – entre deux et trois millions de personnes aujourd’hui –, est écartelé entre l’Algérie et la Libye au nord, le Mali, le Niger et le Burkina-Faso au sud. Les axes de transhumance sont coupés et les oppositions de type nomade-sédentaire sont aggravées par des tensions ethno-raciales au Sahel. Bien que les Touaregs se soient pour partie mêlés à leur environnement subsaharien, le clivage Noirs/Blancs et le fait esclavagiste sont très prégnants dans les représentations géopolitiques locales. Dès 1962, le nordest du Mali est en proie à un soulèvement qui s’étend au Niger. La répression est aggravée par la sécheresse des années 1970-1980 et le Sahara algérien voit grossir les camps de réfugiés, non sans inquiétudes à Alger. En 1991, le renversement de Moussa Traoré par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré et le passage à un régime civil laissent espérer l’autonomie du Nord-Mali. En dépit des accords de Tamanrasset, en 1991, le conflit s’amplifie. Un accord de paix est signé à Tombouctou, le 27 mars 1996, mais l’autonomie prévue reste lettre morte quant à l’essentiel. Le népotisme, la corruption et l’impuissance de Bamako ne permettent pas un tel saut. Élu président du Mali en 2002, réélu en 2007, Amadou Toumani Touré se désintéresse de la question et il ne s’engage guère plus dans la lutte contre l’islamisme6.
.......a suivre
Perspectives géopolitiques des Touaregs
nouvelles de france
vendredi 1er juin 2012
L’offensive de printemps du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et de ses alliés, les islamistes d’Ansar Dine, a permis la conquête du Nord-Mali en quelques jours. Le 6 avril 2012, l’indépendance de l’Azawad était proclamée. Si les revendications des Touaregs s’inscrivent dans la longue durée, elles ne sauraient occulter les inquiétants problèmes géopolitiques de la région. Du point de vue des puissances occidentales, la priorité stratégique est la lutte contre le terrorisme et l’endiguement des logiques de chaos. De fait, le scénario d’une « afghanisation » du Sahara et d’une convergence des lignes dramaturgiques ne doit pas être négligé. Sur un plan plus général, la dislocation du Mali signifie la fin de l’ordre post-colonial en Afrique, alors même que les révoltes et séditions du Grand Moyen-Orient vont déjà en ce sens. « Ce qui sauve, c’est de faire un pas. Encore un pas. C’est toujours le même pas que l’on recommence. » Antoine de Saint Saint-Exupéry, Terre des Hommes
Au printemps 2012, l’offensive du Mouvement national de libération de l’Azawad (le MNLA) et de ses alliés, les islamistes d’Ansar Dine, aura permis la conquête du Nord-Mali en quelques jours. Le 6 avril, le MNLA pouvait proclamer la constitution de « l’État indépendant de l’Azawad ». Cette nouvelle donne dans l’espace sahélo-saharien n’est certainement pas réductible aux effets pervers entraînés par la chute de Kadhafi et le retour au Mali de mercenaires touaregs, après le pillage des arsenaux libyens. La visée doit être plus large. De fait, la revendication d’indépendance des Touaregs, un peuple aux racines historiques anciennes, s’inscrit dans la longue durée. Pour autant, la légitimité que l’Histoire confère au mouvement touareg ne saurait occulter les inquiétantes problématiques géopolitiques qui bousculent les grilles de lecture d’antan : le romantisme des « sables chauds » n’est point de mise.
Des racines longues-vivantes
La question touarègue renvoie à celle des Berbères et au peuplement originel de l’Afrique du Nord dont le peuple touareg constitue une extension nomadisante dans l’espace sahélo-saharien. Du reste, les Berbères ont eux-mêmes de lointaines origines nomades. Ils sont en partie les descendants des Gétules de la proto-histoire – l’existence de ce peuple est évoquée par des textes égyptiens du XIVe siècle avant Jésus-Christ -, l’origine de ce groupement ethnique remontant au IIIe Millénaire. Issus des oasis sahariennes, les Gétules sont des cavaliers et pasteurs se déplaçant vers le nord au fur et à mesure de la désertification. Ils fournissent ensuite des mercenaires aux Carthaginois, et ce dès la première « guerre punique » (264-241 av. J.-C.), puis des auxiliaires à Rome lors de la « guerre de Jugurtha » (111-105 av. J.-C.), avant d’être sédentarisés. Les peuples berbères apparaissent aussi sous d’autres noms dans l’Antiquité – Hérodote mentionne dans son « Enquête » les Garamantes -, et ce sont les Romains qui les qualifient de « Barbares », un terme à l’origine de leur appellation générique. Les Berbères revendiquent aujourd’hui leur dénomination propre, celle d’Imazighen, le terme signifiant « Hommes libres ». Les Touaregs sont donc les descendants de peuples libyco-berbères se repliant depuis le nord de l’Afrique par vagues successives. La dernier mouvement d’ensemble est intervenu il y a un millier d’années, lors des ultimes phases de l’arabisation-islamisation du Maghreb. Ils forment de lâches confédérations de clans et sous-clans dans le Sahara et ses prolongements sahéliens, soit un immense espace entre les « Arabes » (très souvent des Berbères arabisés, en fait) au nord et les populations du Soudan (le « pays des Noirs ») au sud, les Maures à l’ouest et les Toubous à l’est. Ce peuple possède une langue, le tamasheq, ainsi qu’une écriture, le tifinagh. Les Touaregs sont à l’origine de Tombouctou, au nord-ouest de la grande boucle du fleuve Niger, une ville fondée au XIe siècle. Ce comptoir marchand et esclavagiste est alors le point de départ des caravanes qui relient l’Afrique noire au Maghreb et constitue donc une étape essentielle des routes médiévales de l’or. Sila vielle de Tombouctou est un temps incorporée dans l’empire Songhaï (une entité politique centrée sur Gao et des populations de langue nilo-saharienne), puis dans la sphère de domination de « pachas » marocains, elle repasse ensuite sous le contrôle des Touaregs jusqu’à ce que les Français, en 1893, ne s’en emparent.
Une question géopolitique en suspens
C’est depuis l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest que les troupes françaises progressent au Sahara, non sans rivalités de corps et d’ambitions entre la cavalerie d’une part, l’infanterie de marine d’autre part. Un certain temps, les Touaregs bloquent l’accès au Sahara central et la Mission Flatters, en 1881, est anéantie par les Touaregs de l’Ahaggar, dans la région de Tamanrasset. Entre 1898 et 1900, la Mission Foureau-Lamy parvient à réaliser la jonction entre le Tchad et l’Algérie mais c’est vers 1905 que les Touaregs reconnaissent, plus ou moins, la souveraineté française sur le Sahara. Encore les soulèvements sont-ils réguliers, et ce jusqu’au coeur de la Première Guerre mondiale (on se souvient de l’assassinat par un Touareg de Charles de Foucauld, en 1916, et du soulèvement de certaines tribus qui a suivi). Du moins l’imperium français sur ce vaste « territoireitinéraire » ne porte-t-il pas atteinte à leur mode de vie ancestral. La perspective de la décolonisation est autrement plus inquiétante. Aussi les chefs coutumiers touaregs de la boucle du Niger adressent-ils une « supplique » au Président français, le 30 septembre 1958, pour que leur spécificité ethno-culturelle soit prise en compte dans la géographie politique post-coloniale.Vainement.
De fait, la décolonisation est menée dans le cadre des frontières administratives héritées de l’Empire. Le processus transforme le Sahara et ses marges, espaces réticulés et fluides, en une aire morcelée entre les divers États post-coloniaux de la zone. Le peuplement touareg – entre deux et trois millions de personnes aujourd’hui –, est écartelé entre l’Algérie et la Libye au nord, le Mali, le Niger et le Burkina-Faso au sud. Les axes de transhumance sont coupés et les oppositions de type nomade-sédentaire sont aggravées par des tensions ethno-raciales au Sahel. Bien que les Touaregs se soient pour partie mêlés à leur environnement subsaharien, le clivage Noirs/Blancs et le fait esclavagiste sont très prégnants dans les représentations géopolitiques locales. Dès 1962, le nordest du Mali est en proie à un soulèvement qui s’étend au Niger. La répression est aggravée par la sécheresse des années 1970-1980 et le Sahara algérien voit grossir les camps de réfugiés, non sans inquiétudes à Alger. En 1991, le renversement de Moussa Traoré par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré et le passage à un régime civil laissent espérer l’autonomie du Nord-Mali. En dépit des accords de Tamanrasset, en 1991, le conflit s’amplifie. Un accord de paix est signé à Tombouctou, le 27 mars 1996, mais l’autonomie prévue reste lettre morte quant à l’essentiel. Le népotisme, la corruption et l’impuissance de Bamako ne permettent pas un tel saut. Élu président du Mali en 2002, réélu en 2007, Amadou Toumani Touré se désintéresse de la question et il ne s’engage guère plus dans la lutte contre l’islamisme6.
.......a suivre
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