Ces Marocains qui fuient la crise en Europe
Douloureux retour au bled
Obligés de rentrer, les immigrés sont confrontés à d’autres défis
Administration, scolarité des enfants, travail… le redéploiement est compliqué
Laissant derrière eux dettes et hypothèques, ils se sentent écrasés par le poids de l’échec
Rachid habite dans les faubourgs de Barcelone. Comme à chaque fois qu’il rentre au bercail, Rachid s’achète un utilitaire à petit prix et entasse ses valises dans le coffre pour une longue route vers Algésiras, d’où il pourra prendre le ferry vers Tanger et ensuite Larache, sa destination finale.
Cette fois-ci, c’est un aller sans retour pour Rachid qui a pris sa décision: il revient pour s’installer définitivement au Maroc. «Il n’y a plus rien à faire en Espagne», regrette-t-il. Le phénomène du retour quasi définitif des Marocains résidant en Espagne est devenu assez fréquent depuis que la crise bat son plein dans le pays ibérique. Difficile cependant d’en évaluer le nombre exact en l’absence de chiffres officiels. Déclarés ou sans papiers, ces MRE sont les premières victimes de la récession économique. Vulnérables, ils ont été les premiers à être sur les listes des chômeurs. Certains parlent de centaines, d’autres de milliers qui auraient fait leurs valises, entassé leur vie dans des cartons et pris le chemin du retour définitif vers le Maroc.
«J’ai passé 20 ans en Espagne, mais un beau jour, je me suis rendu à l’évidence, c’est le moment du retour», explique Chakir qui gérait un restaurant à Cadix, au sud de l’Espagne. Associé avec un autre Marocain qui a décidé, lui, de rester, Chakir a vu la recette moyenne par personne de son restaurant passer de 40 à 15 euros en l’espace de deux ans. «Je ne pouvais plus tenir et les factures commençaient à s’entasser», justifie-t-il. Il est rentré au Maroc et a dû recommencer tout à zéro, l’idée de l’échec ne le quittant plus. Envahis par un sentiment de honte et surtout d’échec, la plupart de ceux qui n’ont eu de choix que de revenir au Maroc sont tellement empreints d’amertume qu’ils refusent l’idée même d’être pris en photo, de peur d’être reconnus par leurs proches ou voisins.
Pourtant, certains d’entre eux avaient complètement réussi leur intégration, mais ont fini par faire faillite. Tel cet entrepreneur dans le bâtiment qui avoue avoir perdu 5 millions d’euros en moins d’une année. «Je travaillais pour divers groupes espagnols dans différents chantiers. L’euphorie du début des années 2000 nous a obnubilés. Peu à peu, les chèques commençaient à revenir impayés et les effets étaient renégociés sans cesse», avoue Brahim. Rentré il y a un an, il a pu se renflouer en montant une petite entreprise dans le bâtiment. Mais il garde tout de même en poche un des nombreux chèques en bois que la banque lui a rendus, histoire de se remémorer une époque révolue. «Certes, le climat d’entrepreneuriat n’est pas idyllique au Maroc et les chèques en bois ne sont pas uniquement une spécialité espagnole, mais avec de la persévérance, on arrive à se faire une place», dit-il.
«La décision du retour est difficile, mais mûrement réfléchie dans mon cas», avoue à son tour Said, qui travaillait dans un magasin d’électroménager. «Devant la chute du chiffre d’affaires, mon patron a décidé de réduire l’effectif l’an dernier», explique-t-il. «J’ai essayé de tenir, mais voyant mes économies fondre comme neige au soleil, j’ai pris la seule décision qui s’imposait, celle de rentrer», continue ce dernier. Said louait un studio avec trois amis à Barcelone. Son départ les a mis dans l’embarras. Ils devront se partager dorénavant le loyer à trois. «L’indemnité de départ ainsi que quelques économies devraient me permettre de me lancer dans le commerce avec mes cousins à Tétouan», explique-t-il, même si l’idée de devoir affronter l’Administration marocaine lui fait quand même peur. Certains de ses amis ont eu moins de chance. «L’un de mes amis n’a rien eu. Son patron espagnol s’est volatilisé dans la nature, laissant derrière lui d’énormes dettes. Pas sûr qu’il récupère ne serait-ce que ses arriérés de salaire», raconte Said.
Une fois la décision prise, le retour au Maroc ne se fait pas sans embûches. Les familles marocaines de MRE avec des enfants doivent aussi gérer la scolarisation de ces derniers, un vrai casse-tête. En effet, difficile d’intégrer l’école marocaine. Quant à l’enseignement espagnol, la mission subit une pression si importante depuis quelques années qu’elle refuse du monde. Autre souci pour ceux qui perçoivent des allocations chômage. «Je devais rentrer en Espagne tous les mois pour les toucher. Depuis quelques mois, on demande à voir mon passeport, histoire de s’assurer que je ne partais pas au Maroc», explique Jamal pour qui c’est la goutte de trop, mais pas au point de provoquer le retour.
C’est que l’idée du retour, si elle reste tentante, n’est pas à la portée de tout le monde. Certains ne peuvent s’y résoudre. Soit à cause des dettes qu’ils ont contractées pour leur départ: études ou émigration clandestine, soit parce qu’ils ne peuvent s’accommoder de l’idée d’un échec. «Pour bon nombre de nos compatriotes, le retour au bled chaque été avec voiture et cadeaux était une fête, un moment d’extase. Revenir de manière définitive, sans le sou, n’est pas une option réjouissante», explique en analyste Yahya qui, lui, a eu la chance de revenir travailler au Maroc pour le compte de son employeur espagnol.
Mais l’écrasante majorité préfère aller vers le Nord. En effet, plutôt que de rentrer au Maroc, c’est vers d’autres pays européens moins frappés par la crise que la majorité des Marocains installés en Espagne se sont dirigés. Le pays de prédilection reste la Belgique suivie de la France et, dans une moindre mesure, l’Allemagne. Mais même ces pays ont commencé à réagir en semant des entraves administratives aux émigrants voulant s’installer chez eux. Même les Marocains ayant la double nationalité, donc citoyens de l’Union européenne, n’y échappent pas, se plaint Chakir qui avait réfléchi à cette option. Depuis, il ne semble pas regretter sa décision de rentrer au Maroc. Avec son diplôme d’ingénieur en industrie navale et une formation en construction de matériaux composites, il veut se lancer dans la construction de petites embarcations en fibre. Il a d’ailleurs d’autres idées de projets basés sur cette technique composite. «Le Maroc a énormément changé ces dernières années avec plein d’opportunités. On va tenter notre chance», conclut Chakir.
Le piège des hypothèques
Le manque de perspectives et le chômage galopant ne rassurent guère chez le voisin du Nord. L’Espagne traverse l’un des épisodes les plus noirs de son histoire avec un taux de chômage qui a frôlé la barre des 21%. Un adulte actif sur cinq est sans emploi, soit un total de près de 5 millions de chômeurs, selon les chiffres officiels. La crise financière fait aussi des ravages au niveau des banques espagnoles. Les répercussions se font sentir directement sur le portefeuille de nombreuses familles via les hypothèques qui ont connu une nette augmentation ces dernières années. Pour de nombreux Marocains ayant acquis un logement, c’est l’un des principaux problèmes. Ce n’est que depuis quelques mois que les banques acceptent de reprendre les clés des maisons pour défaut de paiement.
Ali ABJIOU
léconomiste
Douloureux retour au bled
Obligés de rentrer, les immigrés sont confrontés à d’autres défis
Administration, scolarité des enfants, travail… le redéploiement est compliqué
Laissant derrière eux dettes et hypothèques, ils se sentent écrasés par le poids de l’échec
Rachid habite dans les faubourgs de Barcelone. Comme à chaque fois qu’il rentre au bercail, Rachid s’achète un utilitaire à petit prix et entasse ses valises dans le coffre pour une longue route vers Algésiras, d’où il pourra prendre le ferry vers Tanger et ensuite Larache, sa destination finale.
Cette fois-ci, c’est un aller sans retour pour Rachid qui a pris sa décision: il revient pour s’installer définitivement au Maroc. «Il n’y a plus rien à faire en Espagne», regrette-t-il. Le phénomène du retour quasi définitif des Marocains résidant en Espagne est devenu assez fréquent depuis que la crise bat son plein dans le pays ibérique. Difficile cependant d’en évaluer le nombre exact en l’absence de chiffres officiels. Déclarés ou sans papiers, ces MRE sont les premières victimes de la récession économique. Vulnérables, ils ont été les premiers à être sur les listes des chômeurs. Certains parlent de centaines, d’autres de milliers qui auraient fait leurs valises, entassé leur vie dans des cartons et pris le chemin du retour définitif vers le Maroc.
«J’ai passé 20 ans en Espagne, mais un beau jour, je me suis rendu à l’évidence, c’est le moment du retour», explique Chakir qui gérait un restaurant à Cadix, au sud de l’Espagne. Associé avec un autre Marocain qui a décidé, lui, de rester, Chakir a vu la recette moyenne par personne de son restaurant passer de 40 à 15 euros en l’espace de deux ans. «Je ne pouvais plus tenir et les factures commençaient à s’entasser», justifie-t-il. Il est rentré au Maroc et a dû recommencer tout à zéro, l’idée de l’échec ne le quittant plus. Envahis par un sentiment de honte et surtout d’échec, la plupart de ceux qui n’ont eu de choix que de revenir au Maroc sont tellement empreints d’amertume qu’ils refusent l’idée même d’être pris en photo, de peur d’être reconnus par leurs proches ou voisins.
Pourtant, certains d’entre eux avaient complètement réussi leur intégration, mais ont fini par faire faillite. Tel cet entrepreneur dans le bâtiment qui avoue avoir perdu 5 millions d’euros en moins d’une année. «Je travaillais pour divers groupes espagnols dans différents chantiers. L’euphorie du début des années 2000 nous a obnubilés. Peu à peu, les chèques commençaient à revenir impayés et les effets étaient renégociés sans cesse», avoue Brahim. Rentré il y a un an, il a pu se renflouer en montant une petite entreprise dans le bâtiment. Mais il garde tout de même en poche un des nombreux chèques en bois que la banque lui a rendus, histoire de se remémorer une époque révolue. «Certes, le climat d’entrepreneuriat n’est pas idyllique au Maroc et les chèques en bois ne sont pas uniquement une spécialité espagnole, mais avec de la persévérance, on arrive à se faire une place», dit-il.
«La décision du retour est difficile, mais mûrement réfléchie dans mon cas», avoue à son tour Said, qui travaillait dans un magasin d’électroménager. «Devant la chute du chiffre d’affaires, mon patron a décidé de réduire l’effectif l’an dernier», explique-t-il. «J’ai essayé de tenir, mais voyant mes économies fondre comme neige au soleil, j’ai pris la seule décision qui s’imposait, celle de rentrer», continue ce dernier. Said louait un studio avec trois amis à Barcelone. Son départ les a mis dans l’embarras. Ils devront se partager dorénavant le loyer à trois. «L’indemnité de départ ainsi que quelques économies devraient me permettre de me lancer dans le commerce avec mes cousins à Tétouan», explique-t-il, même si l’idée de devoir affronter l’Administration marocaine lui fait quand même peur. Certains de ses amis ont eu moins de chance. «L’un de mes amis n’a rien eu. Son patron espagnol s’est volatilisé dans la nature, laissant derrière lui d’énormes dettes. Pas sûr qu’il récupère ne serait-ce que ses arriérés de salaire», raconte Said.
Une fois la décision prise, le retour au Maroc ne se fait pas sans embûches. Les familles marocaines de MRE avec des enfants doivent aussi gérer la scolarisation de ces derniers, un vrai casse-tête. En effet, difficile d’intégrer l’école marocaine. Quant à l’enseignement espagnol, la mission subit une pression si importante depuis quelques années qu’elle refuse du monde. Autre souci pour ceux qui perçoivent des allocations chômage. «Je devais rentrer en Espagne tous les mois pour les toucher. Depuis quelques mois, on demande à voir mon passeport, histoire de s’assurer que je ne partais pas au Maroc», explique Jamal pour qui c’est la goutte de trop, mais pas au point de provoquer le retour.
C’est que l’idée du retour, si elle reste tentante, n’est pas à la portée de tout le monde. Certains ne peuvent s’y résoudre. Soit à cause des dettes qu’ils ont contractées pour leur départ: études ou émigration clandestine, soit parce qu’ils ne peuvent s’accommoder de l’idée d’un échec. «Pour bon nombre de nos compatriotes, le retour au bled chaque été avec voiture et cadeaux était une fête, un moment d’extase. Revenir de manière définitive, sans le sou, n’est pas une option réjouissante», explique en analyste Yahya qui, lui, a eu la chance de revenir travailler au Maroc pour le compte de son employeur espagnol.
Mais l’écrasante majorité préfère aller vers le Nord. En effet, plutôt que de rentrer au Maroc, c’est vers d’autres pays européens moins frappés par la crise que la majorité des Marocains installés en Espagne se sont dirigés. Le pays de prédilection reste la Belgique suivie de la France et, dans une moindre mesure, l’Allemagne. Mais même ces pays ont commencé à réagir en semant des entraves administratives aux émigrants voulant s’installer chez eux. Même les Marocains ayant la double nationalité, donc citoyens de l’Union européenne, n’y échappent pas, se plaint Chakir qui avait réfléchi à cette option. Depuis, il ne semble pas regretter sa décision de rentrer au Maroc. Avec son diplôme d’ingénieur en industrie navale et une formation en construction de matériaux composites, il veut se lancer dans la construction de petites embarcations en fibre. Il a d’ailleurs d’autres idées de projets basés sur cette technique composite. «Le Maroc a énormément changé ces dernières années avec plein d’opportunités. On va tenter notre chance», conclut Chakir.
Le piège des hypothèques
Le manque de perspectives et le chômage galopant ne rassurent guère chez le voisin du Nord. L’Espagne traverse l’un des épisodes les plus noirs de son histoire avec un taux de chômage qui a frôlé la barre des 21%. Un adulte actif sur cinq est sans emploi, soit un total de près de 5 millions de chômeurs, selon les chiffres officiels. La crise financière fait aussi des ravages au niveau des banques espagnoles. Les répercussions se font sentir directement sur le portefeuille de nombreuses familles via les hypothèques qui ont connu une nette augmentation ces dernières années. Pour de nombreux Marocains ayant acquis un logement, c’est l’un des principaux problèmes. Ce n’est que depuis quelques mois que les banques acceptent de reprendre les clés des maisons pour défaut de paiement.
Ali ABJIOU
léconomiste
Commentaire