Après Damas, les forces armées syriennes semblent proches de reprendre les quartiers d’Alep tombés aux mains des rebelles. Mais le conflit syrien ne semble pas près de trouver un épilogue, et la liste des victimes civiles s’allonge de jour en jour.
Le régime a-t-il marqué des points au niveau militaire ces derniers jours ? Quels effets auront les multiples défections en son sein ? Bichara Kader, professeur à l’UCL et directeur du Centre d’études et de recherches sur le Monde arabe contemporain, et Francis Balanche, maître de conférences à l’Université de Lyon 2, étaient les invités de Matin première ce jeudi.
Si Damas semble être à présent contrôlée par les forces armées syriennes, le sort d’Alep reste, lui, assez obscur. Le gouvernement syrien affirme avoir repris le contrôle dans l’un des quartiers principaux de la rébellion; une information aussitôt démentie par des combattants sur le terrain.
La violence des combats semble être à la hauteur de l’enjeu stratégique que représente la ville. Mais pour Francis Balanche, il ne fait aucun doute que l’armée syrienne sortira victorieuse de ce bras de fer macabre. "Ça va prendre du temps évidemment. Mais l’armée syrienne est beaucoup mieux équipée beaucoup mieux organisée que les rebelles, qui n’ont pas un commandement unifié. Ce sont des "katibas", des groupes, qui tiennent un quartier, un autre chef qui en a un autre... Il n’y a pas de chaine de commandement."
Les rebelles ne peuvent pas l'emporter
L’infériorité militaire n’est pas le seul handicap des rebelles à Alep. Francis Balanche pointe également l’absence d’adhésion de la part de certains groupes de la ville, comme les Kurdes. Ces derniers, présents surtout au nord de la métropole, représentent 600 000 personnes. "Les rebelles espéraient que les Kurdes se joignent à eux, ce qui aurait donné vraiment un poids supplémentaire à leur offensive; et ça n’a pas été le cas."
Pour ce spécialiste de la région, la rébellion est donc condamnée, en tous cas d’un point de vue immédiat : "Il ne (leur) reste plus qu’à quitter la ville s’ils le peuvent, ou alors à se cacher, à résister. Mais au final, ça fera comme à Damas : l’armée réussira à reprendre les quartiers périphériques d’Alep."
Une communauté alaouite unie par peur des représailles
Le régime en place s’appuie essentiellement sur la communauté alaouite, dont est issue la famille du président. Cette communauté, comme certaines autres minorités, ne semble pas rallier massivement la rébellion, ni le mouvement d’opposition. Au contraire : "on ne voit pas une communauté alaouite qui se désolidarise du pouvoir, mais qui critique en fait la supposée faiblesse de Bachar el-Assad" dans la répression de mouvements dont ils ont peur. D’où le slogan assez explicite "Bachar à la clinique, Maher (le frère du président syrien, supposé plus énergique) à la direction du pays", populaire dans la communauté alaouite.
Cette cohésion derrière les combats de l’armée est logique, explique Francis Balanche. "Les alaouites ont très peur de la revanche des sunnites par rapport à la répression qui a eu lieu ces mois derniers ", et se rappellent le début des années 80, et la révolte des Frères musulmans qui leur a valu d’être les cibles de la colère des sunnites.
Une intervention militaire impossible
Si l’espoir d’une victoire militaire de la rébellion est mince, Bichara Kader estime pour sa part que le régime, lui, semble très ébranlé. Les nombreuses défections, qui ont touché jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir, l’ont affaibli. "J’ai le sentiment que Bachar al-Assad est enfermé dans un déni de la réalité comme s’il vivait dans un cocon, et il n’écoute que les flatteurs autour de lui."
Mais cette faiblesse manifeste ne va certainement pas entrainer une intervention internationale armée, comme en Libye. "La Syrie est une pièce maitresse sur l’échiquier du Proche-Orient", rappelle Bichara Kader.
"C’est un maillon important dans ce qu’on appelle "l’axe chiite" Iran Irak Syrie Hezbollah. Donc (…) à l’intérieur de la Syrie, ce n’est pas seulement l’armée contre la rébellion, mais c’est l’Arabie saoudite contre l’Iran; c’est le sunnisme arabe et turc contre le chiisme iranien. En même temps, c’est l’opposition États-Unis et l’Iran, entre l’Occident et l’Iran…" Et Francis Balanche d'ajouter : "(Une intervention militaire) n’est pas imaginable, parce que ça créerait une crise diplomatique avec la Russie et l’Iran qui serait terrible."
Le régime ne peut cependant pas tenir
Pour le directeur du Centre d’études et de recherches sur le Monde arabe contemporain, il y a donc là "des enjeux géopolitiques qui viennent se greffer, en quelque sorte pervertir ce qui se passe en Syrie, et rendre une sortie de crise particulièrement épineuse."
On se contente de soutenir militairement et logistiquement les rebelles.
"Si le front anti Bachar el Assad et les rebelles continuent à être armés et soutenus comme ça pendant plusieurs années, le pouvoir va être sapé, et finira par se réduire au clan alaouite et à son appareil sécuritaire."
Mais, estime Francis Balanche, à long terme, "ce régime ne peut pas tenir uniquement s’il s’appuie sur sa communauté ou sur les minorités, comme les chrétiens et les druzes, qui eux aussi n’ont pas intérêt à un changement de régime."
W. Fayoumi
Le régime a-t-il marqué des points au niveau militaire ces derniers jours ? Quels effets auront les multiples défections en son sein ? Bichara Kader, professeur à l’UCL et directeur du Centre d’études et de recherches sur le Monde arabe contemporain, et Francis Balanche, maître de conférences à l’Université de Lyon 2, étaient les invités de Matin première ce jeudi.
Si Damas semble être à présent contrôlée par les forces armées syriennes, le sort d’Alep reste, lui, assez obscur. Le gouvernement syrien affirme avoir repris le contrôle dans l’un des quartiers principaux de la rébellion; une information aussitôt démentie par des combattants sur le terrain.
La violence des combats semble être à la hauteur de l’enjeu stratégique que représente la ville. Mais pour Francis Balanche, il ne fait aucun doute que l’armée syrienne sortira victorieuse de ce bras de fer macabre. "Ça va prendre du temps évidemment. Mais l’armée syrienne est beaucoup mieux équipée beaucoup mieux organisée que les rebelles, qui n’ont pas un commandement unifié. Ce sont des "katibas", des groupes, qui tiennent un quartier, un autre chef qui en a un autre... Il n’y a pas de chaine de commandement."
Les rebelles ne peuvent pas l'emporter
L’infériorité militaire n’est pas le seul handicap des rebelles à Alep. Francis Balanche pointe également l’absence d’adhésion de la part de certains groupes de la ville, comme les Kurdes. Ces derniers, présents surtout au nord de la métropole, représentent 600 000 personnes. "Les rebelles espéraient que les Kurdes se joignent à eux, ce qui aurait donné vraiment un poids supplémentaire à leur offensive; et ça n’a pas été le cas."
Pour ce spécialiste de la région, la rébellion est donc condamnée, en tous cas d’un point de vue immédiat : "Il ne (leur) reste plus qu’à quitter la ville s’ils le peuvent, ou alors à se cacher, à résister. Mais au final, ça fera comme à Damas : l’armée réussira à reprendre les quartiers périphériques d’Alep."
Une communauté alaouite unie par peur des représailles
Le régime en place s’appuie essentiellement sur la communauté alaouite, dont est issue la famille du président. Cette communauté, comme certaines autres minorités, ne semble pas rallier massivement la rébellion, ni le mouvement d’opposition. Au contraire : "on ne voit pas une communauté alaouite qui se désolidarise du pouvoir, mais qui critique en fait la supposée faiblesse de Bachar el-Assad" dans la répression de mouvements dont ils ont peur. D’où le slogan assez explicite "Bachar à la clinique, Maher (le frère du président syrien, supposé plus énergique) à la direction du pays", populaire dans la communauté alaouite.
Cette cohésion derrière les combats de l’armée est logique, explique Francis Balanche. "Les alaouites ont très peur de la revanche des sunnites par rapport à la répression qui a eu lieu ces mois derniers ", et se rappellent le début des années 80, et la révolte des Frères musulmans qui leur a valu d’être les cibles de la colère des sunnites.
Une intervention militaire impossible
Si l’espoir d’une victoire militaire de la rébellion est mince, Bichara Kader estime pour sa part que le régime, lui, semble très ébranlé. Les nombreuses défections, qui ont touché jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir, l’ont affaibli. "J’ai le sentiment que Bachar al-Assad est enfermé dans un déni de la réalité comme s’il vivait dans un cocon, et il n’écoute que les flatteurs autour de lui."
Mais cette faiblesse manifeste ne va certainement pas entrainer une intervention internationale armée, comme en Libye. "La Syrie est une pièce maitresse sur l’échiquier du Proche-Orient", rappelle Bichara Kader.
"C’est un maillon important dans ce qu’on appelle "l’axe chiite" Iran Irak Syrie Hezbollah. Donc (…) à l’intérieur de la Syrie, ce n’est pas seulement l’armée contre la rébellion, mais c’est l’Arabie saoudite contre l’Iran; c’est le sunnisme arabe et turc contre le chiisme iranien. En même temps, c’est l’opposition États-Unis et l’Iran, entre l’Occident et l’Iran…" Et Francis Balanche d'ajouter : "(Une intervention militaire) n’est pas imaginable, parce que ça créerait une crise diplomatique avec la Russie et l’Iran qui serait terrible."
Le régime ne peut cependant pas tenir
Pour le directeur du Centre d’études et de recherches sur le Monde arabe contemporain, il y a donc là "des enjeux géopolitiques qui viennent se greffer, en quelque sorte pervertir ce qui se passe en Syrie, et rendre une sortie de crise particulièrement épineuse."
On se contente de soutenir militairement et logistiquement les rebelles.
"Si le front anti Bachar el Assad et les rebelles continuent à être armés et soutenus comme ça pendant plusieurs années, le pouvoir va être sapé, et finira par se réduire au clan alaouite et à son appareil sécuritaire."
Mais, estime Francis Balanche, à long terme, "ce régime ne peut pas tenir uniquement s’il s’appuie sur sa communauté ou sur les minorités, comme les chrétiens et les druzes, qui eux aussi n’ont pas intérêt à un changement de régime."
W. Fayoumi
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