
REVIREMENT. Le redéploiement de la diplomatie française au Maghreb sous le gouvernement socialiste augure-t-il de la banalisation des rapports entre Paris et Rabat?
Par Mustapha Sehimi
Par touches successives, mais significatives, force est de faire ce constat, en cet automne 2012: le redéploiement de la diplomatie française au Maghreb –en particulier- au profit de l’Algérie et au détriment du Maroc.Cinq mois à peine après l’élection de François Hollande, le nouveau cap paraît bien tracé à cet égard: l’Algérie comme État pivot de Paris au Maghreb, en Méditerranée et même en Afrique. Visite de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, à Alger, les 14 et 15 octobre 2012; déplacement de trois autres membres du gouvernement –dont Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères– avant lui; visite d’État de François Hollande, en décembre 2012: le menu est chargé.
Pourquoi cette inflexion en faveur de ce pays voisin? Lors de sa campagne électorale, François Hollande l’avait déclaré en termes clairs: «Moi, je suis un ami de l’Algérie. C’est un pays avec lequel la France doit avoir des relations qui doivent être exceptionnelles parce que nous avons une histoire».
Il faut préciser, pour commencer, que c’est le pays qui lui est le plus familier. Son stage de l’École nationale d’administration (ENA), il l’a fait à la fin des années 1970 à l’ambassade de France à Alger. Dans son cercle de proximité figurent, depuis des lustres, des Français de souche algérienne. Et, puis maintenant à l’Élysée, voilà que les intérêts d’État confortent cette inclination personnelle.
Enjeux sécuritaires
Dans l’espace régional, le poids et l’influence de l’Algérie comptent beaucoup. Empêtré au Mali –notamment avec les otages français– Paris mesure aujourd’hui que le dénouement de la crise ne peut se faire sans le concours actif d’Alger. Il a fallu des mois pour que, laborieusement, s’opère une large convergence entre les deux pays: soutien à un processus politique pouvant permettre au pouvoir malien d’imposer l’intégrité territoriale; dialogue avec le Nord, et notamment avec les Touaregs; perspective d’une intervention militaire exclusivement “africaine” sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) –autant de principes validés avec l’approbation d’Alger et à l’initiative de Paris dans la Résolution 2071 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Au-delà de ce qui se passe à Bamako, d’autres enjeux sécuritaires pèsent de tout leur poids pour renforcer la teneur des relations bilatérales. Ainsi, dans le domaine de la lutte antiterroriste, Manuel Valls a reconnu les relations très étroites pratiquement “quotidiennes” entre les responsables des services spécialisés. Les menaces jihadistes réactualisées dernièrement sur le territoire français donnent du prix à cette coopération. Au plan bilatéral, l’entrelacs des intérêts n’est plus à démontrer: il a même pris une nouvelle dimension avec les immenses opportunités offertes par le marché algérien et les grands chantiers d’équipement prévus.
Intérêts bilatéraux
Le point humain est adossé à la présence d’une importante communauté algérienne de plus d’un million d’étudiants; la moitié de tous ces résidents sont des binationaux de première, deuxième et troisième générations. Des dossiers en instance sont inscrits dans l’agenda de François Hollande pour une solution: formation des imams, apurement des contentieux des biens immobiliers des Français, actualisation et amélioration de la loi sur l’émigration de 1968 (regroupement familial, séjour, etc.), réécriture d’une page nouvelle sur l’histoire commune et son héritage mémoriel. Au final, la place et le rôle de l’Algérie ne peuvent qu’être rehaussés dans la nouvelle perception maghrébine de l’Élysée.
Une approche qui va conduire au déclassement du Royaume, qui se trouvait au premier rang du temps des présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy.
Cela ne veut pas dire pour autant que le bilatéral Paris-Rabat va connaître une banalisation, à l’instar d’autres pays de la région. Pourquoi? Parce que le Royaume a capitalisé des intérêts communs avec Paris, qu’il se distingue par sa stabilité et l’ambition de son modèle démocratique et réformateur et qu’il occupe une position géostratégique valorisante. Il n’en reste pas moins que les potentialités du “business” qu’il offre ne sont pas comparables à celles de son voisin de l’Est. Cumulées avec les atouts et les moyens d’action et d’influence sécuritaire et diplomatique dans la région, l’Algérie est ainsi en pole-position par rapport au Maroc.
Manne pétrolière
C’est à cette aune de la “realpolitik” que François Hollande appréhendera désormais le Maghreb et la région. Au fond, François Hollande et tant de ses proches n’ont aucun “feeling” particulier à l’endroit du Royaume. Martine Aubry, qui en a –elle l’a encore exprimé en mars dernier lors de sa visite- a quitté la direction du Parti socialiste pour s’en retourner dans son “beffroi” de Lille. Najat Belkacem- Vallaud aussi, sans doute, mais pourra-t-elle peser? Laurent Fabius a d’autres centres d’intérêt. Et puis, last but no least, l’amitié publique affichée par le Roi à l’ex-président Sarkozy ne pousse pas à améliorer la perception du Royaume, considéré comme étant du côté de la droite –hier Chirac, puis Sarkozy. Que Rabat n’ait pas encore désigné son ambassadeur à Paris paraît bien traduire cette nouvelle tonalité. Le poste est vacant depuis près d’un an, mais surtout depuis l’élection de M. Hollande en mai 2012. Une situation pour le moins interrogative.
Question saharienne
À Rabat, l’on n’ignore pas tous ces éléments et l’on sait que l’Elysée sera moins “activiste” pour soutenir la cause marocaine du Sahara, en particulier devant le Conseil de sécurité. En effet, on imagine mal François Hollande multiplier les appels téléphoniques à ses pairs ou les pressions auprès des chancelleries –comme ses deux prédécesseurs- pour faire adopter une résolution onusienne qui ne soit pas défavorable aux thèses marocaines.
On a déjà évoqué la “realpolitik”. Elle se fonde, du point de vue de Paris, sur des concessions faites à Alger –tel le retour au grand projet d’une usine Renault– mais aussi sur des intérêts commerciaux, économiques et autres. Des réserves de changes de plus de 160 milliards de dollars à la banque centrale algérienne, cela compte. Une manne des hydrocarbures finançant des programmes de dizaines de milliards d’euros. Une puissance régionale influente et incontournable dans la stabilité et la sécurité. Difficile de ne pas en faire un partenaire stratégique, même si le président socialiste Hollande sera moins regardant sur le déficit démocratique
Maroc Hebdo
Commentaire