A Rome, la conférence internationale n’a pas appelé au cessez-le-feu, ni défini les missions d’une possible force d’interposition.
Venant de Chypre, Condoleezza Rice est arrivée en hélicoptère, lundi à Beyrouth, ville pilonnée à plusieurs reprises par l’aviation israélienne depuis le début de l’offensive de Tsahal, il y a un demi-mois. «Merci pour votre courage et votre fermeté», a-t-elle déclaré de façon surprenante au Premier ministre libanais Fouad Siniora, qui plaide jour après jour en faveur d’une trêve immédiate.
On imagine cette scène un peu surréaliste. La secrétaire d’État américain, tout de blanc vêtu et raide comme la justice, dit un petit mot gentil à chacun de ses interlocuteurs. Elle apporte «sa peine et sa solidarité» au Liban, le chef de gouvernement libanais, banquier sunnite et ami d’enfance de Rafik Hariri, légèrement interloqué, a dû être tenté de lui répondre: «la fin des bombardements ne dépend que de vous!».
Le lendemain, Condeleezza Rice rencontrait Ehud Olmert en Israël. Que lui a-t-elle dit, en guise d’introduction? «Allez-y, les gars! La Maison Blanche est derrière vous...» ?
Cessez-le-feu : les volte-face américaines
On ne comprend pas, en effet, quelle est aujourd’hui l’exacte position des États-Unis. D’un côté la secrétaire d’État a appelé à Beyrouth à un cessez-le-feu «urgent, durable et viable», de l’autre Condi conforte Tel-Aviv en légitimant au nom de l’antiterrorisme, l’invasion militaire israélienne. A Rome, elle a rendu impossible l’appel à un cessez-le-feu immédiat entre Israël et les activistes du Hezbollah. Anticipant sur le voyage de Rice, George Bush a déclaré, lors de son allocution radiophonique hebdomadaire, que la secrétaire d’État ferait «clairement comprendre qu’une solution de la crise exige d’affronter le groupe terroriste qui a lancé les attaques et les pays qui le soutiennent».
Cette valse-hésitation est dans le droit fil du retrait volontaire des Etats-Unis du dossier du Proche-Orient. Alignement permanent sur les positions israéliennes, refus d’engagements sur le dossier palestinien, discours menaçants vis-à-vis d’une grande partie des acteurs régionaux (Iran, Syrie, Hesbollah, Hamas...): toutes ces positions interdisent aux Etats-Unis déjà englués dans la pétaudière irakienne, de jouer un rôle de médiateur respecté, écouté ou même craint.
Le 24 juillet, Condeleeza Rice était attendue en Israël et ne devait pas initialement se rendre au Liban. Ce changement d’itinéraire et de positions, impromptu, venait souligner les difficultés de la situation: l’offensive militaire israélienne ne parvient pas à ses objectifs affichés, la neutralisation du Hesbollah. La combativité acharnée dont ont fait preuve les milices chiites lors de la bataille de Bint Djbeil, un bastion local du Hezbollah tout près de la frontière avec Israël, montrent que celles-ci sont loin d’une reddition; les populations civiles libanaises payent en revanche au prix fort la démesure militaire israélienne; la destruction du Liban horrifie de plus en plus l’opinion mondiale. Jan Egeland, le représentant de l’ONU dans la région a estimé que Tel-Aviv «violait les droits internationaux et humanitaires».
En organisant, mercredi à Rome, le sommet informel sur la guerre du Liban, la secrétaire d’Etat savait que la question d’un arrêt des hostilités serait au centre des débats même s’il y avait peu de chance que les Etats-Unis se rallient au «cessez-le-feu immédiat» réclamé par Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU, ou même à la forme limitée d’une «pause humanitaire». Tzippi Livni, le ministre israélien des Affaires étrangères avait, en effet, réaffirmé que son pays se refuserait à accepter un cessez-le-feu tant qu’il n’y aurait pas la garantie que le Hezbollah soit démantelé. Tel-Aviv sait que cet objectif ne peut plus être atteint en quelques jours par son offensive actuelle, ses généraux profitent surtout, avec le soutien des Etats-Unis, des atermoiements de la «communauté internationale» pour marquer le maximum de points militaires au Liban en attendant éventuellement une autre dégradation de la situation.
Le Premier ministre libanais qui veut avant tout éviter l’éclatement du Liban, ne sous-estime pas, quant à lui, la capacité de résistance militaire du Hezbollah. Fouad Siniora avait fixé dimanche dans un séminaire gouvernemental les trois étapes du plan pour éviter le dérapage de l’invasion en guerre civile: un cessez-le-feu immédiat; des échanges progressifs de prisonniers; la mise en débat ensuite d’autres questions, notamment celle d’un retrait des forces israéliennes de la zone des Fermes de Sheba, ce qui retirerait tout prétexte au Hezbollah pour éviter son désarmement. Cette région et une partie du Sud Liban seraient alors placées sous contrôle international.
ONU : 4 morts en signe d’avertissement israélien
Lancée par Jacques Chirac, l’idée d’une force d’interposition commence à faire consensus. Ehud Olmert vient même de s’y rallier mais chacun y met le contenu qu’il veut. Les Israéliens continuent tout de même à ne pas voir d’un bon oeil un tel déploiement. Le bombardement «involontaire» de quatre observateurs de l’ONU qui y ont laissé la vie est un signal d’avertissement sans frais. Tel-Aviv ne simplifiera pas l’action des contingents étrangers et il mettra d’importantes conditions à l’internationalisation du conflit: l’éventuelle force multinationale devra remplacer la Finul (22 ans de présence au Liban, 350 soldats tués), elle serait justement chargée d’isoler le Sud Liban de la frontière israélienne et de désarmer le Hezbollah. Plutôt en accord avec ces objectifs, Américains et Britanniques souhaitent que la force internationale soit sous commandement de l’OTAN. Mais ils n’y participeront pas. Ils n’ont pas tort. La présence des troupes anglaises et américaines, déjà en action en Irak, servirait de chiffon rouge aux différents mouvements armés libanais qui seraient perpétuellement tentés de les attaquer.
La France et la Turquie, désignés informellement comme chefs de fils de cette potentielle force internationale, tout comme les autres pays qui pourraient envoyer des contingents, l’Italie, l’Espagne, le Brésil, l’Egypte.., ne souhaitent guère intervenir sous la bannière de l’OTAN qui apparaît comme «le bras armé de l’Occident», selon Jacques Chirac. Les nations concernées réclament un mandat clair de l’ONU et souhaitent, avant tout, favoriser un règlement politique. Pas question pour eux d’aller désarmer les milices.
Dans l’hypothèse d’une force multinationale, le Hezbollah marquerait lui-même une certaine hésitation. La formation ne veut pas désarmer face à l’invasion israélienne. Sautera-t-elle le pas pour aller affronter militairement une force d’interposition sous mandat de l’ONU et du Conseil de Sécurité? Certainement non, mais les attentats comme celui du Drakkar au Liban en octobre 1983 (qui a vu la mort de 58 parachutistes français) sont rarement revendiqués par leurs auteurs. Paradoxalement, le Hezbollah va peut-être bientôt goûter aux fruits amers de ses propres victoires militaires: le kidnapping de deux soldats israéliens suivi de son étonnante résistance face à une armée israélienne surarmée a définitivement convaincu la communauté internationale de ses grandes capacités militaires et de sa totale autonomie politique vis-à-vis de l’Etat libanais. Le mouvement de Hassan Nasrallah va ressentir plus que jamais la forte pression de la résolution 1559 de l’ONU qui prévoit son désarmement.
Quant à l’Iran et la Syrie, rien ne les oblige à favoriser un retour au calme puisque ces deux pays, déjà mis au ban des nations dont les régimes sont régulièrement menacés d’être renversés ou bombardés, ne sont pas invités à la table des négociations. Ne pas convier la Syrie à la conférence de Rome relève de l’erreur diplomatique majeure. L’absence d’Israël est tout autant à regretter: on ne sort des crises qu’en négociant avec ses ennemis.
Incantations
Une force d’interposition se déploiera peut-être au Liban: elle s’impose, en tous cas, en Palestine où depuis plus de 40 ans, l’occupation israélienne mène des politiques répressives systématiques constituant autant de violations des dispositions de la 4e Convention de Genève de 1949: transfert d’une partie de sa population dans les territoires occupés (construction et élargissement des colonies); destruction de centaines de maisons palestiniennes en guise de punitions collectives; déracinement de milliers d’oliviers menant à la confiscation de terres et entraves aux mouvements de la population, «assassinats ciblés»...
«Au moment où nous travaillons à résoudre la situation au Liban, nous devons rester concentrer sur ce qui se passe dans les territoires palestiniens (...) Nous ferons le maximum d’efforts pour relancer le processus de paix». Condi Rice a également rencontré Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. Le même sentiment de décalage entre ses propos et la réalité persistait lorsque la secrétaire d’Etat affirma qu’il «était temps de construire un nouveau Moyen-Orient»: les trois dernières années ont vu la plongée de l’Irak dans la guerre civile, la montée dans plusieurs pays d’un puissant mouvement chiite dominé par l’Iran, la fin définitive de ce qu’avait été le processus d’Oslo. On se demande ce que sera le nouveau Moyen-Orient quand il sera définitivement achevé.
Par Pierre Morville- Le QO
Venant de Chypre, Condoleezza Rice est arrivée en hélicoptère, lundi à Beyrouth, ville pilonnée à plusieurs reprises par l’aviation israélienne depuis le début de l’offensive de Tsahal, il y a un demi-mois. «Merci pour votre courage et votre fermeté», a-t-elle déclaré de façon surprenante au Premier ministre libanais Fouad Siniora, qui plaide jour après jour en faveur d’une trêve immédiate.
On imagine cette scène un peu surréaliste. La secrétaire d’État américain, tout de blanc vêtu et raide comme la justice, dit un petit mot gentil à chacun de ses interlocuteurs. Elle apporte «sa peine et sa solidarité» au Liban, le chef de gouvernement libanais, banquier sunnite et ami d’enfance de Rafik Hariri, légèrement interloqué, a dû être tenté de lui répondre: «la fin des bombardements ne dépend que de vous!».
Le lendemain, Condeleezza Rice rencontrait Ehud Olmert en Israël. Que lui a-t-elle dit, en guise d’introduction? «Allez-y, les gars! La Maison Blanche est derrière vous...» ?
Cessez-le-feu : les volte-face américaines
On ne comprend pas, en effet, quelle est aujourd’hui l’exacte position des États-Unis. D’un côté la secrétaire d’État a appelé à Beyrouth à un cessez-le-feu «urgent, durable et viable», de l’autre Condi conforte Tel-Aviv en légitimant au nom de l’antiterrorisme, l’invasion militaire israélienne. A Rome, elle a rendu impossible l’appel à un cessez-le-feu immédiat entre Israël et les activistes du Hezbollah. Anticipant sur le voyage de Rice, George Bush a déclaré, lors de son allocution radiophonique hebdomadaire, que la secrétaire d’État ferait «clairement comprendre qu’une solution de la crise exige d’affronter le groupe terroriste qui a lancé les attaques et les pays qui le soutiennent».
Cette valse-hésitation est dans le droit fil du retrait volontaire des Etats-Unis du dossier du Proche-Orient. Alignement permanent sur les positions israéliennes, refus d’engagements sur le dossier palestinien, discours menaçants vis-à-vis d’une grande partie des acteurs régionaux (Iran, Syrie, Hesbollah, Hamas...): toutes ces positions interdisent aux Etats-Unis déjà englués dans la pétaudière irakienne, de jouer un rôle de médiateur respecté, écouté ou même craint.
Le 24 juillet, Condeleeza Rice était attendue en Israël et ne devait pas initialement se rendre au Liban. Ce changement d’itinéraire et de positions, impromptu, venait souligner les difficultés de la situation: l’offensive militaire israélienne ne parvient pas à ses objectifs affichés, la neutralisation du Hesbollah. La combativité acharnée dont ont fait preuve les milices chiites lors de la bataille de Bint Djbeil, un bastion local du Hezbollah tout près de la frontière avec Israël, montrent que celles-ci sont loin d’une reddition; les populations civiles libanaises payent en revanche au prix fort la démesure militaire israélienne; la destruction du Liban horrifie de plus en plus l’opinion mondiale. Jan Egeland, le représentant de l’ONU dans la région a estimé que Tel-Aviv «violait les droits internationaux et humanitaires».
En organisant, mercredi à Rome, le sommet informel sur la guerre du Liban, la secrétaire d’Etat savait que la question d’un arrêt des hostilités serait au centre des débats même s’il y avait peu de chance que les Etats-Unis se rallient au «cessez-le-feu immédiat» réclamé par Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU, ou même à la forme limitée d’une «pause humanitaire». Tzippi Livni, le ministre israélien des Affaires étrangères avait, en effet, réaffirmé que son pays se refuserait à accepter un cessez-le-feu tant qu’il n’y aurait pas la garantie que le Hezbollah soit démantelé. Tel-Aviv sait que cet objectif ne peut plus être atteint en quelques jours par son offensive actuelle, ses généraux profitent surtout, avec le soutien des Etats-Unis, des atermoiements de la «communauté internationale» pour marquer le maximum de points militaires au Liban en attendant éventuellement une autre dégradation de la situation.
Le Premier ministre libanais qui veut avant tout éviter l’éclatement du Liban, ne sous-estime pas, quant à lui, la capacité de résistance militaire du Hezbollah. Fouad Siniora avait fixé dimanche dans un séminaire gouvernemental les trois étapes du plan pour éviter le dérapage de l’invasion en guerre civile: un cessez-le-feu immédiat; des échanges progressifs de prisonniers; la mise en débat ensuite d’autres questions, notamment celle d’un retrait des forces israéliennes de la zone des Fermes de Sheba, ce qui retirerait tout prétexte au Hezbollah pour éviter son désarmement. Cette région et une partie du Sud Liban seraient alors placées sous contrôle international.
ONU : 4 morts en signe d’avertissement israélien
Lancée par Jacques Chirac, l’idée d’une force d’interposition commence à faire consensus. Ehud Olmert vient même de s’y rallier mais chacun y met le contenu qu’il veut. Les Israéliens continuent tout de même à ne pas voir d’un bon oeil un tel déploiement. Le bombardement «involontaire» de quatre observateurs de l’ONU qui y ont laissé la vie est un signal d’avertissement sans frais. Tel-Aviv ne simplifiera pas l’action des contingents étrangers et il mettra d’importantes conditions à l’internationalisation du conflit: l’éventuelle force multinationale devra remplacer la Finul (22 ans de présence au Liban, 350 soldats tués), elle serait justement chargée d’isoler le Sud Liban de la frontière israélienne et de désarmer le Hezbollah. Plutôt en accord avec ces objectifs, Américains et Britanniques souhaitent que la force internationale soit sous commandement de l’OTAN. Mais ils n’y participeront pas. Ils n’ont pas tort. La présence des troupes anglaises et américaines, déjà en action en Irak, servirait de chiffon rouge aux différents mouvements armés libanais qui seraient perpétuellement tentés de les attaquer.
La France et la Turquie, désignés informellement comme chefs de fils de cette potentielle force internationale, tout comme les autres pays qui pourraient envoyer des contingents, l’Italie, l’Espagne, le Brésil, l’Egypte.., ne souhaitent guère intervenir sous la bannière de l’OTAN qui apparaît comme «le bras armé de l’Occident», selon Jacques Chirac. Les nations concernées réclament un mandat clair de l’ONU et souhaitent, avant tout, favoriser un règlement politique. Pas question pour eux d’aller désarmer les milices.
Dans l’hypothèse d’une force multinationale, le Hezbollah marquerait lui-même une certaine hésitation. La formation ne veut pas désarmer face à l’invasion israélienne. Sautera-t-elle le pas pour aller affronter militairement une force d’interposition sous mandat de l’ONU et du Conseil de Sécurité? Certainement non, mais les attentats comme celui du Drakkar au Liban en octobre 1983 (qui a vu la mort de 58 parachutistes français) sont rarement revendiqués par leurs auteurs. Paradoxalement, le Hezbollah va peut-être bientôt goûter aux fruits amers de ses propres victoires militaires: le kidnapping de deux soldats israéliens suivi de son étonnante résistance face à une armée israélienne surarmée a définitivement convaincu la communauté internationale de ses grandes capacités militaires et de sa totale autonomie politique vis-à-vis de l’Etat libanais. Le mouvement de Hassan Nasrallah va ressentir plus que jamais la forte pression de la résolution 1559 de l’ONU qui prévoit son désarmement.
Quant à l’Iran et la Syrie, rien ne les oblige à favoriser un retour au calme puisque ces deux pays, déjà mis au ban des nations dont les régimes sont régulièrement menacés d’être renversés ou bombardés, ne sont pas invités à la table des négociations. Ne pas convier la Syrie à la conférence de Rome relève de l’erreur diplomatique majeure. L’absence d’Israël est tout autant à regretter: on ne sort des crises qu’en négociant avec ses ennemis.
Incantations
Une force d’interposition se déploiera peut-être au Liban: elle s’impose, en tous cas, en Palestine où depuis plus de 40 ans, l’occupation israélienne mène des politiques répressives systématiques constituant autant de violations des dispositions de la 4e Convention de Genève de 1949: transfert d’une partie de sa population dans les territoires occupés (construction et élargissement des colonies); destruction de centaines de maisons palestiniennes en guise de punitions collectives; déracinement de milliers d’oliviers menant à la confiscation de terres et entraves aux mouvements de la population, «assassinats ciblés»...
«Au moment où nous travaillons à résoudre la situation au Liban, nous devons rester concentrer sur ce qui se passe dans les territoires palestiniens (...) Nous ferons le maximum d’efforts pour relancer le processus de paix». Condi Rice a également rencontré Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. Le même sentiment de décalage entre ses propos et la réalité persistait lorsque la secrétaire d’Etat affirma qu’il «était temps de construire un nouveau Moyen-Orient»: les trois dernières années ont vu la plongée de l’Irak dans la guerre civile, la montée dans plusieurs pays d’un puissant mouvement chiite dominé par l’Iran, la fin définitive de ce qu’avait été le processus d’Oslo. On se demande ce que sera le nouveau Moyen-Orient quand il sera définitivement achevé.
Par Pierre Morville- Le QO