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Les alévis, des musulmans libéraux qui n'ont "plus grand-chose à perdre"
03.06.2013 à 09h22
Istanbul, par Guillaume Perrier
Au pied du Monument de la République et de la statue de Mustafa Kemal, au milieu de la place Taksim, des danseurs, bras dessus bras dessous, se lancent dans une ronde endiablée, au rythme d'une clarinette et d'un tambour. Dans cette danse traditionnelle des alévis, une branche de l'islam chiite fortement implantée en Turquie – ils sont 10 à 15 millions –, hommes et femmes se mélangent. Des Turcs entrent dans la vague avec leur drapeau, à côté des Kurdes.
"Ce qui nous réunit ici, c'est que beaucoup d'entre nous sont alévis", souligne Metin Karakaya, un Turc originaire de Malatya, ville de l'est de la Turquie. Les alévis cultivent un mode de vie libéral. "Le gouvernement est un parti sunnite religieux qui ne nous aime pas. Nous ne voulons pas de leurs cours de religion et nous ne voulons pas prier dans leurs mosquées. Nous voulons notre culture", peste Metin.
Qu'ils soient sympathisants kurdes, de l'extrême gauche, membres de syndicats ou, le plus souvent, proches du Parti républicain du peuple (CHP), le parti kémaliste, les alévis de Turquie se sont fortement mobilisés, depuis vendredi, pour rejoindre le mouvement de contestation contre le premier ministre Recep Tayyip Erdogan et faire entendre leurs revendications.
Cette minorité religieuse au mode de vie libéral, dans un pays majoritairement sunnite, a souvent été victime de massacres et d'exactions qui jalonnent l'histoire de la Turquie moderne – et ce bien avant l'arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP) – et celle de l'Empire ottoman. Mais aux yeux de beaucoup, M. Erdogan a franchi un nouveau pas symbolique en baptisant le futur troisième pont sur le détroit du Bosphore du nom de "Sultan Yavuz Selim". Selim Ier (1512-1520), le sultan responsable de massacres contre les alévis. Le nom a été révélé mercredi au cours d'une cérémonie d'inauguration du chantier, en présence des plus hautes autorités du pays.
"BOURREAU"
"Pour les alévis, Selim, c'est le bourreau. Avec ce pont, on érige un monument à la gloire de quelqu'un qui les a massacrés. Ça ne passe pas du tout. Depuis, les chaînes de télévision alévies, comme Cem TV, ne parlent que de cela", décrypte Elise Massicard, responsable de l'Observatoire de la vie politique à l'Institut français des études anatoliennes d'Istanbul et spécialiste de la question alévie.
Les associations communautaires qui ont appelé à rejoindre la place Taksim pour grossir le flux des manifestants se sentent mises au ban de la République. Leur culte n'est pas reconnu comme tel, mais comme une particularité "culturelle". Les cérémonies religieuses mixtes se tiennent dans des cemevi (maison de réunion) et non dans des mosquées. Des lieux considérés comme des enceintes culturelles par l'Etat, ce qui les prive de financements publics.
La demande qui a récemment été lancée pour ouvrir une cemevi au Parlement, à Ankara, déjà doté d'une petite mosquée, s'est heurtée à une fin de non-recevoir de la part du vice-premier ministre Bekir Bozdag. "La reconnaissance du statut des cemevi par le gouvernement pourrait tout changer, estime Elise Massicard. Mais on touche là à la question de l'unité de l'islam et toutes les institutions font bloc."
Autre revendication, la suppression des cours d'éducation religieuse, toujours dispensés à l'école publique malgré une décision de la Cour européenne des droits de l'homme, en 2006. "Les alévis se sentent particulièrement concernés par la politique du gouvernement sur l'alcool et les questions religieuses, mais d'une manière générale, ils sont exclus du système politique et n'ont plus grand-chose à perdre", poursuit Mme Massicard.
Au milieu des manifestants présents dans la nuit de samedi sur la place Taksim, Erhan Demirci, un petit employé venu de la rive asiatique de la ville, trinque avec deux de ses amis qui se prennent en photo. "Il faut qu'Erdogan parte, nous ne voulons plus de cette dictature, de ce parti religieux qui entraîne la Turquie dans une guerre avec ses voisins", lance-t-il. La politique syrienne du gouvernement turc à laquelle il fait allusion inquiète vivement les alévis et la réaction des autorités après les attentats de Reyhanli, qui ont fait plus de 50 morts, le 11 mai, près de la frontière avec la Syrie, se sont ajoutés aux griefs de ces manifestants contre le pouvoir de M. Erdogan.
Le Monde
Note : Plus d'infos, voir ‘Alévisme’ wikiped…
Les alévis, des musulmans libéraux qui n'ont "plus grand-chose à perdre"
03.06.2013 à 09h22
Istanbul, par Guillaume Perrier
Au pied du Monument de la République et de la statue de Mustafa Kemal, au milieu de la place Taksim, des danseurs, bras dessus bras dessous, se lancent dans une ronde endiablée, au rythme d'une clarinette et d'un tambour. Dans cette danse traditionnelle des alévis, une branche de l'islam chiite fortement implantée en Turquie – ils sont 10 à 15 millions –, hommes et femmes se mélangent. Des Turcs entrent dans la vague avec leur drapeau, à côté des Kurdes.
"Ce qui nous réunit ici, c'est que beaucoup d'entre nous sont alévis", souligne Metin Karakaya, un Turc originaire de Malatya, ville de l'est de la Turquie. Les alévis cultivent un mode de vie libéral. "Le gouvernement est un parti sunnite religieux qui ne nous aime pas. Nous ne voulons pas de leurs cours de religion et nous ne voulons pas prier dans leurs mosquées. Nous voulons notre culture", peste Metin.
Qu'ils soient sympathisants kurdes, de l'extrême gauche, membres de syndicats ou, le plus souvent, proches du Parti républicain du peuple (CHP), le parti kémaliste, les alévis de Turquie se sont fortement mobilisés, depuis vendredi, pour rejoindre le mouvement de contestation contre le premier ministre Recep Tayyip Erdogan et faire entendre leurs revendications.
Cette minorité religieuse au mode de vie libéral, dans un pays majoritairement sunnite, a souvent été victime de massacres et d'exactions qui jalonnent l'histoire de la Turquie moderne – et ce bien avant l'arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP) – et celle de l'Empire ottoman. Mais aux yeux de beaucoup, M. Erdogan a franchi un nouveau pas symbolique en baptisant le futur troisième pont sur le détroit du Bosphore du nom de "Sultan Yavuz Selim". Selim Ier (1512-1520), le sultan responsable de massacres contre les alévis. Le nom a été révélé mercredi au cours d'une cérémonie d'inauguration du chantier, en présence des plus hautes autorités du pays.
"BOURREAU"
"Pour les alévis, Selim, c'est le bourreau. Avec ce pont, on érige un monument à la gloire de quelqu'un qui les a massacrés. Ça ne passe pas du tout. Depuis, les chaînes de télévision alévies, comme Cem TV, ne parlent que de cela", décrypte Elise Massicard, responsable de l'Observatoire de la vie politique à l'Institut français des études anatoliennes d'Istanbul et spécialiste de la question alévie.
Les associations communautaires qui ont appelé à rejoindre la place Taksim pour grossir le flux des manifestants se sentent mises au ban de la République. Leur culte n'est pas reconnu comme tel, mais comme une particularité "culturelle". Les cérémonies religieuses mixtes se tiennent dans des cemevi (maison de réunion) et non dans des mosquées. Des lieux considérés comme des enceintes culturelles par l'Etat, ce qui les prive de financements publics.
La demande qui a récemment été lancée pour ouvrir une cemevi au Parlement, à Ankara, déjà doté d'une petite mosquée, s'est heurtée à une fin de non-recevoir de la part du vice-premier ministre Bekir Bozdag. "La reconnaissance du statut des cemevi par le gouvernement pourrait tout changer, estime Elise Massicard. Mais on touche là à la question de l'unité de l'islam et toutes les institutions font bloc."
Autre revendication, la suppression des cours d'éducation religieuse, toujours dispensés à l'école publique malgré une décision de la Cour européenne des droits de l'homme, en 2006. "Les alévis se sentent particulièrement concernés par la politique du gouvernement sur l'alcool et les questions religieuses, mais d'une manière générale, ils sont exclus du système politique et n'ont plus grand-chose à perdre", poursuit Mme Massicard.
Au milieu des manifestants présents dans la nuit de samedi sur la place Taksim, Erhan Demirci, un petit employé venu de la rive asiatique de la ville, trinque avec deux de ses amis qui se prennent en photo. "Il faut qu'Erdogan parte, nous ne voulons plus de cette dictature, de ce parti religieux qui entraîne la Turquie dans une guerre avec ses voisins", lance-t-il. La politique syrienne du gouvernement turc à laquelle il fait allusion inquiète vivement les alévis et la réaction des autorités après les attentats de Reyhanli, qui ont fait plus de 50 morts, le 11 mai, près de la frontière avec la Syrie, se sont ajoutés aux griefs de ces manifestants contre le pouvoir de M. Erdogan.
Le Monde
Note : Plus d'infos, voir ‘Alévisme’ wikiped…
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