Des entreprises appartenant à l’armée produisent pâtes, eau minérale, bonbonnes de gaz, ou encore gèrent des stations-service, des complexes touristiques…Toute information à ce sujet devrait-elle être classée "secret défense" ? Et débattre en public des entreprises concernées par ces activités, est-ce un "crime de haute trahison" ? A en croire les dirigeants des forces armées égyptiennes, la réponse serait "oui".
Jusqu’à aujourd’hui, le rôle de l’armée dans l’économie égyptienne reste un des tabous majeurs dans le pays. Durant les trente dernières années, l’armée s’est appliquée a dissimuler toutes informations concernant ses énormes intérêts dans l’économie nationale. Les Forces armées égyptiennes possèdent un pan entier de l’économie. De 25 à 45 %, selon certaines estimations. Des généraux de l’armée et des colonels gèrent des compagnies, malgré leur manque d’expérience, de formation, et des qualifications nécessaires.
Les intérêts économiques de l’armée englobent une panoplie d’activités diversifiées et rentables, allant de la vente et l’achat dans l’immobilier pour le compte du gouvernement, aux services de nettoyage, des cafétérias à la gestion de stations-service, de l’élevage de bétail aux produits alimentaires, en passant par la fabrication de sets de table en plastique … Toute information concernant ces activités est déjà disponible sur les sites Web de ces sociétés et de ces usines, qui, publiquement, divulguent fièrement qu’elles appartiennent à l’armée. Pourtant, l’institution militaire insiste pour déclarer illégale toute mention publique de ces activités.
Tous ces éléments appartiennent à la partie « confidentielle » du budget de l’armée, que l’établissement militaire refuse avec insistance de rendre publics ou de mettre en délibération parlementaire et publique. Toute tentative d’énoncer ce type d’activités en public aboutirait à des poursuites militaires et à des procès. Car cela est considéré comme des informations « secrets sécurité nationale » que tout rival ou ennemi de l’Égypte, comme Israël, ne doit pas connaitre !
Dans cet article nous examinerons le rôle caché de l’armée dans l’économie de l’Égypte et comment elle a tendance à jouer un rôle majeur dans l’économie du pays, malgré son incompétence en la matière. Mais aussi comment cela finalement détourne l’armée de ses obligations principales, à savoir la défense nationale et la protection des frontières du pays. On ne compte plus aujourd’hui le nombre de responsables militaires retrouvés impliqués dans les réseaux de corruption et dans des partenariats illégaux avec le capital privé. La discussion qui suit ne se base pas sur des sources classifiées mais sur des informations publiques disponibles dans tous les media sur les sites Web ou encore les publicités des entreprises gérées par les militaires.
Le contrôle de l’armée sur l’économie a commencé à la suite de la révolution de 1952, qui a expérimenté le socialisme d’État sous le leadership de l’ancien président Gamal Abdel Nasser. Pendant cette ère, l’État prend possession de tous les actifs économiques et les moyens de production à travers les programmes de nationalisation. Les mesures d’austérité, durant cette période, ont été adoptées pour limiter la consommation et l’importation dans le but de permettre l’indépendance économique du pays.
Parmi la nouvelle élite dirigeante de l’Égypte, des officiers de l’armée se sont rapidement promus comme les directeurs d’entreprises publiques bien qu’ils ont été en grande partie reconnus incompétents pour cela. « Le peuple contrôle tous les moyens de production » selon la constitution 1964 et les responsables militaires de l’Egypte ont, à leur tour, pris l’initiative de revendiquer ce contrôle pour le compte du peuple. Comme la corruption et la mauvaise gestion ont très vite proliféré dans tout le secteur public, le projet de Nasser de prospérité économique a finalement échoué. De toute manière, cet échec n’a rien d’étonnant, vu que les compétences et les qualifications de ces officiers étaient limitées aux affaires militaires. Ils ont voulu assumer des taches pour lesquelles ils n’étaient pas préparés.
Dans les années 1970, le monopole de l’armée a commencé à s’éroder quand l’ancien président Anwar Al-Sadat décide de prendre le chemin d’une économie de marché et ceci afin d’établir des liens stratégiques et économiques avec l’Occident. Sadate a privatisé une partie du secteur public que les dirigeants militaires habituellement contrôlaient, et l’ouverture du marché égyptien a permis à l’Occident l’introduction de nouveaux biens de consommation et de services. Ces politiques économiques sont venues marginaliser partiellement le rôle des dirigeants militaires, qui ont dû partager leur influence avec une classe naissante de capitalistes, beaucoup étant des proches de Sadate et de sa famille.
Heureusement pour les responsables militaires, cette situation humiliante n’a pas duré longtemps. Le traité de paix 1979 avec Israël est venu secourir les dirigeants de l’armée, les aidant à récupérer un peu de l’influence perdue sous la présidence de Sadate. En effet, après la fin de l’État de guerre avec Israël, des responsables politiques égyptiens ont bien compris que le licenciement de milliers d’officiers qualifiés de l’armée était politiquement dangereux. C’est pour cela que l’État décide de mettre en place une structure économique connue sous le nom d’ « Organisation des Projets de Services nationaux» (NSPO) qui a fondé de nombreuses entreprises commerciales dirigées par des généraux et des colonels à la retraite. Par des subventions diverses et des exonérations d’impôt, l’État a accordé à ces sociétés militaires des privilèges dont ne jouissait aucune autre entreprise publique ou privée. Les entreprises de l’armée n’étaient responsables devant aucune autre administration publique et étaient au-dessus des lois et des règlements appliqués à toutes les autres structures économiques.
Après 1992, quand le Président déchu Hosni Mubarak a commencé à appliquer une véritable libéralisation économique sous la pression des USA, du FMI et de la Banque mondiale, les programmes de privatisation n’ont jamais concerné les entreprises militaires. Même quand les programmes de privatisation entre 2004 et 2011 se sont accélérés sous la férule de Gamal Moubarak et son cabinet d’hommes d’affaires, les sociétés relevant des militaires n’ont pas été touchées. En fait, les officiers de haut rang de l’armée ont reçu leur part des bénéfices d’une privatisation marquée par la corruption, notamment sous la forme de nominations à des postes prestigieux dans les entreprises du secteur public récemment privatisées.
En général, la junte militaire égyptien n’a jamais cru au néo-libéralisme de type américain ou à la politique d’un marché libre et ouvert, surtout si cela peut aboutir à une perte d’influence pour les sociétés et les biens qu’elle gère. Parmi ses craintes, il y a les mesures limitant le rôle économique de l’Etat, la privatisation et la promotion du capital privé. Ainsi, dans un câble de Wikileaks en 2008, un ancien ambassadeur américain en Egypte a indiqué que le Maréchal Tantawi critiquait la politique de libéralisation économique du fait qu’elle sapait le contrôle de l’État sur l’économie nationale. Les doutes de Tantawi sur l’application des règles d’une économie néo-liberale a peu de rapport avec sa fidélité au modèle socialiste soviétique, pays où il a reçu sa formation de jeune officier. C’est plutôt les empiétements potentiels du secteur privé sur l’énorme empire économique appartenant à l’armée que Tantawi craint le plus.
Jusqu’à aujourd’hui, le rôle de l’armée dans l’économie égyptienne reste un des tabous majeurs dans le pays. Durant les trente dernières années, l’armée s’est appliquée a dissimuler toutes informations concernant ses énormes intérêts dans l’économie nationale. Les Forces armées égyptiennes possèdent un pan entier de l’économie. De 25 à 45 %, selon certaines estimations. Des généraux de l’armée et des colonels gèrent des compagnies, malgré leur manque d’expérience, de formation, et des qualifications nécessaires.
Les intérêts économiques de l’armée englobent une panoplie d’activités diversifiées et rentables, allant de la vente et l’achat dans l’immobilier pour le compte du gouvernement, aux services de nettoyage, des cafétérias à la gestion de stations-service, de l’élevage de bétail aux produits alimentaires, en passant par la fabrication de sets de table en plastique … Toute information concernant ces activités est déjà disponible sur les sites Web de ces sociétés et de ces usines, qui, publiquement, divulguent fièrement qu’elles appartiennent à l’armée. Pourtant, l’institution militaire insiste pour déclarer illégale toute mention publique de ces activités.
Tous ces éléments appartiennent à la partie « confidentielle » du budget de l’armée, que l’établissement militaire refuse avec insistance de rendre publics ou de mettre en délibération parlementaire et publique. Toute tentative d’énoncer ce type d’activités en public aboutirait à des poursuites militaires et à des procès. Car cela est considéré comme des informations « secrets sécurité nationale » que tout rival ou ennemi de l’Égypte, comme Israël, ne doit pas connaitre !
Dans cet article nous examinerons le rôle caché de l’armée dans l’économie de l’Égypte et comment elle a tendance à jouer un rôle majeur dans l’économie du pays, malgré son incompétence en la matière. Mais aussi comment cela finalement détourne l’armée de ses obligations principales, à savoir la défense nationale et la protection des frontières du pays. On ne compte plus aujourd’hui le nombre de responsables militaires retrouvés impliqués dans les réseaux de corruption et dans des partenariats illégaux avec le capital privé. La discussion qui suit ne se base pas sur des sources classifiées mais sur des informations publiques disponibles dans tous les media sur les sites Web ou encore les publicités des entreprises gérées par les militaires.
Le contrôle de l’armée sur l’économie a commencé à la suite de la révolution de 1952, qui a expérimenté le socialisme d’État sous le leadership de l’ancien président Gamal Abdel Nasser. Pendant cette ère, l’État prend possession de tous les actifs économiques et les moyens de production à travers les programmes de nationalisation. Les mesures d’austérité, durant cette période, ont été adoptées pour limiter la consommation et l’importation dans le but de permettre l’indépendance économique du pays.
Parmi la nouvelle élite dirigeante de l’Égypte, des officiers de l’armée se sont rapidement promus comme les directeurs d’entreprises publiques bien qu’ils ont été en grande partie reconnus incompétents pour cela. « Le peuple contrôle tous les moyens de production » selon la constitution 1964 et les responsables militaires de l’Egypte ont, à leur tour, pris l’initiative de revendiquer ce contrôle pour le compte du peuple. Comme la corruption et la mauvaise gestion ont très vite proliféré dans tout le secteur public, le projet de Nasser de prospérité économique a finalement échoué. De toute manière, cet échec n’a rien d’étonnant, vu que les compétences et les qualifications de ces officiers étaient limitées aux affaires militaires. Ils ont voulu assumer des taches pour lesquelles ils n’étaient pas préparés.
Dans les années 1970, le monopole de l’armée a commencé à s’éroder quand l’ancien président Anwar Al-Sadat décide de prendre le chemin d’une économie de marché et ceci afin d’établir des liens stratégiques et économiques avec l’Occident. Sadate a privatisé une partie du secteur public que les dirigeants militaires habituellement contrôlaient, et l’ouverture du marché égyptien a permis à l’Occident l’introduction de nouveaux biens de consommation et de services. Ces politiques économiques sont venues marginaliser partiellement le rôle des dirigeants militaires, qui ont dû partager leur influence avec une classe naissante de capitalistes, beaucoup étant des proches de Sadate et de sa famille.
Heureusement pour les responsables militaires, cette situation humiliante n’a pas duré longtemps. Le traité de paix 1979 avec Israël est venu secourir les dirigeants de l’armée, les aidant à récupérer un peu de l’influence perdue sous la présidence de Sadate. En effet, après la fin de l’État de guerre avec Israël, des responsables politiques égyptiens ont bien compris que le licenciement de milliers d’officiers qualifiés de l’armée était politiquement dangereux. C’est pour cela que l’État décide de mettre en place une structure économique connue sous le nom d’ « Organisation des Projets de Services nationaux» (NSPO) qui a fondé de nombreuses entreprises commerciales dirigées par des généraux et des colonels à la retraite. Par des subventions diverses et des exonérations d’impôt, l’État a accordé à ces sociétés militaires des privilèges dont ne jouissait aucune autre entreprise publique ou privée. Les entreprises de l’armée n’étaient responsables devant aucune autre administration publique et étaient au-dessus des lois et des règlements appliqués à toutes les autres structures économiques.
Après 1992, quand le Président déchu Hosni Mubarak a commencé à appliquer une véritable libéralisation économique sous la pression des USA, du FMI et de la Banque mondiale, les programmes de privatisation n’ont jamais concerné les entreprises militaires. Même quand les programmes de privatisation entre 2004 et 2011 se sont accélérés sous la férule de Gamal Moubarak et son cabinet d’hommes d’affaires, les sociétés relevant des militaires n’ont pas été touchées. En fait, les officiers de haut rang de l’armée ont reçu leur part des bénéfices d’une privatisation marquée par la corruption, notamment sous la forme de nominations à des postes prestigieux dans les entreprises du secteur public récemment privatisées.
En général, la junte militaire égyptien n’a jamais cru au néo-libéralisme de type américain ou à la politique d’un marché libre et ouvert, surtout si cela peut aboutir à une perte d’influence pour les sociétés et les biens qu’elle gère. Parmi ses craintes, il y a les mesures limitant le rôle économique de l’Etat, la privatisation et la promotion du capital privé. Ainsi, dans un câble de Wikileaks en 2008, un ancien ambassadeur américain en Egypte a indiqué que le Maréchal Tantawi critiquait la politique de libéralisation économique du fait qu’elle sapait le contrôle de l’État sur l’économie nationale. Les doutes de Tantawi sur l’application des règles d’une économie néo-liberale a peu de rapport avec sa fidélité au modèle socialiste soviétique, pays où il a reçu sa formation de jeune officier. C’est plutôt les empiétements potentiels du secteur privé sur l’énorme empire économique appartenant à l’armée que Tantawi craint le plus.
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