Les récents naufrages meurtriers montrent les limites des procédures de sauvetage des bateaux de migrants, où s'imbriquent institutions européennes, pays membres, navires militaires et commerciaux et technologies de pointe
l ne suffit plus de parler, il faut agir.» Quelques jours avant cette exhortation, le 3 octobre, le naufrage d'un bateau de migrants près de Lampedusa faisait plus de 300 morts. Quelques jours après, le 11 octobre, soit il y a moins de vingt-quatre heures, un autre bateau coulait entre la Sicile et Malte, faisant au moins 34 morts.
La personne qui s'inquiétait en ces termes alarmistes de la situation des bateaux de migrants en Méditerranée n'est pas membre d'une ONG: il s'agit de Cecilia Malmström, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, qui s'exprimait à l’issue d’une réunion du Conseil des ministres de l’Union.
Dans les faits, la Commissaire a annoncé le 8 octobre peu de mesures concrètes et aucune inflexion majeure de la politique européenne vis-à-vis des migrants. Elle a bien rappelé son souhait d’une «ouverture des canaux légaux de migration vers l’Union européenne», mais on sait que les Etats ne sont pas friands de ce thème… et ce sont eux qui ont les cartes en main.
Sur la manière concrète de sauver des vies, la clarification des procédures de sauvetage, celles «d’interception des migrants», là non plus, pas grand-chose à se mettre sous la dent. Le drame de Lampedusa n’a, à première vue, pas constitué l’électrochoc que beaucoup attendaient.
L’enjeu, pourtant, n’est pas sans importance. Car c’est aussi dans ce domaine, technique, du sauvetage et des interceptions, que se manifestent les ambiguïtés européennes.
D’un côté, on affirme vouloir sauver des vies, de l’autre on «pousse les personnes à prendre plus de risques en militarisant les frontières», affirme Charles Heller, du Centre for Architecture de l’université Goldsmiths de Londres. L’Agence européenne des droits fondamentaux, dans un récent rapport, rappelait une évidence: «Un système efficient de sauvetage en mer Méditerranée est essentiel pour sauver des vies.» Comprendre: ce système, aujourd’hui, n’est pas efficient.
Les chiffres le prouvent. Selon le collectif Fortress Europe, ce sont 19.142 personnes qui sont mortes aux frontières de l’Europe depuis 1988. En 2011, année jusqu’ici la plus meurtrière, le HCR estimait que 1.500 personnes avaient trouvé la mort lors de la traversée de la Méditerranée.
Pour François Crépeau, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants, «aujourd’hui, nous mettons des barrières et nous causons des morts. Ces naufrages ne sont pas une fatalité, ils ne devraient pas survenir».
Frontex renforcée, et après?
Parmi les mesures proposées par Cécilia Malmström, la principale est le renforcement de Frontex, l’agence de contrôle aux frontières extérieures de l’Europe, chargée de faciliter le travail conjoint des Etats européens (opérations de surveillance maritime, interception de migrants...) dans leur gestion des frontières. Critiquée pour son opacité, elle devrait bientôt se voir confier une grande opération de sauvetage en mer.
Elle sort donc renforcée de ce drame humain… alors même que son rôle lors d’intervention en mer n’est pas des plus clairs et que des discussions sont en cours au Parlement européen pour tenter de le clarifier. Une proposition de règlement relatif à la «surveillance des frontières maritimes extérieures» est sur la table et fait débat.
Pour Caroline Intrand, du réseau Migreurop, «cette proposition ne respecte pas du tout les exigences du droit international. D’un côté, elle interdit le refoulement, de l’autre elle l’organise». Il est vrai que l’article 4 du projet de règlement autorise le débarquement de migrants interceptés en mer «dans un pays tiers» (donc dans un pays non-membre de l’Union européenne, par exemple le pays de départ du bateau, la Libye ou la Tunisie).
Le commandant doit avoir «pris en considération la situation générale du pays». L’objectif: éviter de renvoyer des gens vers des pays où ils risquent la mort. Espérons que de fins géopoliticiens seront présents sur les bateaux.
Les participants aux opérations Frontex devront être en mesure «d’évaluer la situation personnelle» de chacun de ces migrants. Un point qui inquiète Judith Sunderland, de Human Rights Watch:
Des principes qui s’appliquent même en haute mer, comme l’a confirmé l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme de février 2012 Hirsi, Jamaa et autres contre Italie. Cette dernière avait été condamnée pour ses pratiques de refoulement vers la Libye.
l ne suffit plus de parler, il faut agir.» Quelques jours avant cette exhortation, le 3 octobre, le naufrage d'un bateau de migrants près de Lampedusa faisait plus de 300 morts. Quelques jours après, le 11 octobre, soit il y a moins de vingt-quatre heures, un autre bateau coulait entre la Sicile et Malte, faisant au moins 34 morts.
La personne qui s'inquiétait en ces termes alarmistes de la situation des bateaux de migrants en Méditerranée n'est pas membre d'une ONG: il s'agit de Cecilia Malmström, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, qui s'exprimait à l’issue d’une réunion du Conseil des ministres de l’Union.
Dans les faits, la Commissaire a annoncé le 8 octobre peu de mesures concrètes et aucune inflexion majeure de la politique européenne vis-à-vis des migrants. Elle a bien rappelé son souhait d’une «ouverture des canaux légaux de migration vers l’Union européenne», mais on sait que les Etats ne sont pas friands de ce thème… et ce sont eux qui ont les cartes en main.
Sur la manière concrète de sauver des vies, la clarification des procédures de sauvetage, celles «d’interception des migrants», là non plus, pas grand-chose à se mettre sous la dent. Le drame de Lampedusa n’a, à première vue, pas constitué l’électrochoc que beaucoup attendaient.
L’enjeu, pourtant, n’est pas sans importance. Car c’est aussi dans ce domaine, technique, du sauvetage et des interceptions, que se manifestent les ambiguïtés européennes.
D’un côté, on affirme vouloir sauver des vies, de l’autre on «pousse les personnes à prendre plus de risques en militarisant les frontières», affirme Charles Heller, du Centre for Architecture de l’université Goldsmiths de Londres. L’Agence européenne des droits fondamentaux, dans un récent rapport, rappelait une évidence: «Un système efficient de sauvetage en mer Méditerranée est essentiel pour sauver des vies.» Comprendre: ce système, aujourd’hui, n’est pas efficient.
Les chiffres le prouvent. Selon le collectif Fortress Europe, ce sont 19.142 personnes qui sont mortes aux frontières de l’Europe depuis 1988. En 2011, année jusqu’ici la plus meurtrière, le HCR estimait que 1.500 personnes avaient trouvé la mort lors de la traversée de la Méditerranée.
Pour François Crépeau, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants, «aujourd’hui, nous mettons des barrières et nous causons des morts. Ces naufrages ne sont pas une fatalité, ils ne devraient pas survenir».
Frontex renforcée, et après?
Parmi les mesures proposées par Cécilia Malmström, la principale est le renforcement de Frontex, l’agence de contrôle aux frontières extérieures de l’Europe, chargée de faciliter le travail conjoint des Etats européens (opérations de surveillance maritime, interception de migrants...) dans leur gestion des frontières. Critiquée pour son opacité, elle devrait bientôt se voir confier une grande opération de sauvetage en mer.
Elle sort donc renforcée de ce drame humain… alors même que son rôle lors d’intervention en mer n’est pas des plus clairs et que des discussions sont en cours au Parlement européen pour tenter de le clarifier. Une proposition de règlement relatif à la «surveillance des frontières maritimes extérieures» est sur la table et fait débat.
Pour Caroline Intrand, du réseau Migreurop, «cette proposition ne respecte pas du tout les exigences du droit international. D’un côté, elle interdit le refoulement, de l’autre elle l’organise». Il est vrai que l’article 4 du projet de règlement autorise le débarquement de migrants interceptés en mer «dans un pays tiers» (donc dans un pays non-membre de l’Union européenne, par exemple le pays de départ du bateau, la Libye ou la Tunisie).
Le commandant doit avoir «pris en considération la situation générale du pays». L’objectif: éviter de renvoyer des gens vers des pays où ils risquent la mort. Espérons que de fins géopoliticiens seront présents sur les bateaux.
Les participants aux opérations Frontex devront être en mesure «d’évaluer la situation personnelle» de chacun de ces migrants. Un point qui inquiète Judith Sunderland, de Human Rights Watch:
«Cette façon de faire est très dangereuse. Les participants à l’opération Frontex vont pouvoir décider, en vingt minutes, sur un bateau, si une personne peut demander l’asile ou si elle est vulnérable. Qui doit être renvoyé dans le pays de départ du bateau et qui ne le sera pas.»
Rappelons au passage qu’en mer, tous les coups ne sont pas permis. Le principe de non-refoulement (ne pas renvoyer un réfugié dans un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée) s’applique aussi. De plus, chaque migrant intercepté doit avoir le droit de demander l’asile.Des principes qui s’appliquent même en haute mer, comme l’a confirmé l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme de février 2012 Hirsi, Jamaa et autres contre Italie. Cette dernière avait été condamnée pour ses pratiques de refoulement vers la Libye.
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