Si l’on regarde la situation de la Syrie sans se soucier de polémique et avec un œil politique, celui du rapport de forces, l’observateur objectif se doit de constater que Vladimir Poutine mène le bal avec une telle maestria que les dirigeants politiques occidentaux ne sont désormais nullement en mesure de lui contester leur défaite.
Car de quoi s’agit-il, au juste ? Si nous mettons de côté les arguments insanes sur l’homme qui fait tirer sur son propre peuple, ou encore le comportement dictatorial attribué au chef d’Etat syrien, on ne replace jamais ce conflit dans son contexte historique qui est celui de la reconquête par l’islam fondamentaliste de l’ancien empire ottoman dans sa dimension spirituelle, c’est-à-dire la confusion théocratique entre la religion et l’Etat, le second étant soumis à la première en toutes circonstances.
Depuis plus de vingt ans, le monde arabo-musulman est l’objet d’une compétition acharnée entre l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Emirats du Golfe persique. Compétition, certes, mais objectif commun qui est d’éradiquer des Etats arabes non monarchiques le legs du ralliement de Kemal Atatürk à l’Occident via sa forme d’absence de spiritualité. En clair, si, depuis Atatürk, la gouvernance des pays issus de l’ancien Empire ottoman doit être athée, ses dirigeants laïcs et ses partenaires occidentaux, les monarchies pétrolières restées fidèles à la soumission au prophète ne l’entendent pas de cette oreille et financent largement les religieux rebelles à ce qui les scandalise le plus dans les régimes dits laïcs : ne pas se soumettre à Allah. Ils les aident sans limite de fonds, quelle que soit par ailleurs leur obédience mahométane.
Des formes prises par cet islam politique, que les chefs soient chiites, sunnites, salafistes, frères musulmans ou autres, nous n’avons pas grand-chose à en savoir sinon que leur objectif commun est la fin de cette forme de laïcité dans les cinq Etats qui subissent ces tentatives de renversement du pouvoir en place dont les écrans de télévision sont saturés.
La vérité, que les médias dissimulent vraisemblablement par ignorance, c’est que tous les pays visés par ce que l’on a appelé le « Printemps arabe » étaient, sans exception, des Etats-nations qui s’étaient écartés de la nation arabe, de l’islam et de sa forme de gouvernance juridique, la charia, par un principe de séparation de la religion et de l’Etat. En clair, les chefs d’Etat et de gouvernement de ces pays ne voulaient avoir aucun compte à rendre à des religieux souvent incultes qu’ils méprisaient. Dans tous les cas, la référence implicite était le kémalisme. Pour faire simple, l’ennemi commun est la loi française de séparation de l’Eglise et de l’Etat, dite loi de 1905, qui a servi de modèle au chef d’Etat turc et franc-maçon, Moustapha Kemal, père de la Nation turque, dont l’aura a débordé sur ses voisins immédiats (Syrie, Irak) ainsi que les anciennes provinces qui furent directement gouvernées par des beys désignés par la Sublime Porte (Egypte, Tunisie), les autres pays arabes étant des monarchies de droit divin (Maroc, Arabie Saoudite, Jordanie, Libye avant Kadhafi, principautés du Golfe persique, etc.) dont les dirigeants descendent du prophète et sont donc protégés par leur sang d’origine divine. Ces monarchies épargnées par le pseudo-« Printemps arabe » sont en réalité les vecteurs d’une reconquête, d’une anti-croisade, dont les victimes collatérales sont les Arabes chrétiens, qu’ils soient coptes, chrétiens d’Irak ou de Syrie, chrétiens orthodoxes libanais ou autres.
Le kémalisme a été la référence du Néo-Destour en Tunisie, des partis baasistes en Syrie et en Irak, du nassérisme en Egypte ou du culte de Kadhafi en Libye. Cette forme de gouvernance était exclusive de toute influence des religieux et de leurs affidés, ce qui explique largement la totale incompétence de ceux-ci lors de leur arrivée aux affaires, les responsables de ces groupes ayant été soigneusement écartés de toute responsabilité dans l’appareil d’Etat ou dans les entreprises privées ou publiques pendant tout ce temps.
Ce qui a été déterminant dans l’offensive des monarchies pétrolières pour financer ces simulacres de révolutions, c’est la victoire en 2003 du parti AKP de Recep Tayyip Erdogan aux élections législatives de Turquie. Sa nomination au poste de premier ministre, qu’il occupe toujours aujourd’hui, l’a amené à conduire une nouvelle politique étrangère qu’il qualifie lui-même de néo-ottomane, mais qui a créé l’illusion que l’islam pouvait être neutre, voire favorable au climat des affaires et à l’industrie, alors que la Turquie avait surtout bénéficié du Traité d’union douanière de 1995 avec l’Union européenne et des investissements massifs des industriels allemands, français et italiens qui surfaient alors sur la vague des délocalisations.
Le puissant fleuve théocratique souterrain qui irrigue l’ensemble du monde musulman alimente le rêve historique des maîtres autrefois de Byzance, puis de Constantinople, aujourd’hui d’Istanboul, qui est de faire tourner la planète autour d’eux. Là encore, pour simplifier, c’est l’aboutissement de la volonté de revanche, de cet objectif du monde arabo-musulman, qui remonte à 1924, d’une victoire posthume des théories d’Ibn-Séoud (le monde ottoman doit être islamique) sur celles de Kemal Atatürk (le monde ottoman doit être laïc).
Le désastre politico-militaire qui déchire le Moyen-Orient est le fruit de ces illusions. Après avoir, dans un premier temps, étendu son influence commerciale sur la plupart de ces pays, obtenant notamment en Libye des contrats particulièrement importants dans le domaine du BTP, l’ancien maire d’Istanboul a voulu soutenir les chefs de guerre de l’islam dans une région à l’instabilité habituelle qui aurait dû le rendre prudent. Le rapprochement avec l’Arabie Saoudite, mené par le président, a accompagné le programme de construction de mosquées (une pour cinq cents habitants) pour la plupart vides, mais ce rapprochement avec les Saoudiens a créé des obligations dont l’une est l’accueil massif de réfugiés syriens, victimes de la guerre civile financée par la même Arabie Saoudite. Ces Syriens, tous « bons musulmans », déstabilisent désormais le Hatay, province autrefois sous protectorat français, de 1919 à 1940, et connue alors sous le nom de Sandjak d’Alexandrette. La France restitua cette province ottomane à la Turquie en 1940 à l’issue de négociations difficiles menées sur fond de déroute française par l’ambassadeur René Massigli, mais dont l’un des aspects positifs fut la neutralité de l’armée turque tout au long de la deuxième guerre mondiale.
Soixante-treize ans plus tard, le retour massif des Syriens réfugiés est une autre défaite pour les kémalistes. Il y a en effet tout à parier que ces Syriens ne repartiront plus, renforçant ainsi l’enclave arabe dans cette région où les Turcs sont majoritaires.
C’est à la lumière de cet éclairage historique qu’il faut examiner la situation en Syrie, dont personne ne semble comprendre la volonté d’acier des Russes et des Chinois de défendre Bachar el-Assad envers et contre tout, qui est pourtant, ici aussi, très simple à comprendre.
Car de quoi s’agit-il, au juste ? Si nous mettons de côté les arguments insanes sur l’homme qui fait tirer sur son propre peuple, ou encore le comportement dictatorial attribué au chef d’Etat syrien, on ne replace jamais ce conflit dans son contexte historique qui est celui de la reconquête par l’islam fondamentaliste de l’ancien empire ottoman dans sa dimension spirituelle, c’est-à-dire la confusion théocratique entre la religion et l’Etat, le second étant soumis à la première en toutes circonstances.
Depuis plus de vingt ans, le monde arabo-musulman est l’objet d’une compétition acharnée entre l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Emirats du Golfe persique. Compétition, certes, mais objectif commun qui est d’éradiquer des Etats arabes non monarchiques le legs du ralliement de Kemal Atatürk à l’Occident via sa forme d’absence de spiritualité. En clair, si, depuis Atatürk, la gouvernance des pays issus de l’ancien Empire ottoman doit être athée, ses dirigeants laïcs et ses partenaires occidentaux, les monarchies pétrolières restées fidèles à la soumission au prophète ne l’entendent pas de cette oreille et financent largement les religieux rebelles à ce qui les scandalise le plus dans les régimes dits laïcs : ne pas se soumettre à Allah. Ils les aident sans limite de fonds, quelle que soit par ailleurs leur obédience mahométane.
Des formes prises par cet islam politique, que les chefs soient chiites, sunnites, salafistes, frères musulmans ou autres, nous n’avons pas grand-chose à en savoir sinon que leur objectif commun est la fin de cette forme de laïcité dans les cinq Etats qui subissent ces tentatives de renversement du pouvoir en place dont les écrans de télévision sont saturés.
La vérité, que les médias dissimulent vraisemblablement par ignorance, c’est que tous les pays visés par ce que l’on a appelé le « Printemps arabe » étaient, sans exception, des Etats-nations qui s’étaient écartés de la nation arabe, de l’islam et de sa forme de gouvernance juridique, la charia, par un principe de séparation de la religion et de l’Etat. En clair, les chefs d’Etat et de gouvernement de ces pays ne voulaient avoir aucun compte à rendre à des religieux souvent incultes qu’ils méprisaient. Dans tous les cas, la référence implicite était le kémalisme. Pour faire simple, l’ennemi commun est la loi française de séparation de l’Eglise et de l’Etat, dite loi de 1905, qui a servi de modèle au chef d’Etat turc et franc-maçon, Moustapha Kemal, père de la Nation turque, dont l’aura a débordé sur ses voisins immédiats (Syrie, Irak) ainsi que les anciennes provinces qui furent directement gouvernées par des beys désignés par la Sublime Porte (Egypte, Tunisie), les autres pays arabes étant des monarchies de droit divin (Maroc, Arabie Saoudite, Jordanie, Libye avant Kadhafi, principautés du Golfe persique, etc.) dont les dirigeants descendent du prophète et sont donc protégés par leur sang d’origine divine. Ces monarchies épargnées par le pseudo-« Printemps arabe » sont en réalité les vecteurs d’une reconquête, d’une anti-croisade, dont les victimes collatérales sont les Arabes chrétiens, qu’ils soient coptes, chrétiens d’Irak ou de Syrie, chrétiens orthodoxes libanais ou autres.
Le kémalisme a été la référence du Néo-Destour en Tunisie, des partis baasistes en Syrie et en Irak, du nassérisme en Egypte ou du culte de Kadhafi en Libye. Cette forme de gouvernance était exclusive de toute influence des religieux et de leurs affidés, ce qui explique largement la totale incompétence de ceux-ci lors de leur arrivée aux affaires, les responsables de ces groupes ayant été soigneusement écartés de toute responsabilité dans l’appareil d’Etat ou dans les entreprises privées ou publiques pendant tout ce temps.
Ce qui a été déterminant dans l’offensive des monarchies pétrolières pour financer ces simulacres de révolutions, c’est la victoire en 2003 du parti AKP de Recep Tayyip Erdogan aux élections législatives de Turquie. Sa nomination au poste de premier ministre, qu’il occupe toujours aujourd’hui, l’a amené à conduire une nouvelle politique étrangère qu’il qualifie lui-même de néo-ottomane, mais qui a créé l’illusion que l’islam pouvait être neutre, voire favorable au climat des affaires et à l’industrie, alors que la Turquie avait surtout bénéficié du Traité d’union douanière de 1995 avec l’Union européenne et des investissements massifs des industriels allemands, français et italiens qui surfaient alors sur la vague des délocalisations.
Le puissant fleuve théocratique souterrain qui irrigue l’ensemble du monde musulman alimente le rêve historique des maîtres autrefois de Byzance, puis de Constantinople, aujourd’hui d’Istanboul, qui est de faire tourner la planète autour d’eux. Là encore, pour simplifier, c’est l’aboutissement de la volonté de revanche, de cet objectif du monde arabo-musulman, qui remonte à 1924, d’une victoire posthume des théories d’Ibn-Séoud (le monde ottoman doit être islamique) sur celles de Kemal Atatürk (le monde ottoman doit être laïc).
Le désastre politico-militaire qui déchire le Moyen-Orient est le fruit de ces illusions. Après avoir, dans un premier temps, étendu son influence commerciale sur la plupart de ces pays, obtenant notamment en Libye des contrats particulièrement importants dans le domaine du BTP, l’ancien maire d’Istanboul a voulu soutenir les chefs de guerre de l’islam dans une région à l’instabilité habituelle qui aurait dû le rendre prudent. Le rapprochement avec l’Arabie Saoudite, mené par le président, a accompagné le programme de construction de mosquées (une pour cinq cents habitants) pour la plupart vides, mais ce rapprochement avec les Saoudiens a créé des obligations dont l’une est l’accueil massif de réfugiés syriens, victimes de la guerre civile financée par la même Arabie Saoudite. Ces Syriens, tous « bons musulmans », déstabilisent désormais le Hatay, province autrefois sous protectorat français, de 1919 à 1940, et connue alors sous le nom de Sandjak d’Alexandrette. La France restitua cette province ottomane à la Turquie en 1940 à l’issue de négociations difficiles menées sur fond de déroute française par l’ambassadeur René Massigli, mais dont l’un des aspects positifs fut la neutralité de l’armée turque tout au long de la deuxième guerre mondiale.
Soixante-treize ans plus tard, le retour massif des Syriens réfugiés est une autre défaite pour les kémalistes. Il y a en effet tout à parier que ces Syriens ne repartiront plus, renforçant ainsi l’enclave arabe dans cette région où les Turcs sont majoritaires.
C’est à la lumière de cet éclairage historique qu’il faut examiner la situation en Syrie, dont personne ne semble comprendre la volonté d’acier des Russes et des Chinois de défendre Bachar el-Assad envers et contre tout, qui est pourtant, ici aussi, très simple à comprendre.
Commentaire