Le roi Mohammed VI a reçu les familles des victimes du pédophile espagnol Daniel Galvan, le 7 août. Leurs visages ont été floutés.
C'est un détail, mais il est révélateur des tabous sur la pédophilie au Maroc. Du quartier où vivait Daniel Galvan, le pédophile gracié dans un premier temps par le roi Mohammed VI, le 31 juillet, pratiquement aucune image n'a été publiée. De ce grand ensemble d'immeubles blancs bâtis à la va-vite pour loger toute une population venue des campagnes, aucun média marocain n'a jamais divulgué le nom.
Même si l'adresse de l'Espagnol n'était pas un secret d'Etat, le silence a toujours prévalu sur la localisation précise de ce quartier modeste, situé en périphérie de Kenitra, l'une des principales cités industrielles du pays, à 40 km au nord de Rabat. Les raisons invoquées de cette discrétion ? La nécessité de "protéger" les enfants. Mais surtout le souci de préserver la "réputation" des familles.
Lorsque Mohammed VI a reçu ces dernières, le 7 août, pour s'excuser de sa grâce malencontreuse, leurs visages étaient floutés. Des précautions importantes ont ensuite été prises pour éviter tout nouvel impair auprès d'une opinion publique marocaine mal à l'aise sur le sujet.
Lire nos explications L'affaire du pédophile espagnol gracié au Maroc en 4 questions
"TOUCHE PAS À MES ENFANTS"
Najia Adib est bien placée pour le savoir. C'est elle qui, en 2004, a lancé l'une des deux seules associations marocaines spécialisées dans l'aide aux mineurs abusés sexuellement, Touche pas à mes enfants. Son engagement est le fruit d'un drame personnel. En 2002, cette quadragénaire énergique, employée de la fonction publique, a été la première mère d'une victime de pédophilie à témoigner à visage découvert à la télévision marocaine.
Quelques mois plus tôt, elle avait découvert que sa fille de 4 ans avait été abusée par le gardien de son école. Najia Adib a pu désigner l'agresseur grâce à un test ADN réalisé sur les sous-vêtements de la fillette. "Malgré cela, j'ai tout entendu", dit-elle. Dans un pays où les faux témoignages s'achètent pour quelques dirhams, Mme Adib s'est notamment entendu dire que sa plainte était un complot pour faire fermer l'établissement.
Même devant les tribunaux, la partie n'a pas été simple. Malgré le test ADN et les aveux du gardien expliquant qu'il avait fait des attouchements sur plusieurs enfants, seulement deux ans de prison ont été prononcés à son encontre. Il faudra plusieurs sit-in devant l'école et un procès en appel pour obtenir ce qui est aujourd'hui devenu une peine moyenne : cinq ans de prison.
LE POIDS DU TABOU
Sur le papier, le droit marocain n'est pourtant pas laxiste. Il prévoit jusqu'à trente ans d'emprisonnement pour un viol sur mineur. "Le problème, ce n'est pas la loi mais la perception de ce type d'actes. Ils ne sont pas considérés comme des crimes graves et sont punis comme des petits délits", résume Me Yassine Krari, avocat de l'association.
La condamnation de Daniel Galvan à trente ans de réclusion, en 2011, fait figure d'exception. Cette peine sévère n'a été obtenue que grâce aux très nombreuses preuves photo et vidéo – Daniel Galvan diffusait et monnayait ses ébats avec les enfants.
A cause du poids du tabou, nombre d'affaires se terminent bien différemment : sans bruit, par des arrangements à l'amiable. Notamment grâce à un article contesté du code pénal marocain : l'article 475, qui permet à l'auteur d'une agression sur une mineure "nubile" d'être exempté de peine s'il l'épouse.
"UNE SOCIÉTÉ TRÈS EMPREINTE DE RELIGION MUSULMANE"
"Les printemps arabes ont fait évoluer beaucoup de choses, analyse Hamid Krairi, avocat de plusieurs victimes de Daniel Galvan et militant de l'Association marocaine des droits de l'homme. Mais ce mouvement n'a pas modifié en profondeur une société très empreinte de religion musulmane."
La pédophilie n'est pas le seul fait du tourisme sexuel, soulignent les militants. La prostitution des enfants des rues est un sujet tout aussi important, estime Mme Adib, mais ceux-ci ne déposent jamais plainte. Aussi place-t-elle le cœur de son combat d'abord auprès des classes populaires, touchées en majorité, puis auprès des classes aisées qui ne sont, selon elle, pas épargnées et chez lesquelles "il y a peu de surveillance des enfants".
Les moyens de Touche pas à mes enfants restent modestes. Les médecins et avocats vers qui Najia Adib oriente les victimes sont bénévoles, et les subventions aléatoires. L'affaire Galvan pourrait, veut-elle espérer, "servir de message à l'attention des juges".
Elise Vincent (Rabat, Kenitra, envoyée spéciale)
C'est un détail, mais il est révélateur des tabous sur la pédophilie au Maroc. Du quartier où vivait Daniel Galvan, le pédophile gracié dans un premier temps par le roi Mohammed VI, le 31 juillet, pratiquement aucune image n'a été publiée. De ce grand ensemble d'immeubles blancs bâtis à la va-vite pour loger toute une population venue des campagnes, aucun média marocain n'a jamais divulgué le nom.
Même si l'adresse de l'Espagnol n'était pas un secret d'Etat, le silence a toujours prévalu sur la localisation précise de ce quartier modeste, situé en périphérie de Kenitra, l'une des principales cités industrielles du pays, à 40 km au nord de Rabat. Les raisons invoquées de cette discrétion ? La nécessité de "protéger" les enfants. Mais surtout le souci de préserver la "réputation" des familles.
Lorsque Mohammed VI a reçu ces dernières, le 7 août, pour s'excuser de sa grâce malencontreuse, leurs visages étaient floutés. Des précautions importantes ont ensuite été prises pour éviter tout nouvel impair auprès d'une opinion publique marocaine mal à l'aise sur le sujet.
Lire nos explications L'affaire du pédophile espagnol gracié au Maroc en 4 questions
"TOUCHE PAS À MES ENFANTS"
Najia Adib est bien placée pour le savoir. C'est elle qui, en 2004, a lancé l'une des deux seules associations marocaines spécialisées dans l'aide aux mineurs abusés sexuellement, Touche pas à mes enfants. Son engagement est le fruit d'un drame personnel. En 2002, cette quadragénaire énergique, employée de la fonction publique, a été la première mère d'une victime de pédophilie à témoigner à visage découvert à la télévision marocaine.
Quelques mois plus tôt, elle avait découvert que sa fille de 4 ans avait été abusée par le gardien de son école. Najia Adib a pu désigner l'agresseur grâce à un test ADN réalisé sur les sous-vêtements de la fillette. "Malgré cela, j'ai tout entendu", dit-elle. Dans un pays où les faux témoignages s'achètent pour quelques dirhams, Mme Adib s'est notamment entendu dire que sa plainte était un complot pour faire fermer l'établissement.
Même devant les tribunaux, la partie n'a pas été simple. Malgré le test ADN et les aveux du gardien expliquant qu'il avait fait des attouchements sur plusieurs enfants, seulement deux ans de prison ont été prononcés à son encontre. Il faudra plusieurs sit-in devant l'école et un procès en appel pour obtenir ce qui est aujourd'hui devenu une peine moyenne : cinq ans de prison.
LE POIDS DU TABOU
Sur le papier, le droit marocain n'est pourtant pas laxiste. Il prévoit jusqu'à trente ans d'emprisonnement pour un viol sur mineur. "Le problème, ce n'est pas la loi mais la perception de ce type d'actes. Ils ne sont pas considérés comme des crimes graves et sont punis comme des petits délits", résume Me Yassine Krari, avocat de l'association.
La condamnation de Daniel Galvan à trente ans de réclusion, en 2011, fait figure d'exception. Cette peine sévère n'a été obtenue que grâce aux très nombreuses preuves photo et vidéo – Daniel Galvan diffusait et monnayait ses ébats avec les enfants.
A cause du poids du tabou, nombre d'affaires se terminent bien différemment : sans bruit, par des arrangements à l'amiable. Notamment grâce à un article contesté du code pénal marocain : l'article 475, qui permet à l'auteur d'une agression sur une mineure "nubile" d'être exempté de peine s'il l'épouse.
"UNE SOCIÉTÉ TRÈS EMPREINTE DE RELIGION MUSULMANE"
"Les printemps arabes ont fait évoluer beaucoup de choses, analyse Hamid Krairi, avocat de plusieurs victimes de Daniel Galvan et militant de l'Association marocaine des droits de l'homme. Mais ce mouvement n'a pas modifié en profondeur une société très empreinte de religion musulmane."
La pédophilie n'est pas le seul fait du tourisme sexuel, soulignent les militants. La prostitution des enfants des rues est un sujet tout aussi important, estime Mme Adib, mais ceux-ci ne déposent jamais plainte. Aussi place-t-elle le cœur de son combat d'abord auprès des classes populaires, touchées en majorité, puis auprès des classes aisées qui ne sont, selon elle, pas épargnées et chez lesquelles "il y a peu de surveillance des enfants".
Les moyens de Touche pas à mes enfants restent modestes. Les médecins et avocats vers qui Najia Adib oriente les victimes sont bénévoles, et les subventions aléatoires. L'affaire Galvan pourrait, veut-elle espérer, "servir de message à l'attention des juges".
Elise Vincent (Rabat, Kenitra, envoyée spéciale)