De péripéties en péripéties, les relations maroco-algériennes ont vécu des moments de réelles crises. Retour sur un différend vieux de quarante ans.
Avant que l’affaire du Sahara n’éclate, le contexte entre le Maroc et l’Algérie était tendu, malgré une phase de realpolitik, sanctionnée par les traités de tracés des frontières d’Ifrane (1969) et de Tlemcen (1970). La position de l’équipe gouvernante algérienne sur les deux tentatives de coup d’état au Maroc était ambigüe : en 1973, des maquisards, venant de Libye en passant par l’Algérie, se sont infiltrés dans le sud-est du pays. Feu Hassan II, boycotta alors le sommet des Non-alignés, tenu en 1973 à Alger. Et lors du sommet arabe de 1974 à Rabat, où pourtant il avait dit que l’Algérie n’avait pas de prétentions sur le Sahara, le président algérien, Houari Boumedienne, quitta le sommet avant la fin de ses travaux, affichant sa colère de voir la revendication du Maroc sur le Sahara portée devant la Ligue arabe. C’est dans ce contexte tendu que Boumedienne donna une interview au magazine Afrique Asie sur le système «vermoulu» du royaume chérifien, en s’attaquant même à l’affairisme de la famille royale. La teneur du propos avait tout d’un discours d’opposition, plus que celui d’un responsable d’un pays voisin.
L’entremise saoudienne
Dans ce contexte pourtant, il allait y avoir quelques velléités de rafistolage. Abdelaziz Bouteflika, le chef de la diplomatie algérienne de l’époque, s’attèle, de concert avec feu Al Haj M’hammed Bahnini qui paraissait «Monsieur Algérie» à Dar Al Makhzen et reçu par le président algérien Boumedienne en octobre 1975, à un heureux dénouement au différend qui opposait les deux pays. On était tout proche d’une solution. Mais les militaires algériens, de concert avec la ligne révolutionnaire, allaient opter pour l’escalade. La Marche verte était considérée comme un coup de force par les autorités algériennes et la débâcle de l’armée algérienne à Amgala exacerba les tensions. D’après les mémoires de Chadli, qui était chef de la région militaire de l’Oranais, Boumedienne ne s’est résolu à une bataille diplomatique que lorsqu’il s’aperçut que l’option militaire n’avait pas d’issue. « Si Abdelaaziz ! Prépare tes katiba, lui dit-il », excédé qu’il ne pût régler le différend militairement.
Les deux pays frisèrent le pire. Mais, la tension fut sous contrôle et les deux chefs d’état de l’époque devaient se retrouver en 1978 à Bruxelles pour résorber leur différend. Sauf que Boumedienne disparut suite à une mystérieuse maladie et l’affaire du Sahara devint un héritage. L’Arabie Saoudite, qui avait joué les bons offices pour les prisonniers algériens détenus à la suite de la bataille d’Amgala, devint le lubrifiant attitré dans une diplomatie de coulisses, et par cette symbolique des gestes, quand feu Hassan II et feu Chadli Benjedid se «croisèrent» sur les marches qui mènent à l’enceinte de la Kaâba en marge des travaux de l’OCI. L’enceinte est un lieu Horm où toutes les divergences entre musulmans disparaissent.
Les deux chefs continuèrent à se voir, toujours par l’entremise de l’Arabie Saoudite, sur la frontière dans le lieu nommé Zouj Bghal, ou Al ‘Aqid Lotfi, en 1983, puis en 1986. Lors de la première rencontre, Hassan II, était accompagné de ses deux fils, Sidi Mohammed, alors prince héritier et actuel roi, et le prince Moulay Rachid. On ne pouvait s’y tromper, Hassan II, voulait à la fois rappeler l’incident de l’avion marocain qui transportait les chefs historiques, arraisonné par l’aviation française en 1956, quand Mohammed V était prêt à échanger ses deux fils, pour ses illustres hôtes, et réitérer les liens tissés lors de la guerre de libération.
Il y eut prise de langue, et Hassan II, dans une interview, disait du locataire de la Mouradia de l’époque, Chadli, qu’il aimait le Maroc. Il y eut coup de théâtre quand Hassan II reçut un émissaire algérien venu l’inviter au sommet arabe tenu à Alger en juin 1988. «Comment pourrai-je me rendre à Alger, alors que je n’ai pas d’ambassadeur !», lui lança-t-il tout de go. L’émissaire ne croyait pas ses oreilles, mais c’est au pays qui a rompu les relations diplomatiques de faire le premier pas pour les reprendre, et décision fut prise pour les reprendre.
L’incartade de trop ?
C’était l’embellie. Hassan II a choisi un de ses médecins, en l’occurrence le docteur Abdellatif Berbich, pour être son ambassadeur à Alger. C’était comme pour spécifier qu’il fallait faire le bon diagnostic pour pouvoir administrer la bonne posologie. L’Algérie, pour sa part, choisit feu Abdelhamid Mehri, un vieux routier du FLN, marocanisant, qui, lors de la guerre de libération, a vécu de bonnes années à Rabat en contact avec l’élite nationaliste. En marge du sommet arabe tenu à Alger, les chefs d’état maghrébins se retrouvèrent dans la station balnéaire de Zeralda pour faire ressusciter ce vieux rêve qui a rythmé les mouvements nationalistes et la guerre de libération en Algérie, l’unité du Maghreb.
Les commissions interministérielles se multiplièrent et la frontière ouverte entre les deux pays vit un mouvement ininterrompu de circulation de personnes, de biens et d’idées. Les préjugés savamment entretenus fondaient et l’Algérie, soumise à rude épreuve avec la chute des prix des hydrocarbures, ne put faire l’économie d’une grande secousse en octobre 1988, mettant fin à plusieurs certitudes qui faisaient la vulgate de l’Algérie révolutionnaire. La bourrasque fut forte et les effets incommensurables. Les experts des deux pays continuaient de se voir et en marge d’une réunion de routine pour baliser la voie au vieux projet du Maghreb, Hassan II reçut à Fès le chef de la délégation algérienne, le secrétaire général du FLN de l’époque, feu Chérif Messadia, le chef de la diplomatie algérienne, Taleb Ibrahimi, et l’ambassadeur Mehri. Dans l’enceinte du Palais, je dévissais avec celui qui était chef de la division presse et information, au ministère des Affaires étrangères d’Algérie, un certain Ramadane Laâmamra, sur un sujet tabou, l’amazighité. Les faubourgs d’Ifrane, qu’il avait découverts en accompagnant feu Chadli Benjdid, invité par feu Hassan II pour une battue, lui rappelèrent, m’avait-il dit sa petite Kabylie. Parmi les indiscrétions que nous recueillîmes, Messadia devait dire, en guise de boutade à Hassan II, qu’il devait être Roi, et du Maroc, et de l’Algérie. Ce à quoi Hassan II devait répondre : «Mon Maroc me suffit, avec ses contours». Les émissaires algériens s’envolèrent pour retrouver une nouvelle donne. Messadia n’est plus secrétaire général du FLN. Il est remplacé par l’ambassadeur algérien à Rabat (l’incartade de Messadia devait-elle précipiter son limogeage et la promotion de l’ambassadeur n’explique-t-elle pas cela ?), de même que l’emblématique patron de la diplomatie, Ibrahimi, devait céder son poste à celui qui était ambassadeur à Genève, Boualem Bessayeh.
Zaman
à suivre
Avant que l’affaire du Sahara n’éclate, le contexte entre le Maroc et l’Algérie était tendu, malgré une phase de realpolitik, sanctionnée par les traités de tracés des frontières d’Ifrane (1969) et de Tlemcen (1970). La position de l’équipe gouvernante algérienne sur les deux tentatives de coup d’état au Maroc était ambigüe : en 1973, des maquisards, venant de Libye en passant par l’Algérie, se sont infiltrés dans le sud-est du pays. Feu Hassan II, boycotta alors le sommet des Non-alignés, tenu en 1973 à Alger. Et lors du sommet arabe de 1974 à Rabat, où pourtant il avait dit que l’Algérie n’avait pas de prétentions sur le Sahara, le président algérien, Houari Boumedienne, quitta le sommet avant la fin de ses travaux, affichant sa colère de voir la revendication du Maroc sur le Sahara portée devant la Ligue arabe. C’est dans ce contexte tendu que Boumedienne donna une interview au magazine Afrique Asie sur le système «vermoulu» du royaume chérifien, en s’attaquant même à l’affairisme de la famille royale. La teneur du propos avait tout d’un discours d’opposition, plus que celui d’un responsable d’un pays voisin.
L’entremise saoudienne
Dans ce contexte pourtant, il allait y avoir quelques velléités de rafistolage. Abdelaziz Bouteflika, le chef de la diplomatie algérienne de l’époque, s’attèle, de concert avec feu Al Haj M’hammed Bahnini qui paraissait «Monsieur Algérie» à Dar Al Makhzen et reçu par le président algérien Boumedienne en octobre 1975, à un heureux dénouement au différend qui opposait les deux pays. On était tout proche d’une solution. Mais les militaires algériens, de concert avec la ligne révolutionnaire, allaient opter pour l’escalade. La Marche verte était considérée comme un coup de force par les autorités algériennes et la débâcle de l’armée algérienne à Amgala exacerba les tensions. D’après les mémoires de Chadli, qui était chef de la région militaire de l’Oranais, Boumedienne ne s’est résolu à une bataille diplomatique que lorsqu’il s’aperçut que l’option militaire n’avait pas d’issue. « Si Abdelaaziz ! Prépare tes katiba, lui dit-il », excédé qu’il ne pût régler le différend militairement.
Les deux pays frisèrent le pire. Mais, la tension fut sous contrôle et les deux chefs d’état de l’époque devaient se retrouver en 1978 à Bruxelles pour résorber leur différend. Sauf que Boumedienne disparut suite à une mystérieuse maladie et l’affaire du Sahara devint un héritage. L’Arabie Saoudite, qui avait joué les bons offices pour les prisonniers algériens détenus à la suite de la bataille d’Amgala, devint le lubrifiant attitré dans une diplomatie de coulisses, et par cette symbolique des gestes, quand feu Hassan II et feu Chadli Benjedid se «croisèrent» sur les marches qui mènent à l’enceinte de la Kaâba en marge des travaux de l’OCI. L’enceinte est un lieu Horm où toutes les divergences entre musulmans disparaissent.
Les deux chefs continuèrent à se voir, toujours par l’entremise de l’Arabie Saoudite, sur la frontière dans le lieu nommé Zouj Bghal, ou Al ‘Aqid Lotfi, en 1983, puis en 1986. Lors de la première rencontre, Hassan II, était accompagné de ses deux fils, Sidi Mohammed, alors prince héritier et actuel roi, et le prince Moulay Rachid. On ne pouvait s’y tromper, Hassan II, voulait à la fois rappeler l’incident de l’avion marocain qui transportait les chefs historiques, arraisonné par l’aviation française en 1956, quand Mohammed V était prêt à échanger ses deux fils, pour ses illustres hôtes, et réitérer les liens tissés lors de la guerre de libération.
Il y eut prise de langue, et Hassan II, dans une interview, disait du locataire de la Mouradia de l’époque, Chadli, qu’il aimait le Maroc. Il y eut coup de théâtre quand Hassan II reçut un émissaire algérien venu l’inviter au sommet arabe tenu à Alger en juin 1988. «Comment pourrai-je me rendre à Alger, alors que je n’ai pas d’ambassadeur !», lui lança-t-il tout de go. L’émissaire ne croyait pas ses oreilles, mais c’est au pays qui a rompu les relations diplomatiques de faire le premier pas pour les reprendre, et décision fut prise pour les reprendre.
L’incartade de trop ?
C’était l’embellie. Hassan II a choisi un de ses médecins, en l’occurrence le docteur Abdellatif Berbich, pour être son ambassadeur à Alger. C’était comme pour spécifier qu’il fallait faire le bon diagnostic pour pouvoir administrer la bonne posologie. L’Algérie, pour sa part, choisit feu Abdelhamid Mehri, un vieux routier du FLN, marocanisant, qui, lors de la guerre de libération, a vécu de bonnes années à Rabat en contact avec l’élite nationaliste. En marge du sommet arabe tenu à Alger, les chefs d’état maghrébins se retrouvèrent dans la station balnéaire de Zeralda pour faire ressusciter ce vieux rêve qui a rythmé les mouvements nationalistes et la guerre de libération en Algérie, l’unité du Maghreb.
Les commissions interministérielles se multiplièrent et la frontière ouverte entre les deux pays vit un mouvement ininterrompu de circulation de personnes, de biens et d’idées. Les préjugés savamment entretenus fondaient et l’Algérie, soumise à rude épreuve avec la chute des prix des hydrocarbures, ne put faire l’économie d’une grande secousse en octobre 1988, mettant fin à plusieurs certitudes qui faisaient la vulgate de l’Algérie révolutionnaire. La bourrasque fut forte et les effets incommensurables. Les experts des deux pays continuaient de se voir et en marge d’une réunion de routine pour baliser la voie au vieux projet du Maghreb, Hassan II reçut à Fès le chef de la délégation algérienne, le secrétaire général du FLN de l’époque, feu Chérif Messadia, le chef de la diplomatie algérienne, Taleb Ibrahimi, et l’ambassadeur Mehri. Dans l’enceinte du Palais, je dévissais avec celui qui était chef de la division presse et information, au ministère des Affaires étrangères d’Algérie, un certain Ramadane Laâmamra, sur un sujet tabou, l’amazighité. Les faubourgs d’Ifrane, qu’il avait découverts en accompagnant feu Chadli Benjdid, invité par feu Hassan II pour une battue, lui rappelèrent, m’avait-il dit sa petite Kabylie. Parmi les indiscrétions que nous recueillîmes, Messadia devait dire, en guise de boutade à Hassan II, qu’il devait être Roi, et du Maroc, et de l’Algérie. Ce à quoi Hassan II devait répondre : «Mon Maroc me suffit, avec ses contours». Les émissaires algériens s’envolèrent pour retrouver une nouvelle donne. Messadia n’est plus secrétaire général du FLN. Il est remplacé par l’ambassadeur algérien à Rabat (l’incartade de Messadia devait-elle précipiter son limogeage et la promotion de l’ambassadeur n’explique-t-elle pas cela ?), de même que l’emblématique patron de la diplomatie, Ibrahimi, devait céder son poste à celui qui était ambassadeur à Genève, Boualem Bessayeh.
Zaman
à suivre
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