Bonjour, Sonacotra, c'est un genre de camp de concentration pour travailleurs, qui peut vivre dans des chambres de 4 m2 ?
Evidemment c'est plus facile de faire des reportages télévisés sur les conditions d'hébergements des travailleurs à l'étranger que sur son propre sol.
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Ce nom, c'est une malédiction. Impossible d'effacer la tache originelle, de gommer l'image de ces "foyers-prisons", de ces "foyers-casernes", où la France coloniale a entassé, dès la fin des années 1950, des dizaines de milliers d'ouvriers maghrébins, des Algériens pour la plupart, si précieux à l'époque pour redémarrer l'industrie en métropole. Impossible d'oublier, surtout, la fameuse grève des loyers, qui dura cinq ans, de 1975 à 1980, et acheva de détruire la réputation de cette institution si française, devenue synonyme de ségrégation et de discrimination.
"Dans ce combat du désespoir, "les Sonacotra" comme on les appelle, déclencheront l'une des résistances les plus dures, mais aussi les plus réprimées de l'histoire de l'immigration en France", écrit Jean Benoît dans le Monde du 5 août 1980, au lendemain du protocole d'accord qui signe la fin du conflit.
A l'origine, les pouvoirs publics l'appellent Sonacotral : Société nationale de construction pour les travailleurs algériens. Nous sommes en 1956. Au sud de la Méditerranée, la guerre d'Algérie bat son plein. "Tandis que les appelés français embarquent pour des opérations de maintien de l'ordre, un grand nombre d'Algériens font le voyage en sens inverse", rappelle une récente brochure de l'institution. Ce n'est qu'en 1963, un an après la proclamation de l'indépendance de l'Algérie, que le "l" final tombera. La Sonacotral devient la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotra).
Première mission assignée à cette société d'économie mixte, dans laquelle l'Etat est majoritaire : résorber les bidonvilles qui poussent comme des champignons autour des grandes villes, et offrir un logement décent aux travailleurs étrangers. C'est l'idée vertueuse, affichée par Claudius Petit, ancien ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, qui en sera le premier président.
En réalité, on fait d'une pierre deux coups. Tout en luttant contre la pénurie de logements, effectivement vertigineuse et dénoncée, dès l'hiver 1954, par l'abbé Pierre, on fournit aux usines et aux chantiers une main-d'oeuvre bon marché, logée à proximité, docile et dure à la tâche. A la fin des années 1970, les premiers "foyers-hôtels" abritent quelque 150 000 hommes, essentiellement des Maghrébins.
Les chambres sont des mouchoirs de poche de 9 m2. Elles deviennent vite surpeuplées. On y dort à deux, voire trois. Ou bien à tour de rôle. Pragmatique, la Sonacotra décide de diviser les chambres en deux, "ce qui permettait de diviser le loyer d'autant", relève son actuel président, Michel Pélissier. Longtemps, ces nouvelles "chambres" de 4 m2 constitueront le modèle standard des foyers Sonacotra. Le loyer mensuel équivaut à un jour de salaire.
Les pensionnaires acceptent tout, sans relever la tête. Jusqu'à la révolte qui éclate en 1980 dans un foyer de Saint-Denis. Les résidents ne demandent pas la lune : ils veulent simplement que les draps soient changés un peu plus souvent, que les peintures soient refaites, qu'on leur donne un peu plus de liberté - celle de recevoir des visites, notamment. Certains des révoltés exigent le départ du gérant, jugé "raciste". Nombre de dirigeants des foyers de l'époque sont d'anciens militaires. Leur philosophie est sommaire. "On ne discute pas avec des gens qui viennent des gourbis", résumera l'un d'eux.
Aujourd'hui, les chambres de 4 m2 ont presque toutes disparu. Mais la mauvaise réputation de la Sonacotra est restée, indélébile, comme une marque au fer rouge. "Garder ce nom est contre-productif", reconnaît Michel Pélissier. La Sonacotra, qui fête ses 50 ans cette année, a donc décidé de faire peau neuve : elle va changer de nom et l'annoncera, en grande pompe, au mois de janvier prochain. Les pensionnaires, eux aussi, ont changé. Les Maghrébins demeurent majoritaires à 53 %, mais les Français représentent 27 % des locataires et les ressortissants d'Afrique subsaharienne (Mali et Sénégal, essentiellement) avoisinent les 14 %.
Surtout, ces pensionnaires sont "de plus en plus pauvres" et ils vieillissent : 43 % sont âgés de plus de 55 ans et 15 % ont plus de 65 ans. Le président de la Sonacotra sait qu'un changement d'enseigne ne résoudra pas tout. "Ceux qui n'aiment pas les immigrés disent du mal du logeur - de nous, en l'occurrence. Et ils vont continuer. Ceux qui disent les soutenir nous reprochent de les loger mal et de les racketter. Eux aussi vont continuer. Quant au Français moyen, il s'en fout...", affirme M. Pélissier. Les vieux immigrés, si longtemps "contraints de raser les murs", comme il dit, demeurent invisibles aux yeux de la société française.
Le sociologue Atmane Aggoun cite une enquête sur l'isolement des personnes âgées en France, publiée fin septembre par le collectif d'associations "Combattre la solitude", dans laquelle le sort des vieux immigrés "n'est pas même évoqué". Il est vrai, ironise le chercheur, que "ces immigrés-là ne posent pas de problème : ils ne cassent pas de voitures et ne votent pas...".
Catherine Simon
10.10.06 Le Monde
Evidemment c'est plus facile de faire des reportages télévisés sur les conditions d'hébergements des travailleurs à l'étranger que sur son propre sol.
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Ce nom, c'est une malédiction. Impossible d'effacer la tache originelle, de gommer l'image de ces "foyers-prisons", de ces "foyers-casernes", où la France coloniale a entassé, dès la fin des années 1950, des dizaines de milliers d'ouvriers maghrébins, des Algériens pour la plupart, si précieux à l'époque pour redémarrer l'industrie en métropole. Impossible d'oublier, surtout, la fameuse grève des loyers, qui dura cinq ans, de 1975 à 1980, et acheva de détruire la réputation de cette institution si française, devenue synonyme de ségrégation et de discrimination.
"Dans ce combat du désespoir, "les Sonacotra" comme on les appelle, déclencheront l'une des résistances les plus dures, mais aussi les plus réprimées de l'histoire de l'immigration en France", écrit Jean Benoît dans le Monde du 5 août 1980, au lendemain du protocole d'accord qui signe la fin du conflit.
A l'origine, les pouvoirs publics l'appellent Sonacotral : Société nationale de construction pour les travailleurs algériens. Nous sommes en 1956. Au sud de la Méditerranée, la guerre d'Algérie bat son plein. "Tandis que les appelés français embarquent pour des opérations de maintien de l'ordre, un grand nombre d'Algériens font le voyage en sens inverse", rappelle une récente brochure de l'institution. Ce n'est qu'en 1963, un an après la proclamation de l'indépendance de l'Algérie, que le "l" final tombera. La Sonacotral devient la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotra).
Première mission assignée à cette société d'économie mixte, dans laquelle l'Etat est majoritaire : résorber les bidonvilles qui poussent comme des champignons autour des grandes villes, et offrir un logement décent aux travailleurs étrangers. C'est l'idée vertueuse, affichée par Claudius Petit, ancien ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, qui en sera le premier président.
En réalité, on fait d'une pierre deux coups. Tout en luttant contre la pénurie de logements, effectivement vertigineuse et dénoncée, dès l'hiver 1954, par l'abbé Pierre, on fournit aux usines et aux chantiers une main-d'oeuvre bon marché, logée à proximité, docile et dure à la tâche. A la fin des années 1970, les premiers "foyers-hôtels" abritent quelque 150 000 hommes, essentiellement des Maghrébins.
Les chambres sont des mouchoirs de poche de 9 m2. Elles deviennent vite surpeuplées. On y dort à deux, voire trois. Ou bien à tour de rôle. Pragmatique, la Sonacotra décide de diviser les chambres en deux, "ce qui permettait de diviser le loyer d'autant", relève son actuel président, Michel Pélissier. Longtemps, ces nouvelles "chambres" de 4 m2 constitueront le modèle standard des foyers Sonacotra. Le loyer mensuel équivaut à un jour de salaire.
Les pensionnaires acceptent tout, sans relever la tête. Jusqu'à la révolte qui éclate en 1980 dans un foyer de Saint-Denis. Les résidents ne demandent pas la lune : ils veulent simplement que les draps soient changés un peu plus souvent, que les peintures soient refaites, qu'on leur donne un peu plus de liberté - celle de recevoir des visites, notamment. Certains des révoltés exigent le départ du gérant, jugé "raciste". Nombre de dirigeants des foyers de l'époque sont d'anciens militaires. Leur philosophie est sommaire. "On ne discute pas avec des gens qui viennent des gourbis", résumera l'un d'eux.
Aujourd'hui, les chambres de 4 m2 ont presque toutes disparu. Mais la mauvaise réputation de la Sonacotra est restée, indélébile, comme une marque au fer rouge. "Garder ce nom est contre-productif", reconnaît Michel Pélissier. La Sonacotra, qui fête ses 50 ans cette année, a donc décidé de faire peau neuve : elle va changer de nom et l'annoncera, en grande pompe, au mois de janvier prochain. Les pensionnaires, eux aussi, ont changé. Les Maghrébins demeurent majoritaires à 53 %, mais les Français représentent 27 % des locataires et les ressortissants d'Afrique subsaharienne (Mali et Sénégal, essentiellement) avoisinent les 14 %.
Surtout, ces pensionnaires sont "de plus en plus pauvres" et ils vieillissent : 43 % sont âgés de plus de 55 ans et 15 % ont plus de 65 ans. Le président de la Sonacotra sait qu'un changement d'enseigne ne résoudra pas tout. "Ceux qui n'aiment pas les immigrés disent du mal du logeur - de nous, en l'occurrence. Et ils vont continuer. Ceux qui disent les soutenir nous reprochent de les loger mal et de les racketter. Eux aussi vont continuer. Quant au Français moyen, il s'en fout...", affirme M. Pélissier. Les vieux immigrés, si longtemps "contraints de raser les murs", comme il dit, demeurent invisibles aux yeux de la société française.
Le sociologue Atmane Aggoun cite une enquête sur l'isolement des personnes âgées en France, publiée fin septembre par le collectif d'associations "Combattre la solitude", dans laquelle le sort des vieux immigrés "n'est pas même évoqué". Il est vrai, ironise le chercheur, que "ces immigrés-là ne posent pas de problème : ils ne cassent pas de voitures et ne votent pas...".
Catherine Simon
10.10.06 Le Monde