La triste affaire des deux familles syriennes bloquées dans le no man's land entre l'Algérie et le Maroc dont les frontières sont fermées depuis 20 ans émeut. Elle nous rappelle aussi que les migrants, si mal traités dans des journaux algériens, servent aussi de combustible à des formes de compétitions propagandistes dans les médias des deux pays. Ici, le regard, acide, d'un journaliste algérien sur les pratiques de la presse algérienne.
Que de services l'ennemi intime marocain ne nous rend-t-il pas ! Lorsqu'il nous arrive de parler d'une même voix, n'est-ce pas pour clouer au pilori ce voisin impitoyable, qui traite ses " immigrants clandestins" avec autant d'inhumanité ? Lorsqu'il nous arrive de ressentir un soupçon de fierté nationale, n'est-ce pas parce qu'il nous provoque en les jetant dans le désert, à nos frontières. Le Maroc est le ciment invisible de notre unité. On ne le remerciera jamais assez d'exister.Le Maroc ne nous nous aide pas seulement à ressouder nos rangs. Il nous aide aussi à redécouvrir notre appartenance à l'Afrique. Les humiliations qu'il inflige aux "immigrants subsahariens" ressuscitent notre sensibilité panafricaine. Elles mettent en sourdine notre xénophobie séculaire qui frise le racisme quand il s'agit des "kahalech", qui "puent" à cause des "onguents bizarres qu'ils se mettent sur la peau" et qui "s'exportent chez nous après nous avoir exporté leurs criquets", le sida et d'autres saloperies encore.
Nous voilà scandalisés par leurs souffrances. Nous voilà qui nous sentons Africains, un peu moins noirs peut-être, mais pas assez blancs pour échapper aux balles de toutes les "Guardia civil" de la Méditerranée. On ne remerciera jamais assez le Maroc de nous rappeler que nous sommes bel et bien de ce continent des gueux.
Le Maroc ne nous aide pas seulement à ressouder nos rangs dispersés et à redécouvrir notre appartenance à l'Afrique. Il nous aide à redécouvrir notre appartenance à l'humanité, à avoir certaines émotions que nous n'avions plus, comme la compassion.
Nous ne nous émouvions même plus à la vue des charniers et des têtes coupées posées sur le pas de notre porte. Nous voilà aujourd'hui sensibles à bien moins que cela, au sort que le royaume réserve aux "clandestins africains". On ne remerciera jamais assez le Maroc de nous rappeler aussi brutalement que les Noirs sont des êtres humains.
Le Maroc ne nous nous aide pas seulement à ressouder nos rangs, à redécouvrir notre appartenance africaine et à nous assurer de nos liens avec l'humanité. Il nous aide aussi à avoir mauvaise conscience, ce qui est le début de tout sincère repentir. Il nous aide à nous souvenir du camp de Maghnia, des chantiers de Delly Ibrahim, des ghettos de Tam et des bourses du travail où nos propres " immigrés subsahariens" offrent leurs bras pour 500 dinars jour. Il nous aide à nous remémorer les unes tapageuses de notre presse qui clamaient que " l'Algérie est menacée par les Africains", qu'Oran est sous le diktat des clandestins noirs et que Tam est le foyer la source-mère de la pandémie du sida. Le Maroc nous aide à avoir honte. Existerions-nous sans le Maroc ?
Yassin Temlali
Yassin Temlali
Commentaire