Le printemps est une saison très prisée dans le monde arabe. Tous les monstres sacrés de la musique de cette région de la planète lui ont consacré de merveilleuses chansons qui sont, encore aujourd’hui, fredonnées « du Golfe à l’Atlantique ». Que ce soit les Égyptiens Mohamed Abdelwahab et Oum Kalthoum, le Syro-Égyptien Farid El-Atrach ou la Libanaise Fayrouz (et la liste est de loin non exhaustive), toutes et tous ont été inspirés par cette féérique saison.

Cependant, mis à part la dernière artiste, qui est toujours en vie pour le bonheur de ses millions de fans (dont je fais partie), tous les autres doivent certainement se retourner dans leurs tombes en entendant la « bien-pensance » qualifier de « printemps » ces évènements sanglants et largement extrinsèques qui ont secoué – et secouent encore – les rues arabes depuis la fin 2010.
Que reste-t-il, en effet, du romantisme révolutionnaire « printanier » porté en étendard par ces jeunes qui ont bravé les autocraties dans les rues de Tunis, du Caire ou de Sanaa, guidés par un
idéal érigé sur le sable mouvant des théories « sharpiennes » de la résistance non-violente [1]? Que reste-t-il de ces manifestants « icônisés » par les médias mainstream et leurs analystes cathodiques dépassés par les évènements ainsi que par ces politiciens glorifiant les évidents et alléchants principes de démocratie, de liberté et de progrès tout en travaillant à la réussite de leur agenda dans la région ?
Pas grand-chose.
Les pays « printanisés »
En Égypte, les leaders du Mouvement du 6 Avril, fer de lance des protestations antigouvernementales sont actuellement emprisonnés [2]. Depuis la chute de Moubarak, le pays est ébranlé par de multiples convulsions politiques qui ont non seulement causé des milliers de morts, mais qui ont aussi acheminé, après jugement, des centaines d’opposants vers le couloir de la mort [3]. Après avoir mis fin à une année de « règne » du président Morsi – qui a pourtant accédé à la magistrature suprême par les urnes – et après l’interdiction de la confrérie des Frères musulmans dont il est issu [4], l’armée égyptienne a repris le pouvoir par le biais de l’élection du maréchal Sissi [5]. Plus de trois ans après le début de la révolte sur les rives du Nil, l’Égypte revient donc à la case départ. Seule différence : l’importation et le commerce des chiens de garde battent des records à cause du manque de sécurité [6].
La Tunisie, qui a basculé dans la violence politique, le terrorisme islamiste et la régression économique, se cherche toujours une voie de salut. Ce qui est loin d’être une mince affaire. En effet, et pour la première fois depuis la fuite de Ben Ali, Al-Qaïda a officiellement revendiqué un attentat contre le ministre de l’Intérieur tunisien, attentat perpétré dans la nuit du 27 au 28 mai 2014 [7].
La Libye est un pays en voie de « somalisation », où règnent l’anarchie, la violence et les guerres tribales. Divers groupes terroristes islamistes s’y sont durablement installés menaçant l’intégrité du pays lui-même, mais aussi la sécurité de ses voisins et de toute la région du Sahel [8]. Même un journal aussi foncièrement mainstream et radicalement pro-printemps que Le Monde s’est rendu compte de l’état de déliquescence de ce pays. « La Libye, trois ans plus tard : un pays à l’abandon », a-t-il récemment titré [9].
Avec ses 162 000 morts et ses millions de réfugiés [10], la Syrie est exsangue. Berceau de la civilisation humaine, cette terre est devenue le pôle d’attraction du djihadisme mondial, drainant aussi bien des « mangeurs de cœurs » [11] que les adeptes d’un djihad libidineux [12]. Le Yémen, pays le plus pauvre du Moyen-Orient, est confronté à une situation sociopolitique qui a fortement empiré depuis le début du « printemps » arabe. Repaire d’un très grand nombre de combattants très actifs d’Al-Qaïda, ce pays est devenu le
« paradis » des drones américains qui, trop souvent, ne différencient pas entre les terroristes de la nébuleuse et les simples citoyens [13]. En plus de cela, le Yémen est confronté à une réelle menace de division [14], ramenant le pays à une réalité politique antérieure à celle de 1990, année de sa réunification nord-sud [15].
Commentant la situation actuelle de son pays, la journaliste yéménite Maysaa Shuja Al-Deen a récemment écrit : « Aujourd’hui, la situation économique s’est aggravée et les conflits armés ont augmenté. La corruption du gouvernement se propage parce que les emplois gouvernementaux sont distribués sur une base partisane. Cela soulève des questions quant à la légitimité des partis au pouvoir » [16]. Et comment ne pas se poser de sérieuses questions sur ce « printemps » lorsqu’on constate que les pays arabes qui ont subi cette saison sont tous des républiques? Est-ce un hasard si aucune monarchie arabe n’ait été touchée par ce tsunami « printanier », comme si ces pays étaient des sanctuaires de la démocratie, de la liberté et des droits de l’Homme? L’unique tentative de soulèvement antimonarchique, celle du Bahreïn, a été violemment étouffée par la collaboration militaire du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le silence complice des médias mainstream et la connivence de politiciens pourtant si loquaces lorsque des évènements analogues ont touché certaines républiques arabes [17].
Et qu’a pensé de tout cela Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine? « Le Bahreïn a «le droit souverain» de faire appel à ses voisins du Golfe pour sa défense », a-t-elle déclaré [18]. Défense? Contre les manifestants bahreïnis? Apparemment, madame Clinton ne voyait pas du même œil les activistes de la place de la Perle et ceux de la place Tahrir ou de l’avenue Bourguiba. Et la liberté d’expression, les droits de l’Homme et la démocratie dans tout cela?
Les présidents « printanisés »
Au-delà de la situation désastreuse des pays « printanisés », c’est en regardant de près le sort de leurs dirigeants déchus que des disparités « printanières » sautent aux yeux.
Voyons voir
Le président Ben Ali a fui la Tunisie le 14 janvier 2011 pour se réfugier en Arabie saoudite [19] où il se cache, bien protégé par la famille régnante qui s’oppose à son extradition vers son pays pour y être jugé. Même le président actuel, Moncef Marzouki, est persuadé que les autorités saoudiennes ne lâcheront pas leur convive autocrate. « Je pense qu’ils n’extraderont jamais Ben Ali, nous le savons, nous avons essayé à de très nombreuses reprises. » Et, au lieu de travailler à ce que justice poursuive son cours, il avoue son impuissance : « Ils ont leurs propres traditions, leurs propres lois et nous ne voulons pas avoir des problèmes avec eux à ce propos. Parce que nous avons aussi des relations sociales et économiques avec l’Arabie saoudite et nous voulons les maintenir » [20].
Les idéaux de justice scandés par tous ces jeunes de l’avenue Bourguiba auraient-ils été sacrifiés sur l’autel du mercantilisme ?
Pis encore, l’Arabie saoudite protège un président tunisien fugitif, mais s’implique activement dans l’anéantissement d’autres, comme dans le cas du Libyen Kadhafi [21] ou du Syrien Bachar [22].
Chassé par la rue égyptienne, le président Moubarak a quitté le pouvoir le 11 février 2011 pour remettre les rênes du pays aux militaires. Dès lors, il a été poursuivi pour diverses malversations et fait encore face – avec ses fils – à la justice égyptienne [23].
Dans ses mémoires récemment publiés, Hillary Clinton explique qu’elle était en désaccord avec Obama sur le sort à réserver à l’ancien président égyptien. Elle était plutôt d’avis de contraindre Moubarak à passer le pouvoir à son successeur, mais son idée a été rejetée par le président Barack Obama. Et de préciser, qu’en ces temps, le président américain était entouré à la Maison Blanche par une jeune génération de conseillers « entraînés par le drame et l’idéalisme du moment » [24]. De jeunes conseillers américains au diapason des jeunes manifestants arabes? Étrange, n’est-ce pas?
Le « printemps » a été moins clément pour le « guide » libyen. Telle la victime de l’« Orient Express », il avait trop d’ennemis pour sortir indemne de cette drôle de saison.
Ni désir de quitter son pays, ni tribunal pour le juger. Kadhafi a été sauvagement battu, sodomisé puis assassiné sous les cris d’une horde d’insurgés hystériques le 20 octobre 2011. Commentant la nouvelle de sa mort, Hillary Clinton s’écria « We came, we saw, he died » (Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort) tout en gloussant de plaisir [25].

Cependant, mis à part la dernière artiste, qui est toujours en vie pour le bonheur de ses millions de fans (dont je fais partie), tous les autres doivent certainement se retourner dans leurs tombes en entendant la « bien-pensance » qualifier de « printemps » ces évènements sanglants et largement extrinsèques qui ont secoué – et secouent encore – les rues arabes depuis la fin 2010.
Que reste-t-il, en effet, du romantisme révolutionnaire « printanier » porté en étendard par ces jeunes qui ont bravé les autocraties dans les rues de Tunis, du Caire ou de Sanaa, guidés par un
idéal érigé sur le sable mouvant des théories « sharpiennes » de la résistance non-violente [1]? Que reste-t-il de ces manifestants « icônisés » par les médias mainstream et leurs analystes cathodiques dépassés par les évènements ainsi que par ces politiciens glorifiant les évidents et alléchants principes de démocratie, de liberté et de progrès tout en travaillant à la réussite de leur agenda dans la région ?
Pas grand-chose.
Les pays « printanisés »
En Égypte, les leaders du Mouvement du 6 Avril, fer de lance des protestations antigouvernementales sont actuellement emprisonnés [2]. Depuis la chute de Moubarak, le pays est ébranlé par de multiples convulsions politiques qui ont non seulement causé des milliers de morts, mais qui ont aussi acheminé, après jugement, des centaines d’opposants vers le couloir de la mort [3]. Après avoir mis fin à une année de « règne » du président Morsi – qui a pourtant accédé à la magistrature suprême par les urnes – et après l’interdiction de la confrérie des Frères musulmans dont il est issu [4], l’armée égyptienne a repris le pouvoir par le biais de l’élection du maréchal Sissi [5]. Plus de trois ans après le début de la révolte sur les rives du Nil, l’Égypte revient donc à la case départ. Seule différence : l’importation et le commerce des chiens de garde battent des records à cause du manque de sécurité [6].
La Tunisie, qui a basculé dans la violence politique, le terrorisme islamiste et la régression économique, se cherche toujours une voie de salut. Ce qui est loin d’être une mince affaire. En effet, et pour la première fois depuis la fuite de Ben Ali, Al-Qaïda a officiellement revendiqué un attentat contre le ministre de l’Intérieur tunisien, attentat perpétré dans la nuit du 27 au 28 mai 2014 [7].
La Libye est un pays en voie de « somalisation », où règnent l’anarchie, la violence et les guerres tribales. Divers groupes terroristes islamistes s’y sont durablement installés menaçant l’intégrité du pays lui-même, mais aussi la sécurité de ses voisins et de toute la région du Sahel [8]. Même un journal aussi foncièrement mainstream et radicalement pro-printemps que Le Monde s’est rendu compte de l’état de déliquescence de ce pays. « La Libye, trois ans plus tard : un pays à l’abandon », a-t-il récemment titré [9].
Avec ses 162 000 morts et ses millions de réfugiés [10], la Syrie est exsangue. Berceau de la civilisation humaine, cette terre est devenue le pôle d’attraction du djihadisme mondial, drainant aussi bien des « mangeurs de cœurs » [11] que les adeptes d’un djihad libidineux [12]. Le Yémen, pays le plus pauvre du Moyen-Orient, est confronté à une situation sociopolitique qui a fortement empiré depuis le début du « printemps » arabe. Repaire d’un très grand nombre de combattants très actifs d’Al-Qaïda, ce pays est devenu le
« paradis » des drones américains qui, trop souvent, ne différencient pas entre les terroristes de la nébuleuse et les simples citoyens [13]. En plus de cela, le Yémen est confronté à une réelle menace de division [14], ramenant le pays à une réalité politique antérieure à celle de 1990, année de sa réunification nord-sud [15].
Commentant la situation actuelle de son pays, la journaliste yéménite Maysaa Shuja Al-Deen a récemment écrit : « Aujourd’hui, la situation économique s’est aggravée et les conflits armés ont augmenté. La corruption du gouvernement se propage parce que les emplois gouvernementaux sont distribués sur une base partisane. Cela soulève des questions quant à la légitimité des partis au pouvoir » [16]. Et comment ne pas se poser de sérieuses questions sur ce « printemps » lorsqu’on constate que les pays arabes qui ont subi cette saison sont tous des républiques? Est-ce un hasard si aucune monarchie arabe n’ait été touchée par ce tsunami « printanier », comme si ces pays étaient des sanctuaires de la démocratie, de la liberté et des droits de l’Homme? L’unique tentative de soulèvement antimonarchique, celle du Bahreïn, a été violemment étouffée par la collaboration militaire du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le silence complice des médias mainstream et la connivence de politiciens pourtant si loquaces lorsque des évènements analogues ont touché certaines républiques arabes [17].
Et qu’a pensé de tout cela Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine? « Le Bahreïn a «le droit souverain» de faire appel à ses voisins du Golfe pour sa défense », a-t-elle déclaré [18]. Défense? Contre les manifestants bahreïnis? Apparemment, madame Clinton ne voyait pas du même œil les activistes de la place de la Perle et ceux de la place Tahrir ou de l’avenue Bourguiba. Et la liberté d’expression, les droits de l’Homme et la démocratie dans tout cela?
Les présidents « printanisés »
Au-delà de la situation désastreuse des pays « printanisés », c’est en regardant de près le sort de leurs dirigeants déchus que des disparités « printanières » sautent aux yeux.
Voyons voir
Le président Ben Ali a fui la Tunisie le 14 janvier 2011 pour se réfugier en Arabie saoudite [19] où il se cache, bien protégé par la famille régnante qui s’oppose à son extradition vers son pays pour y être jugé. Même le président actuel, Moncef Marzouki, est persuadé que les autorités saoudiennes ne lâcheront pas leur convive autocrate. « Je pense qu’ils n’extraderont jamais Ben Ali, nous le savons, nous avons essayé à de très nombreuses reprises. » Et, au lieu de travailler à ce que justice poursuive son cours, il avoue son impuissance : « Ils ont leurs propres traditions, leurs propres lois et nous ne voulons pas avoir des problèmes avec eux à ce propos. Parce que nous avons aussi des relations sociales et économiques avec l’Arabie saoudite et nous voulons les maintenir » [20].
Les idéaux de justice scandés par tous ces jeunes de l’avenue Bourguiba auraient-ils été sacrifiés sur l’autel du mercantilisme ?
Pis encore, l’Arabie saoudite protège un président tunisien fugitif, mais s’implique activement dans l’anéantissement d’autres, comme dans le cas du Libyen Kadhafi [21] ou du Syrien Bachar [22].
Chassé par la rue égyptienne, le président Moubarak a quitté le pouvoir le 11 février 2011 pour remettre les rênes du pays aux militaires. Dès lors, il a été poursuivi pour diverses malversations et fait encore face – avec ses fils – à la justice égyptienne [23].
Dans ses mémoires récemment publiés, Hillary Clinton explique qu’elle était en désaccord avec Obama sur le sort à réserver à l’ancien président égyptien. Elle était plutôt d’avis de contraindre Moubarak à passer le pouvoir à son successeur, mais son idée a été rejetée par le président Barack Obama. Et de préciser, qu’en ces temps, le président américain était entouré à la Maison Blanche par une jeune génération de conseillers « entraînés par le drame et l’idéalisme du moment » [24]. De jeunes conseillers américains au diapason des jeunes manifestants arabes? Étrange, n’est-ce pas?
Le « printemps » a été moins clément pour le « guide » libyen. Telle la victime de l’« Orient Express », il avait trop d’ennemis pour sortir indemne de cette drôle de saison.
Ni désir de quitter son pays, ni tribunal pour le juger. Kadhafi a été sauvagement battu, sodomisé puis assassiné sous les cris d’une horde d’insurgés hystériques le 20 octobre 2011. Commentant la nouvelle de sa mort, Hillary Clinton s’écria « We came, we saw, he died » (Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort) tout en gloussant de plaisir [25].
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