Avec l'insécurité au Mali, en Libye, au Nigeria et au-delà, la carte du terrorisme en Afrique se redessine. Magharebia a rencontré Abdullah Mamadou Ba, spécialiste des groupes militants au Sahel, au Maghreb et en Afrique de l'Ouest, pour en savoir davantage sur les nouveaux recoupements entre ces différents groupes et sur ce qui attend la région.
Magharebia : Commençons par une question que beaucoup se posent : l'Etat islamique (EIIL) est-il en mesure de s'implanter dans la région sahélo-saharienne ?
Abdullah Mamadou Ba : Je pense qu'al-Qaida au Maghreb islamique est désormais surpassée en termes de structures, de personnalités et de symboles... Après la mort de ben Laden, cette organisation a souffert de nombreux conflits internes et différents groupes ont commencé à prendre leur indépendance vis-à-vis du commandement central
La coordination entre les cellules s'est affaiblie, et celle entre les groupes présents dans les différentes régions est également devenue difficile ; cela a facilité l'émergence de l'EIIL et sa capacité à mener des confrontations ouvertes, ce qu'al-Qaida n'était pas parvenue à faire.
L'EIIL a commencé à combler le vide laissé par al-Qaida dans de nombreuses régions où l'organisation était autrefois influente, notamment au Sahel. Les divisions qui se sont produites dans la région du Maghreb et au sein de différentes cellules et brigades d'al-Qaida et l'émergence de nouvelles organisations comme le MUJAO, les Mourabitounes et, plus récemment, Djound Al-Khalifa en Algérie [éd. : la branche algérienne de l'EIIL responsable de la décapitation d'un touriste français], tout cela constitue autant d'indices montrant que l'EIIL a commencé à prendre sa place dans la région.
De plus, le groupe nigérian Boko Haram a prêté allégeance à l'EIIL. Ajoutons-y encore ce que le ministre malien des Affaires étrangères déclarait récemment… [à savoir] que Ansar al-Din, affilié à Iyad Ag Ghaly, avait déclaré son allégeance inconditionnelle à l'EIIL…
Le chef de la diplomatie malienne en a fait l'annonce lors d'une conférence ouverte à Bruxelles et New York. Il ne parle pas sur du néant… Tant que nous n'obtiendrons aucun déni ferme et formel d'Ansar al-Din, les propos du ministre pourront être considérés comme vrais.
Magharebia : Qu'en est-il de la crise sécuritaire en Libye ?
Mamadou Ba : L'échec de l'Etat libyen n'est désormais plus affaire de probabilité ; aujourd'hui, la Libye est un Etat en faillite. Elle présente toutes les caractéristiques d'un Etat qui n'a aucun contrôle sur rien, raison pour laquelle les leaders jihadistes connus dans le nord du Mali transfèrent leurs hommes et leur matériel dans le sud libyen.
Du fait de leur forte présence dans le sud du pays, ils ont pu acquérir plus de ressources, plus d'hommes et plus de matériel à envoyer dans les autres pays.
Ces groupes s'efforcent de faire revivre ce qu'ils avaient mis en place dans le Nord-Mali…
La Libye est aujourd'hui le cancer qui menace la sécurité et la stabilité dans la bande sahélo-saharienne...
Magharebia : A ce propos, le sud de la Libye est supposé être la nouvelle base du tristement célèbre terroriste algérien Mokhtar Belmokhtar, alias Laaouar. Quelle place tient-il sur cette carte du terrorisme dans la région ?
Mamadou Ba : C'est un fait connu que Laaouar était le fer de lance du jihad dans le nord du Mali. Il avait pu tisser des relations très étroites et denses avec les populations locales… Pendant plusieurs années, il a été en mesure de tirer sa force de l'absence de ben Laden.
Laaouar n'utilise pas les moyens de communication modernes, comme le téléphone et les ordinateurs ; il donne ses instructions de vive voix à une personne en particulier, et celle-ci fait circuler ses directives à toute une série d'agents. C'est cette méthode des "grappes" qui lui a permis d'échapper à ce jour à une arrestation. Mais je pense en fin de compte que le fait de se rapprocher de lui ne sera qu'une affaire de temps, tout en soulignant que cela ne sera pas chose aisée. Les pays doivent maintenir leur coordination pour tenter de l'arrêter, ce qui sera au final le cas, même si la question demeure de savoir quand et comment.
Magharebia : Vous avez parlé de la manière dont Belmokhtar a participé à l'importation du jihad au Mali. Mais s'il se trouve désormais en Libye, d'où proviennent les récentes attaques perpétrées dans le nord du Mali ?
Mamadou Ba : Le retour violent et en force des groupes jihadistes est le résultat de deux causes essentielles. Premièrement, les troupes françaises, lorsqu'elles ont lancé leur opération début 2013, n'ont pas été en mesure de neutraliser totalement les éléments actifs de ces groupes. Elles leur ont laissé suffisamment d'espace pour se fondre dans les populations locales. Certains éléments ont même réussi à rentrer dans leurs pays d'origine voisins, comme les Mauritaniens, les Algériens et les Nigérians.
Ceux qui se sont cachés ont mis en place des cellules dormantes qui ont continué de recevoir leurs instructions et leurs directives des leaders des différentes branches des groupes terroristes.
La seconde cause tient au fait que le front libyen a ouvert la porte à de nouveaux groupes de recrues provenant principalement des pays les plus éloignés du Sahel, comme le Soudan et l'Egypte, mais aussi de pays du Moyen-Orient…
Magharebia : Le Mali parviendra-t-il à restaurer sa stabilité ?
Mamadou Ba : Il faut tenir compte de la situation interne entre les différentes composantes de la communauté malienne, qui s'est mise en place en 1960 sur des fondations qui n'étaient peut-être pas unanimes.
Il faut également prendre en compte la composante économique - l'élément du crime transnational organisé et les réseaux de trafiquants… Cette situation a ouvert la voie à la présence par la suite des groupes islamistes, à partir de 2001 et 2002, et constitué leur principal incubateur.
Magharebia : Qui sont les terroristes aujourd'hui au Mali ?
Mamadou Ba : En termes de jihad, la majorité combattante n'est pas constituée de jeunes Maliens, mais d'étrangers. Quant à ceux qui se battent sous la bannière de mouvements nationaux comme le Mouvement pour la libération de l'Azaouad et le Mouvement arabe, leurs motivations sont politiques. Nous ne pouvons pas les mettre dans le même panier que les terroristes jihadistes.
Je pense par conséquent que nous devons bien faire la différence entre le dossier politique, le dossier jihadiste (les terroristes) et le dossier économique (les trafics). Ces dossiers doivent être traités distinctement, en fonction des approches propres à chacun, bien que lutter contre les contrebandiers et les jihadistes requiert une combinaison des efforts selon des lignes étrangères et internationales.
Quant à l'effort politique, des négociations sont actuellement en cours en Algérie. Nous espérons qu'elles déboucheront sur une solution qui permettra d'unir les Maliens.
Magharebia
Magharebia : Commençons par une question que beaucoup se posent : l'Etat islamique (EIIL) est-il en mesure de s'implanter dans la région sahélo-saharienne ?
Abdullah Mamadou Ba : Je pense qu'al-Qaida au Maghreb islamique est désormais surpassée en termes de structures, de personnalités et de symboles... Après la mort de ben Laden, cette organisation a souffert de nombreux conflits internes et différents groupes ont commencé à prendre leur indépendance vis-à-vis du commandement central
La coordination entre les cellules s'est affaiblie, et celle entre les groupes présents dans les différentes régions est également devenue difficile ; cela a facilité l'émergence de l'EIIL et sa capacité à mener des confrontations ouvertes, ce qu'al-Qaida n'était pas parvenue à faire.
L'EIIL a commencé à combler le vide laissé par al-Qaida dans de nombreuses régions où l'organisation était autrefois influente, notamment au Sahel. Les divisions qui se sont produites dans la région du Maghreb et au sein de différentes cellules et brigades d'al-Qaida et l'émergence de nouvelles organisations comme le MUJAO, les Mourabitounes et, plus récemment, Djound Al-Khalifa en Algérie [éd. : la branche algérienne de l'EIIL responsable de la décapitation d'un touriste français], tout cela constitue autant d'indices montrant que l'EIIL a commencé à prendre sa place dans la région.
De plus, le groupe nigérian Boko Haram a prêté allégeance à l'EIIL. Ajoutons-y encore ce que le ministre malien des Affaires étrangères déclarait récemment… [à savoir] que Ansar al-Din, affilié à Iyad Ag Ghaly, avait déclaré son allégeance inconditionnelle à l'EIIL…
Le chef de la diplomatie malienne en a fait l'annonce lors d'une conférence ouverte à Bruxelles et New York. Il ne parle pas sur du néant… Tant que nous n'obtiendrons aucun déni ferme et formel d'Ansar al-Din, les propos du ministre pourront être considérés comme vrais.
Magharebia : Qu'en est-il de la crise sécuritaire en Libye ?
Mamadou Ba : L'échec de l'Etat libyen n'est désormais plus affaire de probabilité ; aujourd'hui, la Libye est un Etat en faillite. Elle présente toutes les caractéristiques d'un Etat qui n'a aucun contrôle sur rien, raison pour laquelle les leaders jihadistes connus dans le nord du Mali transfèrent leurs hommes et leur matériel dans le sud libyen.
Du fait de leur forte présence dans le sud du pays, ils ont pu acquérir plus de ressources, plus d'hommes et plus de matériel à envoyer dans les autres pays.
Ces groupes s'efforcent de faire revivre ce qu'ils avaient mis en place dans le Nord-Mali…
La Libye est aujourd'hui le cancer qui menace la sécurité et la stabilité dans la bande sahélo-saharienne...
Magharebia : A ce propos, le sud de la Libye est supposé être la nouvelle base du tristement célèbre terroriste algérien Mokhtar Belmokhtar, alias Laaouar. Quelle place tient-il sur cette carte du terrorisme dans la région ?
Mamadou Ba : C'est un fait connu que Laaouar était le fer de lance du jihad dans le nord du Mali. Il avait pu tisser des relations très étroites et denses avec les populations locales… Pendant plusieurs années, il a été en mesure de tirer sa force de l'absence de ben Laden.
Laaouar n'utilise pas les moyens de communication modernes, comme le téléphone et les ordinateurs ; il donne ses instructions de vive voix à une personne en particulier, et celle-ci fait circuler ses directives à toute une série d'agents. C'est cette méthode des "grappes" qui lui a permis d'échapper à ce jour à une arrestation. Mais je pense en fin de compte que le fait de se rapprocher de lui ne sera qu'une affaire de temps, tout en soulignant que cela ne sera pas chose aisée. Les pays doivent maintenir leur coordination pour tenter de l'arrêter, ce qui sera au final le cas, même si la question demeure de savoir quand et comment.
Magharebia : Vous avez parlé de la manière dont Belmokhtar a participé à l'importation du jihad au Mali. Mais s'il se trouve désormais en Libye, d'où proviennent les récentes attaques perpétrées dans le nord du Mali ?
Mamadou Ba : Le retour violent et en force des groupes jihadistes est le résultat de deux causes essentielles. Premièrement, les troupes françaises, lorsqu'elles ont lancé leur opération début 2013, n'ont pas été en mesure de neutraliser totalement les éléments actifs de ces groupes. Elles leur ont laissé suffisamment d'espace pour se fondre dans les populations locales. Certains éléments ont même réussi à rentrer dans leurs pays d'origine voisins, comme les Mauritaniens, les Algériens et les Nigérians.
Ceux qui se sont cachés ont mis en place des cellules dormantes qui ont continué de recevoir leurs instructions et leurs directives des leaders des différentes branches des groupes terroristes.
La seconde cause tient au fait que le front libyen a ouvert la porte à de nouveaux groupes de recrues provenant principalement des pays les plus éloignés du Sahel, comme le Soudan et l'Egypte, mais aussi de pays du Moyen-Orient…
Magharebia : Le Mali parviendra-t-il à restaurer sa stabilité ?
Mamadou Ba : Il faut tenir compte de la situation interne entre les différentes composantes de la communauté malienne, qui s'est mise en place en 1960 sur des fondations qui n'étaient peut-être pas unanimes.
Il faut également prendre en compte la composante économique - l'élément du crime transnational organisé et les réseaux de trafiquants… Cette situation a ouvert la voie à la présence par la suite des groupes islamistes, à partir de 2001 et 2002, et constitué leur principal incubateur.
Magharebia : Qui sont les terroristes aujourd'hui au Mali ?
Mamadou Ba : En termes de jihad, la majorité combattante n'est pas constituée de jeunes Maliens, mais d'étrangers. Quant à ceux qui se battent sous la bannière de mouvements nationaux comme le Mouvement pour la libération de l'Azaouad et le Mouvement arabe, leurs motivations sont politiques. Nous ne pouvons pas les mettre dans le même panier que les terroristes jihadistes.
Je pense par conséquent que nous devons bien faire la différence entre le dossier politique, le dossier jihadiste (les terroristes) et le dossier économique (les trafics). Ces dossiers doivent être traités distinctement, en fonction des approches propres à chacun, bien que lutter contre les contrebandiers et les jihadistes requiert une combinaison des efforts selon des lignes étrangères et internationales.
Quant à l'effort politique, des négociations sont actuellement en cours en Algérie. Nous espérons qu'elles déboucheront sur une solution qui permettra d'unir les Maliens.
Magharebia
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