Béji Caïd Essebsi, Président de la république tunisienne : «Le sort de la Tunisie est lié à celui de l’Algérie»
le 04.02.15 | 10h00
Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne, effectuera à partir d’aujourd’hui une visite de deux jours en Algérie. Le président tunisien a réservé à El Watan sa première interview à un média depuis son élection.
Béji Caïd Essebsi a passé en revue les relations entre l’Algérie et la Tunisie et s’est étalé sur la situation politique et sécuritaire de la région. Il a également fait part de son optimisme concernant le processus démocratique en cours en Tunisie et les défis économiques et sociaux qui s’imposent à son pays. Il a rendu un vibrant hommage au peuple algérien.
- Monsieur le Président, quel sens donnez-vous à cette visite ?
Je considère que le Président de l’Algérie est mon ami et que je suis le sien, depuis plus de 50 ans, pas d’aujourd’hui. Nous sommes toujours restés des amis. J’ai été le voir suite à sa maladie. J’ai été le voir deux fois. Mais, à ce moment-là, je n’étais pas au pouvoir. Mais quand j’étais au gouvernement, comme Premier ministre, ma première visite officielle en tant que Premier ministre, c’était pour l’Algérie aussi. Et puis, maintenant, c’est une tradition.
L’actuel chef du gouvernement, qui est sur le point de partir, a aussi effectué le même trajet. Donc nous restons toujours en contact, surtout en raison de la très bonne coopération sur le plan sécuritaire à cause du terrorisme. Donc cette visite confirme l’excellence des relations que nous avons avec l’Algérie.
- Quel bilan faites-vous des relations entre les deux pays au plan économique ?
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. D’abord parce que nous traversons une crise économique, que ce soit en Europe, aux Etats-Unis ou dans les autres pays. Et ce n’est pas pendant les grandes crises que les relations se développent. Mais il est utile de rappeler que les responsables algériens ont fait beaucoup d’efforts dans la coopération avec la Tunisie. Il y a eu un soutien financier, une sorte de coopération bilatérale dans la lutte contre le terrorisme. En réalité, ces deux phénomènes sont liés. La Tunisie a essayé et va tout faire pour sortir de la crise économique.
C’est une question primordiale. Mais il y a aussi le problème sécuritaire. On ne peut pas envisager de coopération ni même d’investissement extérieur sans, d’abord, régler le problème sécuritaire et, aussi, garantir la stabilité dans le pays. Nous avons cette coopération en matière sécuritaire le long de la frontière commune. L’Algérie a de l’expérience en matière de lutte contre ce terrorisme d’inspiration islamiste. Nous avons un sort lié.
- Entre les deux pays, il y a aussi une forte dimension humaine dans les relations. Des milliers d’Algériens viennent en Tunisie pour le tourisme, beaucoup de Tunisiens étudient en Algérie. Ces liens serrés sont une réalité entre les deux pays. Moi, je pense que cela peut se développer encore davantage.
Quand on a des liens comme ceux-là, cela renforce les relations entre les deux pays. J’en suis très heureux et j’espère que ces échanges humains se développeront davantage. C’est comme cela que les pays se connaissent mieux. Les Algériens qui viennent en Tunisie, quand ils rentrent, ont déjà mieux connu les Tunisiens et vice-versa. Nous sommes favorables.
- En matière de développement économique, y a-t-il des projets sur les frontières, là où le terrorisme est actif ?
Nous avons toujours souhaité parvenir à des accords sur le développement économique sur les frontières et je crois que l’Algérie partage cette attitude. Depuis l’indépendance, il y a toujours eu une volonté commune de réserver un traitement spécial à ceux qui vivent sur les frontières, aussi bien Tunisiens qu’Algériens.
D’ailleurs, ces gens-là sont, en réalité, des Algéro-Tunisiens. Il y a des Algériens mariés à des Tunisiennes et des Tunisiens mariés à des Algériennes. C’est pour cela que nous avons envisagé sur la frontière, sur une bande de 10 kilomètres (cinq de chaque bord) que les citoyens des deux pays soient traités comme des citoyens des deux bords.
- L’économie tunisienne vit beaucoup de difficultés en raison de considérations très objectives. Les pays occidentaux ont promis un soutien financier, mais apparemment, il n’y a pas eu de suite à ces promesses…
C’est quand même en raison de considérations politiques à la base. Vous savez, lors de la réunion du G8 à Deauville, la Tunisie a été invitée pour parler du Printemps arabe. Or, le Printemps arabe, ce n’est pas un concept arabe. Le Printemps arabe est une invention occidentale lors de cette réunion. Nous avons alors expliqué que nous avions des problèmes économiques parce que, d’un, nous venions d’avoir la révolution et, deuxièmement, pour redresser la situation en Tunisie, on avait besoin de beaucoup de soutien.
Nous avons alors présenté un plan de développement économique et social étalé sur cinq ans. On nous a répondu favorablement. On nous a promis de nous soutenir à hauteur de 25 milliards de dollars. Bien entendu, après cette réunion, il y a eu les élections de l’Assemblée nationale constituante avec les résultats que vous connaissez. Je pense que le projet a foiré à cause de cette nouvelle majorité.
J’ajoute que l’Europe, elle-même, est entrée en crise. L’Europe étant en crise, elle ne peut pas faire des largesses ailleurs. La situation, c’est ça. C’est vrai que l’Europe s’est retournée maintenant vers la Tunisie après le succès de la démarche démocratique. Mais, jusqu’à maintenant, je n’ai pas vu grand-chose.
- Trois ans après les révoltes arabes, quel bilan faites-vous de la transition dans la région ?
A Deauville, j’ai dit dans mon discours qu’il n’y a pas de Printemps arabe. Il y a un début de printemps tunisien. Il y aurait, peut-être, un Printemps arabe un jour lorsque le début du printemps tunisien se confirmera en Tunisie.
A l’époque, ce n’était pas encore confirmé. Maintenant, nous avons fait, quand même, des pas en avant. Nous avons tenu des élections législatives très correctes. Nous avons tenu des élections présidentielles tout à fait démocratiques puisqu’on a été obligés de faire deux tours. Au premier tour, il y avait 27 candidats à la Présidence.
Du jamais vu. Cela prouve que nous avons été très friands de cette démocratie naissante. Tout le monde a dit que c’est la première fois que nous avons le droit de le faire, on le fait. Après, il y a eu un deuxième tour. Nous avons fait des élections avec des résultats reconnus et validés par tous les candidats. Tout le monde s’est félicité de ces élections. Donc nous avons fait un grand progrès. Après ces deux élections, nous avons formé un gouvernement. J’espère qu’il va être confirmé dans deux jours par l’Assemblée des représentants du peuple.
Avant cela, l’Assemblée nationale constitutive a adopté une Constitution, qui est le résultat d’un compromis. C’est la première fois que les élus ont pratiquement voté à l’unanimité. Il y avait 200 votes favorables sur 216. Cette Constitution a changé les attributions des structures du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Nous avions la tradition d’avoir un régime présidentiel. Nous avons maintenant un régime semi-présidentiel mais principalement parlementaire. L’essentiel du pouvoir exécutif est entre les mains du président du gouvernement.
Le président de la République a des attributions bien fixées. Le président du gouvernement dépend de l’Assemblée, pas du président de la République. C’est ce que nous sommes en train d’expérimenter maintenant, puisque nous sommes en train de former un nouveau gouvernement conforme aux dispositions de la Constitution. En réalité, le candidat à la présidence du gouvernement est choisi par le parti ayant obtenu le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée.
Le président de la République ne fait que lui donner la lettre d’accréditation sans qu’il en discute. Nous l’avons fait et nous sommes en train de l’appliquer. C’est facile. Ce matin(mardi 2 février, ndlr) justement, j’ai reçu le candidat à la primature. Je l’ai encouragé. Il m’a présenté la liste du gouvernement. Je n’ai pas discuté. Maintenant, il va la défendre devant l’Assemblée des représentants du peuple. Il y a un changement formidable.
Avant, le président de la République n’avait pas à rendre des comptes à quiconque. Ce qui fait qu’il y a eu ce glissement d’un régime présidentiel vers un régime présidentialiste. Tous les maux dont nous avons souffert viennent de là. C’est cela, le véritable changement. Actuellement, ceux qui exercent le pouvoir doivent rendre des comptes. Ils sont contrôlés, ce qui n’existait pas avant.
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le 04.02.15 | 10h00
Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne, effectuera à partir d’aujourd’hui une visite de deux jours en Algérie. Le président tunisien a réservé à El Watan sa première interview à un média depuis son élection.
Béji Caïd Essebsi a passé en revue les relations entre l’Algérie et la Tunisie et s’est étalé sur la situation politique et sécuritaire de la région. Il a également fait part de son optimisme concernant le processus démocratique en cours en Tunisie et les défis économiques et sociaux qui s’imposent à son pays. Il a rendu un vibrant hommage au peuple algérien.
- Monsieur le Président, quel sens donnez-vous à cette visite ?
Je considère que le Président de l’Algérie est mon ami et que je suis le sien, depuis plus de 50 ans, pas d’aujourd’hui. Nous sommes toujours restés des amis. J’ai été le voir suite à sa maladie. J’ai été le voir deux fois. Mais, à ce moment-là, je n’étais pas au pouvoir. Mais quand j’étais au gouvernement, comme Premier ministre, ma première visite officielle en tant que Premier ministre, c’était pour l’Algérie aussi. Et puis, maintenant, c’est une tradition.
L’actuel chef du gouvernement, qui est sur le point de partir, a aussi effectué le même trajet. Donc nous restons toujours en contact, surtout en raison de la très bonne coopération sur le plan sécuritaire à cause du terrorisme. Donc cette visite confirme l’excellence des relations que nous avons avec l’Algérie.
- Quel bilan faites-vous des relations entre les deux pays au plan économique ?
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. D’abord parce que nous traversons une crise économique, que ce soit en Europe, aux Etats-Unis ou dans les autres pays. Et ce n’est pas pendant les grandes crises que les relations se développent. Mais il est utile de rappeler que les responsables algériens ont fait beaucoup d’efforts dans la coopération avec la Tunisie. Il y a eu un soutien financier, une sorte de coopération bilatérale dans la lutte contre le terrorisme. En réalité, ces deux phénomènes sont liés. La Tunisie a essayé et va tout faire pour sortir de la crise économique.
C’est une question primordiale. Mais il y a aussi le problème sécuritaire. On ne peut pas envisager de coopération ni même d’investissement extérieur sans, d’abord, régler le problème sécuritaire et, aussi, garantir la stabilité dans le pays. Nous avons cette coopération en matière sécuritaire le long de la frontière commune. L’Algérie a de l’expérience en matière de lutte contre ce terrorisme d’inspiration islamiste. Nous avons un sort lié.
- Entre les deux pays, il y a aussi une forte dimension humaine dans les relations. Des milliers d’Algériens viennent en Tunisie pour le tourisme, beaucoup de Tunisiens étudient en Algérie. Ces liens serrés sont une réalité entre les deux pays. Moi, je pense que cela peut se développer encore davantage.
Quand on a des liens comme ceux-là, cela renforce les relations entre les deux pays. J’en suis très heureux et j’espère que ces échanges humains se développeront davantage. C’est comme cela que les pays se connaissent mieux. Les Algériens qui viennent en Tunisie, quand ils rentrent, ont déjà mieux connu les Tunisiens et vice-versa. Nous sommes favorables.
- En matière de développement économique, y a-t-il des projets sur les frontières, là où le terrorisme est actif ?
Nous avons toujours souhaité parvenir à des accords sur le développement économique sur les frontières et je crois que l’Algérie partage cette attitude. Depuis l’indépendance, il y a toujours eu une volonté commune de réserver un traitement spécial à ceux qui vivent sur les frontières, aussi bien Tunisiens qu’Algériens.
D’ailleurs, ces gens-là sont, en réalité, des Algéro-Tunisiens. Il y a des Algériens mariés à des Tunisiennes et des Tunisiens mariés à des Algériennes. C’est pour cela que nous avons envisagé sur la frontière, sur une bande de 10 kilomètres (cinq de chaque bord) que les citoyens des deux pays soient traités comme des citoyens des deux bords.
- L’économie tunisienne vit beaucoup de difficultés en raison de considérations très objectives. Les pays occidentaux ont promis un soutien financier, mais apparemment, il n’y a pas eu de suite à ces promesses…
C’est quand même en raison de considérations politiques à la base. Vous savez, lors de la réunion du G8 à Deauville, la Tunisie a été invitée pour parler du Printemps arabe. Or, le Printemps arabe, ce n’est pas un concept arabe. Le Printemps arabe est une invention occidentale lors de cette réunion. Nous avons alors expliqué que nous avions des problèmes économiques parce que, d’un, nous venions d’avoir la révolution et, deuxièmement, pour redresser la situation en Tunisie, on avait besoin de beaucoup de soutien.
Nous avons alors présenté un plan de développement économique et social étalé sur cinq ans. On nous a répondu favorablement. On nous a promis de nous soutenir à hauteur de 25 milliards de dollars. Bien entendu, après cette réunion, il y a eu les élections de l’Assemblée nationale constituante avec les résultats que vous connaissez. Je pense que le projet a foiré à cause de cette nouvelle majorité.
J’ajoute que l’Europe, elle-même, est entrée en crise. L’Europe étant en crise, elle ne peut pas faire des largesses ailleurs. La situation, c’est ça. C’est vrai que l’Europe s’est retournée maintenant vers la Tunisie après le succès de la démarche démocratique. Mais, jusqu’à maintenant, je n’ai pas vu grand-chose.
- Trois ans après les révoltes arabes, quel bilan faites-vous de la transition dans la région ?
A Deauville, j’ai dit dans mon discours qu’il n’y a pas de Printemps arabe. Il y a un début de printemps tunisien. Il y aurait, peut-être, un Printemps arabe un jour lorsque le début du printemps tunisien se confirmera en Tunisie.
A l’époque, ce n’était pas encore confirmé. Maintenant, nous avons fait, quand même, des pas en avant. Nous avons tenu des élections législatives très correctes. Nous avons tenu des élections présidentielles tout à fait démocratiques puisqu’on a été obligés de faire deux tours. Au premier tour, il y avait 27 candidats à la Présidence.
Du jamais vu. Cela prouve que nous avons été très friands de cette démocratie naissante. Tout le monde a dit que c’est la première fois que nous avons le droit de le faire, on le fait. Après, il y a eu un deuxième tour. Nous avons fait des élections avec des résultats reconnus et validés par tous les candidats. Tout le monde s’est félicité de ces élections. Donc nous avons fait un grand progrès. Après ces deux élections, nous avons formé un gouvernement. J’espère qu’il va être confirmé dans deux jours par l’Assemblée des représentants du peuple.
Avant cela, l’Assemblée nationale constitutive a adopté une Constitution, qui est le résultat d’un compromis. C’est la première fois que les élus ont pratiquement voté à l’unanimité. Il y avait 200 votes favorables sur 216. Cette Constitution a changé les attributions des structures du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Nous avions la tradition d’avoir un régime présidentiel. Nous avons maintenant un régime semi-présidentiel mais principalement parlementaire. L’essentiel du pouvoir exécutif est entre les mains du président du gouvernement.
Le président de la République a des attributions bien fixées. Le président du gouvernement dépend de l’Assemblée, pas du président de la République. C’est ce que nous sommes en train d’expérimenter maintenant, puisque nous sommes en train de former un nouveau gouvernement conforme aux dispositions de la Constitution. En réalité, le candidat à la présidence du gouvernement est choisi par le parti ayant obtenu le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée.
Le président de la République ne fait que lui donner la lettre d’accréditation sans qu’il en discute. Nous l’avons fait et nous sommes en train de l’appliquer. C’est facile. Ce matin(mardi 2 février, ndlr) justement, j’ai reçu le candidat à la primature. Je l’ai encouragé. Il m’a présenté la liste du gouvernement. Je n’ai pas discuté. Maintenant, il va la défendre devant l’Assemblée des représentants du peuple. Il y a un changement formidable.
Avant, le président de la République n’avait pas à rendre des comptes à quiconque. Ce qui fait qu’il y a eu ce glissement d’un régime présidentiel vers un régime présidentialiste. Tous les maux dont nous avons souffert viennent de là. C’est cela, le véritable changement. Actuellement, ceux qui exercent le pouvoir doivent rendre des comptes. Ils sont contrôlés, ce qui n’existait pas avant.
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